Que se passe-t-il? Une invasion de vikings? C’est la question que s’est posée la Croisette, en voyant tous ces individus coiffés de casques à cornes défiler aux alentours du Palais, puis sur les célèbres marches. Il s’agissait en fait d’une opération communication autour de Dragons 2, présenté aujourd’hui en sélection officielle, hors compétition.
Ce film d’animation a entraîné les festivaliers dans de virevoltants combats aériens, et une intrigue menée tambour battant. Au point que certains sont sortis de la projection un peu essoufflés.

Dragons 2 - 3

Un rythme bien différent de celui de Winter sleep, le nouveau film de Nuri Bilge Ceylan, qui s’étire sur plus de trois heures. Trois heures de dialogues éprouvants, de disputes, de joutes verbales. Un flot de paroles massif pour mieux souligner l’incommunicabilité entre les êtres, entre les classes sociales, entre les forts et les faibles. Là aussi, beaucoup de festivaliers en sont sortis un peu sonnés. Ou saoulés, selon les goûts et le seuil de tolérance face à un cinéma d’auteur radical.
Mais globalement, le film a été très applaudi par les festivaliers et a toutes ses chances pour figurer au palmarès samedi prochain.

L’accueil réservé au nouveau film d’Atom Egoyan, Captives, a été un peu plus frais. Peut-être à cause de son casting, Ryan Reynolds ne semblant pas faire l’unanimité chez les festivaliers, de son sujet – les réseau de pédophiles – qui fait frémir tous les parents ou de son allure de thriller très classique, aux effets appuyés.
Il serait réducteur, pourtant, de ne considérer Captives  que comme un vulgaire film de série B. Le cinéaste poursuit l’exploration des thématiques qui avaient séduit les spectateurs, il y a quelques années, dans De beaux lendemains : le deuil impossible, la vérité cachée sous le vernis lisse des apparences, l’opposition entre le Bien et le Mal…   Ce film-là n’est pas son meilleur, loin de là, mais il n’en demeure pas moins un intéressant morceau de cinéma, ne serait-ce que pour sa structure narrative morcelée, s’affranchissant des conventions temporelles.

la chambre bleue - 3

Autre expérience narrative, La Chambre bleue, de Mathieu Amalric, présenté dans le cadre de la section Un Certain Regard. La structure particulière du film, racontant ce drame criminel et passionnel par le biais des souvenirs du personnage principal et de divers interrogatoires judiciaires, était déjà contenue dans le roman éponyme de George Simenon, mais le plus difficile était sans doute de restituer à l’écran la complexité psychologique des personnages et d’exprimer l’intensité de leur passion amoureuse. Pari tenu, haut la main, par le réalisateur de Tournée qui signe un film à la fois sensuel et vénéneux, piégeant le spectateur de la même façon que son protagoniste principal.

L’Amour fou était aussi au coeur du film de Jessica Haussner, présenté lui aussi dans le cadre de “Un Certain Regard”. Les avis sont partagés sur  ce film présenté comme “une comédie romantique inspirée du suicide de Heinrich Von Kleist”. Tout un programme… Il est vrai que Jessica Haussner est une cinéaste atypique, et ce nouveau long-métrage est probablement aussi  étrange que ses films précédents (Lovely Rita, Hotel et Lourdes…).
Côté Quinzaine, les festivaliers ont pu découvrir Catch me Daddy, un thriller décrivant un crime d’honneur dans ne communauté pakistanaise du Yorkshire (pas fun…), et Gett, Le Procès de Viviane Amsalem de Ronit et Schlomi Elkabetz, articulé autour d’une femme israélienne cherchant à divorcer de son mari, mais se heurtant à la lourdeur d’un système plombé par les traditions religieuses et le patriarcat. Les deux films ont apparemment séduit le public.

self made - 2

Puisque nous avons parlé d’invasion viking en début de cet article, bouclons le de la même manière, mais dans la sélection de la Semaine de la Critique. L’héroïne de Self made, Michal, une artiste israélienne, doit faire face à l’invasion de meubles d’une enseigne suédoise dans son appartement, pendant que son mari est lui-même en Suède pour y conclure un contrat.
En fait, tout commence avec un problème de mobilier. Alors que le couple dort tranquillement, leur sommier s’effondre complètement et Michal chute violemment. Alors que son mari part pour son voyage d’affaires, Michal commande un nouveau lit sur internet. Elle le reçoit très vite et essaie de le monter elle-même, mais elle se heurte à un problème de vis manquante. Mais, alors qu’elle essaie de régler le problème avec l’enseigne, elle réalise qu’elle aussi a un boulon en moins. Elle a perdu partiellement la mémoire. Elle se rappelle très bien de son mari, mais elle ne sait plus du tout comment elle s’appelle, ni quelle est sa profession.
Pas simple, quand se succèdent des média venus l’interviewer sur sa nouvelle installation, qui s’apprête à être dévoilée dans quelques jours, et qu’elle voit débouler un musicien qui joue pour attendrir la chair des crabes (sic), un réparateur informatique, et des hommes venus lui livrer des dizaines de meubles suédois, cadeaux de l’enseigne en dédommagement du préjudice subit.
A partir de là, on se dit que le film va continuer dans le registre de la comédie loufoque, mais il prend un tout autre chemin, celui d’une fable fantastique qui entremêle la quête identitaire de Michal avec le parcours d’une jeune palestinienne, ouvrière dans l’entrepôt de la marque de mobilier. Elle se croisent à un checkpoint et, suite à une confusion sur leurs identités respectives, se retrouvent contraintes de prendre la place l’une de l’autre.
Certains rejetteront sans doute le film, le jugeant trop abscons, trop complexe, mais il s’agit d’un objet cinématographique solide (plus que le lit de Michal…) d’une intelligence et d’une subtilité rares, où l’on retrouve toute la poésie de Shira Geffen, auteure, avec Etgar Keret, de l’excellent Les Méduses, Caméra d’Or à Cannes en 2007.

Cannes-Poster-2014

SHARE
Previous article[Festival de Cannes 2014] “Winter sleep” de Nuri Bilge Ceylan
Next article[Festival de Cannes 2014] “Relatos salvajes” de Damian Szifron
Rédacteur en chef de Angle[s] de vue, Boustoune est un cinéphile passionné qui fréquente assidument les salles obscures et les festivals depuis plus de vingt ans (rhôô, le vieux...) Il aime tous les genres cinématographiques, mais il a un faible pour le cinéma alternatif, riche et complexe. Autant dire que les oeuvres de David Lynch ou de Peter Greenaway le mettent littéralement en transe, ce qui le fait passer pour un doux dingue vaguement masochiste auprès des gens dit « normaux »… Ah, et il possède aussi un humour assez particulier, ironique et porté sur, aux choix, le calembour foireux ou le bon mot de génie…

LEAVE A REPLY