Bac nordGregory (Gilles Lellouche) arrive à la prison des Baumettes, à Marseille, où il a été  placé en détention préventive. L’agent pénitentiaire prend ses empreintes et sa photo avant de le conduire en cellule.
Huit mois auparavant, rien n’indiquait que ce policier de terrain expérimenté, à la tête d’une petite unité de la brigade anti-criminalité nord de Marseille puisse un jour côtoyer ceux qu’il a contribué à arrêter, des années durant.

Bac Nord raconte son histoire et celle de ses deux collègues, Antoine (François Civil) et Yassine (Karim Leklou), inspirée d’un fait divers réel, le scandale des dérives de la Bac Nord de Marseille, qui a fait la une des journaux en 2012.
Dès la deuxième séquence du film, une course-poursuite haletante avec un scooter volé, Cédric Jimenez nous entraîne dans le quotidien de ces policiers, alternance de moments d’ennui et de poussées d’adrénaline, de petits moments de gloire – après des arrestations musclées, par exemple – et de profond abattement, quand les flics réalisent qu’ils n’ont plus vraiment les moyens de faire leur métier correctement.

Le plus souvent, c’est la frustration qui domine, car on les contraint à traquer des voyous inoffensifs pendant que les gros trafiquants peuvent opérer en toute impunité, transformant les barres HLM en zones de non-droit. Leur chef les enjoint de “faire du chiffre”, donc multiplier les arrestations. Pour les statistiques du Ministère de l’Intérieur, un voleur de pommes vaut autant qu’un braqueur de banque, un petit contrebandier de “cigarettes du bled” est tout aussi valorisable qu’un gros dealer de crack, un gamin turbulent qui cherche à “niquer la police” est une prise aussi importante qu’un violeur en série. Pour le préfet, il n’y a aucune différence. Qui vole une sardine vole une baleine, donc pas besoin de prendre de risques pour boucler de “gros poissons”. Autant se concentrer sur les cibles faciles qui permettent d’atteindre les objectifs et de faire croire que la situation est sous contrôle. Le seul problème, c’est que ces trois flics sont tous les jours sur le terrain et sont contraints d’assister, impuissants, à la prise de contrôle de la ville par des délinquants, de plus en plus organisés, qui les insultent et les narguent en permanence.
Ils ont le sentiment de ne plus être utiles, de ne plus pouvoir assister toute une partie de la population. Ils n’ont pas choisi d’être policiers pour arrêter de pauvres gens qui traficotent pour survivre – petits voyous désœuvrés, vendeurs de tortues à la sauvette ou piliers de bars ayant abusé du pastis. Ils ont envie de s’attaquer au vrai banditisme, celui qui gangrène les quartiers nord et qui, en continuant à se développer, génère guerres de gangs et règlements de comptes meurtriers. Mais le plus souvent, ils sont obligés de s’arrêter aux portes de la cité, abandonnant proies et pistes brûlantes, sur ordre de leur hiérarchie. Il ne faut surtout pas faire de vagues, ne pas susciter des émeutes dans les cités. Aucune intervention n’est possible, cela risquerait d’abîmer les véhicules et de générer des blessés… Le préfet regarde les chiffres des arrestations, mais aussi celui des dégâts matériels. Et si le premier doit augmenter, le second doit diminuer…

En revanche, quand la situation devient hors de contrôle, que les média dénoncent l’essor de la violence dans les cités, le même fonctionnaire peut ordonner des opérations d’envergure, si possible spectaculaires et efficaces, envoyant les policiers de terrain dans le feu de l’action. Tout est question d’image, de paraître… Mais bien évidemment, on ne leur donne quasiment pas de moyens supplémentaires pour réaliser ces interpellations à hauts risques. Or pour pouvoir interpeller les criminels en flagrant délit, il faut des tuyaux fiables, ce qui implique de travailler avec des informateurs sur place. Et ceux-ci ne sont pas prêts à risquer leur peau gratuitement… Quand l’indicatrice d’Antoine accepte de les aider, elle monnaie l’information en échange d’une grosse quantité de haschich. Evidemment, la hiérarchie refuse de sortir la drogue des scellés, car officiellement, la police ne négocie pas avec les voyous. En revanche, Gregory et son équipe ont carte blanche pour “se démerder” et récolter la drogue nécessaire si cela peut les aider à réaliser le coup de filet de l’année.
L’équipe de Gregory n’est tout d’abord pas très chaude pour se lancer dans ce qui ressemble bien à un plan foireux. Risquer sa carrière ou pire, sa vie, pour une promotion qui leur rapportera, à tout casser, 100 € de plus par mois, à quoi bon? Mais la tentation de pouvoir enfin réaliser une arrestation qui compte, de se sentir utiles, finit par être plus forte et voilà les trois baqueux contraints de racketter les petits consommateurs de drogue pour pouvoir poursuivre leur grosse opération. C’est ce qui leur sera reproché au final et leur vaudra d’être dans le collimateur de l’IGPN.

On aurait pu penser que l’opposition entre les flics de terrain et ceux qui restent tranquillement assis derrière leurs bureaux, gradés, préfets ou ministres, qui donnent les ordres et récoltent tous les lauriers des arrestations de malfrats, allait être l’unique source de débat autour du film. Pourtant, au cours de la conférence de presse cannoise, un journaliste de l’AFP a surtout attaqué Cédric Jimenez pour sa façon de représenter les habitants des cités comme des “bêtes”, en utilisant des clichés qui font le jeu de l’extrême-droite.  Drôle d’idée… et débat ridicule.
Ce que montre le cinéaste marseillais est factuel. Le trafic de drogue dans les quartiers nord, il existe bel et bien. Et dans ces secteurs sensibles, l’accès aux HLM est surveillé par des guetteurs et des gros bras. C’est aussi ce que montre Hafsia Herzi, qui a grandi dans ces quartiers, dans son excellent Bonne mère.
Et personne – heureusement – n’a eu l’idée de l’attaquer sur ce sujet. Par ailleurs, il est clair que Cédric Jimenez n’a pas souhaité réaliser un pamphlet politique. Ce qui l’intéressait, c’est plus le cadre de son intrigue, prétexte à un polar haletant, et les personnages, complexes à souhait, à la fois héroïques et vulnérables. Et force est de constater qu’il a pleinement réussi à exploiter tout le potentiel de cette histoire.
Le metteur en scène se montre inspiré dans toutes les séquences d’action, notamment lors de celle de l’assaut d’un immeuble où doit se dérouler un important échange de drogue, qui fait monter la tension crescendo, et il réussit aussi tous les moments plus intimistes, où ces flics habitués à la violence et à la haine, montrent leur côté humain. Yassine est un peu stressé à l’idée de devenir père, mais attend avec impatience cet heureux évènement avec son épouse (Adèle Exarchopoulos), elle aussi policière. Antoine n’apprécie pas son indicatrice (Kenza Fortas) que pour les tuyaux qu’elle lui vend et construit avec elle une relation qui s’apparente à une connivence entre un grand frère et sa petite soeur. Greg, lui, considère ses collègues comme des amis. Leur compagnie au travail et en dehors lui est précieuse, essentielle. La trahison de son chef  (Cyril Lecomte) lui est d’autant plus insupportable qu’il l’a côtoyé depuis des années et qu’il le considérait presque comme un frère. Pour lui, la parole d’homme a une importance, l’honneur est une valeur essentielle. Cela le rapproche, paradoxalement, des truands qu’il traque quotidiennement. La différence, c’est que lui et son équipe oeuvrent pour le bien de l’ensemble de la population, pas pour envoyer les plus démunis dans des paradis artificiels. Ce ne sont pas des héros ni des idéalistes aveugles. ils savent qu’ils ne régleront pas tous les problèmes tous seuls, mais au moins ils essaient de faire de leur mieux pour limiter les problèmes. Leur mésaventure n’en est que plus cruelle, mais c’est ce qui fait l’intérêt des meilleurs films noirs.

Porté par un scénario ciselé, coécrit par Cédric Jimenez et Audrey Diwan, par la mise en scène inspirée du cinéaste marseillais et par un casting impeccable, Bac Nord est de ceux-là. Présenté hors-compétition lors du 74ème Festival de Cannes, on se dit qu’il aurait très bien pu avoir sa place dans la course à la Palme d’Or. En tout cas, il n’a pas usurpé sa place en sélection officielle.

 


Bac Nord
Bac Nord

Réalisateur : Cédric Jimenez
Avec : Gilles Lellouche, François Civil, Karim Leklou, Kenza Fortas, Cyril Lecomte, Adèle Exarchopoulos, Michaël Abiteboul
Genre : Noir
Origine : France
Durée : 1h44
Date de sortie France : 18/08/2021

Contrepoints critiques :

Bac Nord est un excellent film policier anxiogène à souhait. Il offre des séquences virtuoses à l’exemple d’une scène de siège d’une rare intensité.”
(Caroline Vié – 20 minutes)

”Tendance cinquante nuances de droite sur fond de faux accent marseillais, le film démago et viriliste de Cédric Jimenez est raté autant dans son exécution que dans ses intentions.”
(Luc Chessel – Libération)

Crédits photos : Copyright Jérôme MACE/Chifoumi Productions

REVIEW OVERVIEW
Note :
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Rédacteur en chef de Angle[s] de vue, Boustoune est un cinéphile passionné qui fréquente assidument les salles obscures et les festivals depuis plus de vingt ans (rhôô, le vieux...) Il aime tous les genres cinématographiques, mais il a un faible pour le cinéma alternatif, riche et complexe. Autant dire que les oeuvres de David Lynch ou de Peter Greenaway le mettent littéralement en transe, ce qui le fait passer pour un doux dingue vaguement masochiste auprès des gens dit « normaux »… Ah, et il possède aussi un humour assez particulier, ironique et porté sur, aux choix, le calembour foireux ou le bon mot de génie…

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