Hop! A peine le temps de se remettre de nos émotions de la veille qu’il faut découvrir la suite de la programmation. Trois films en compétition, la suite des rétrospectives, les nouveaux films de Tsui Hark et d’Apichatpong Weerasethakul présentés hors compétition et, surtout, l’hommage à Wong Kar Wai, en sa présence.
Bon, j’avoue, j’ai sciemment délaissé le film de l’ami Apichatpong, Mekong Hotel, projeté en tout début de matinée. Je n’ai pas eu envie de découvrir ce film-là. Pas à une heure aussi matinale en tout cas. Vu la lenteur annoncée de l’oeuvre, c’était un coup à se rendormir direct, ça… Cela dit, c’était sûrement un film très intéressant…
En revanche, j’ai suivi assidument la compétition, qui a alterné le bon et le moins bon aujourd’hui.
Petite revue des prétendants au Lotus du meilleur film…
Apparition de Vincent Sandoval ●●●●○○
Dans Apparition, Vincent Sandoval revient sur une page sombre de l’histoire de son pays, les Philippines : la dictature de Ferdinand Marcos, dans les années 1970, et la violente répression des opposants au pouvoir en place. Mais il aborde le sujet à travers le prisme d’une communauté religieuse évoluant loin de l’agitation du pays, dans un couvent isolé.
Les Soeurs du Monastère de l’Adoration passent leurs journées à prier et à vaquer à leurs occupations quotidiennes, pour le bien de la communauté. Le couvent est un sanctuaire sacré où rien ne doit pouvoir troubler les voeux qu’elles ont prononcés. En échange, les Soeurs doivent accepter les règles strictes de la communauté et obéir aux injonctions de la Mère Supérieure.
Mais, évidemment, dans ce contexte trouble, où les affrontements politiques et religieux font rage, il est difficile de rester hermétique au monde extérieur.
Une des nonnes, Soeur Remy, reçoit la visite de sa famille et apprend qu’un de ses frères a disparu, probablement arrêté par la police d’état à cause de ses idées politiques hostiles au régime en place. Elle a instantanément envie d’aider sa famille et d’apporter son soutien à tous ceux dont les proches ont disparus, victimes des rafles du gouvernement. Mais la Mère Supérieure s’y oppose. Elle ne veut pas que les membres de sa communauté s’impliquent dans la situation politique des Philippines. Cela risquerait de mettre en péril l’ensemble de la communauté.
Soeur Remy va désobéir aux ordres, entraînant dans son sillage une novice fraîchement arrivée au couvent, Soeur Lourdes…
Même si les contextes politiques et les cadres de vie sont sensiblement différents, l’approche de Vincent Sandoval nous rappelle à la fois celle de Diego Lerman dans son film, L’Oeil invisible et celle de Xavier Beauvois dans Des Hommes et des Dieux. Il ne quitte jamais le couvent ou ses abords immédiats, ne montre rien de la situation extérieure, mais fait lentement monter la tension autour des personnages, jusqu’à l’irruption, attendue, de la barbarie. Le parti pris est courageux. Tout se déroule dans cet endroit reclus, coupé du monde, où le silence est érigé en vertu. Pour capter toutes les émotions qui assaillent les personnages, le cinéaste s’attache à filmer leurs visages au plus près, en gros plan.
C’est à travers les regards, les expressions du visage que l’on parvient à comprendre les dilemmes moraux qui les tourmentent. Le film pose en effet des questions passionnantes : Quelle attitude adopter face à l’autorité? S’y soumettre ou se rebeller, si elle semble injuste? Et quel est alors le prix à payer? D’une manière plus générale, quelle attitude adopter face à un drame extérieur? Faut-il détourner le regard et taire son émotion ou bien intervenir pour sauver son prochain, au péril de sa propre vie? Et comment garder la foi dans un contexte aussi tragique, aussi violent, aussi éprouvant?
Vincent Sandoval n’a pas forcément toutes les réponses à ces questions complexes. Mais il a choisi, lui, de ne pas détourner le regard. A travers le calvaire enduré par la jeune Lourdes, il fustige la folie des hommes, leur barbarie et toute forme d’oppression.
Même si elle ne possède pas tout à fait l’intensité des chefs d’oeuvre du septième Art, et pâtit parfois d’une mise en scène un peu trop appliquée, Apparition reste une oeuvre convaincante, portée par des interprètes féminines constamment justes et émouvantes.
The Last supper de Lu Chuan ●●○○○○
Vous rêviez de tout savoir sur le premier empereur de la dynastie Han, en l’an 200 avant JC ? Alors ce film est pour vous. Et si vous n’en rêviez pas, tant pis pour vous, car c’est le sujet du film de Lu Chuan.
Le résultat est un film historique très classique, qui ne manque pas de moyens, ni de talents, devant et derrière la caméra, mais qui, avouons-le tout de suite est franchement soporifique et ultra-prévisible. On a déjà vu cent fois ces histoires d’alliances et de trahisons au coeur de la Chine Impériale, ces batailles entre guerriers des différents clans qui composaient la Chine de l’époque. Et, pour le plaisir du jeu de mot, on en a soupé.
Surtout que celle reconstitution-ci, contrairement à d’autres, est vraiment mal fichue, entre sa narration fragmentée, ses scènes d’actions rares et peu palpitantes, ses séquences redondantes sur le déclin de l’empereur et ses relations heurtées avec son plus fidèle lieutenant.
La déception est d’autant plus grande qu’on avait beaucoup aimé City of life and death, du même réalisateur. Là, en dehors de quelques séquences esthétiquement réussies, il n’y a pas grand-chose à tirer de ce film assez plat et fort peu enthousiasmant, que l’on risque d’oublier rapidement. Next…
I.D. de Kamal K.M. ●●●●○○
Charu, une jeune femme indienne, vient s’installer à Bombay, en colocation avec une amie. Elle doit y passer un important entretien d’embauche, dans le service marketing d’une entreprise de télécoms.
Alors qu’elle est sur le point de sortir de l’appartement, un homme sonne à la porte. C’est l’ouvrier envoyé pour repeindre le salon, qui devait passer la veille. Charu lui en fait le reproche, mais le laisse faire son travail. A un moment, l’homme s’effondre, victime d’un malaise. La jeune femme tente de trouver du secours, d’appeler une ambulance, mais se retrouve obligée de l’accompagner elle-même à l’hôpital et de payer les soins d’urgence, car l’homme n’a aucun papier d’identité sur lui.
Quand l’homme décède des suites de son opération, elle essaie de retrouver ses proches.
Pas évident de retrouver la famille d’un individu dont on ne connaît ni le nom, ni le prénom, et encore moins les détails sur la zone géographique dont il est originaire, dans une ville qui compte la bagatelle de 12 millions d’habitants, et 20000 habitants par kilomètre carré…
A la façon d’un Brillante Mendoza, le cinéaste choisit de suivre son héroïne de près, caméra à l’épaule, tout au long du film. ce sont les appels téléphoniques de la jeune femme, ses déplacements, ses tentatives d’identifier cet homme coûte que coûte qui rythment le film.
Cela permet de bien montrer le décalage entre Charu, jeune femme BCBG, issue d’un milieu pas forcément riche, mais relativement aisé, et les habitants des bidonvilles, les travailleurs occasionnels, anonymes parmi les anonymes, qui tentent de se faire une petite place dans cette ville tentaculaire. En tailleur chic et en talons aiguilles, iphone greffé à la main, l’héroïne parcourt les ruelles boueuses et crasseuses des quartiers les plus pauvres de la ville. L’image est frappante…
Le film, plutôt bien mené et respectueux de son parti-pris de départ, n’aboutit à rien d’autre que ce constat de fracture sociale de plus en plus manifeste entre les plus riches et les plus pauvres, dans une société pourtant en plein essor économique. C’est déjà ça, même si on aurait aimé que le cinéaste aille un peu plus loin dans cette thématique-là.
I.D. n’est donc pas un grand film, mais cela reste une oeuvre de festival très correcte, qui aura peut-être séduit une partie du jury…
Un qui aurait pu mettre le jury d’accord, c’est l’invité d’honneur de ce troisième jour de festival, le cinéaste hongkongais Wong Kar Wai.
Ses éternelles lunettes noires vissées au visage, l’auteur des remarquables In the mood for love, Nos années sauvages, et autres Chungking express a honoré la cité normande de sa présence, à l’occasion de la rétrospective qui lui est consacrée, mais aussi de la présentation, en avant-première, de son nouveau long-métrage, The Grandmaster.
Avant cela, les spectateurs ont eu la stupeur de voir débarquer sur scène d’étranges “petits hommes verts”. Des extra-terrestres? Si tel était le cas, rassurez-vous braves gens, ils sont plus occupés à se battre entre eux qu’à envisager de s’attaquer au genre humain.
Non, en fait, ces “petits” hommes verts étaient en fait des disciples du Wing Chun, l’art martial enseigné par le héros de The Grandmaster, Ip Man, une figure mythique du kung-fu chinois. La troupe a gratifié le public d’une démonstration spectaculaire de cet art martial qui repose plus sur la précision des mouvements que sur la force brute.
De façon moins physique, le président du Jury, Jérôme Clément, et le maire de Deauville, Philippe Augier, ont remis à Wong Kar Wai le Lotus d’honneur et la médaille de la ville. Le cinéaste hongkongais s’est déclaré heureux de pouvoir présenter son film aux festivaliers, ajoutant ces quelques mots : “Si vous êtes un fan pur et dur de films de kung-fu, vous devriez aimer The Grandmaster. Si vous n’aimez pas les films de kung-fu, il est temps de vous y mettre. Et si vous n’avez jamais vu de film de kung-fu, c’est encore mieux!”.
Bon, vous allez me dire que les démonstrations, les trophées, les discours, tout ça, c’est bien beau, mais que vous voulez surtout savoir si The Grandmaster est bien l’oeuvre d’un grand-maître du 7ème Art ou le chant du cygne d’un réalisateur sur le déclin… Minute, les amis! On y vient…
The Grandmaster de Wong Kar Wai ●●●●●●
Cela faisait longtemps que Wong Kar Wai voulait réaliser un film sur Ip Man, artiste martial connu pour avoir été le maître de Bruce Lee et pour avoir répandu la pratique du Wing chun bien au-delà des frontières chinoises. Même quand, il y a cinq ans, un autre studio a mis en chantier un projet similaire (Ip man de Wilson Yip, et ses suites), le cinéaste hongkongais a continué à développer son propre scénario, son propre film.
Pourquoi un tel attachement à signer cette biographie?
Hé bien le sujet permet déjà à Wong Kar Wai de réaliser le film de kung-fu qui manquait à sa filmographie. Comme Kubrick en son temps, le cinéaste semble vouloir toucher à tous les genres, et notamment aux genres les plus populaires dans son pays d’origine. Il avait signé son film de sabre (Les Cendres du temps), son film de gangsters (As tears go by), son film noir (Chungking express), son film de science-fiction (2046) et même un road-movie à l’américaine (My blueberry nights). The Grandmaster est donc son film de kung-fu. Un film d’arts martiaux assez classique, avec des combats subtilement chorégraphiés par l’inévitable Yuen Woo Ping, mais possédant cette patine caractéristique du style de Wong Kar-wai.
Ensuite, parce que le portrait de ce maître du kung-fu (joué par Tony Leung) qui a fait beaucoup de sacrifices personnels pour atteindre la perfection de son art, couplé avec le parcours de la belle et redoutable Gong-Er (Zhang Ziyi), elle aussi totalement dévolue à sa pratique du kung-fu, trouve une résonnance dans la façon de travailler de Wong Kar-Wai. Lui aussi est un maître, pas de kung-fu, mais de cinéma. Il est réputé être perfectionniste, maniaque du moindre détail, peaufinant encore et toujours ses oeuvres jusqu’à leur donner la teinte voulue, la luminosité adéquate, le rythme parfait. Dont acte. Son Grandmaster est une pure splendeur visuelle et contient de magnifiques moments de cinéma.
Et enfin parce que la relation amoureuse impossible entre Ip Man et Gong Er permet au cinéaste de broder sur son thème favori : l’amour et ses tourments. Comme 2046, comme In the mood for love, comme My Blueberry nights…
Contrairement à ce qu’a affirmé le cinéaste, les puristes seront probablement déçus par la partie kung-fu à proprement parler, car passée une scène introductive assez spectaculaire, les combats et les démonstrations martiales se font plus rares. Non, ce n’est certainement pas le film de kung-fu le plus spectaculaire ou le plus entraînant, pas plus que Les cendres du temps n’était le plus enthousiasmant des wu-xia… Mais le résultat reste quand même tout à fait honnête, et ne sert que de trame de fond à la partie romantique et intimiste, que Wong Kar-Wai maîtrise à la perfection.
Certains lui reprocheront sans doute de ne pas se renouveler. D’accord, il ne fait que décliner ce qu’il avait déjà magistralement orchestré dans In the mood for love. D’accord, il use et abuse des mêmes effets de mise en scène et de montage. Et alors? Il n’est ni le premier, ni le dernier à rester fidèle à une esthétique et à une thématique donnée. Le cinéma de Woody Allen, par exemple, évolue peu, ce qui n’empêche pas le bonhomme de nous offrir un film par an, et de nous glisser, de temps en temps, une petite merveille…
J’avoue que la première partie du film, bien qu’esthétiquement réussie, m’a un peu laissé sur ma faim. Mais le récit monte en puissance, peu à peu, pour atteindre son point culminant à la toute fin du film, et le dernier face-à-face entre Ip Man et Gong-Er. Grâce à la précision de la mise en scène de Wong Kar-Wai, grâce à la beauté de ses cadrages, de ses couleurs, de sa photographie, grâce aux performances remarquables de Zhang Ziyi et de Tony Leung, l’émotion finit par déferler sur le spectateur, emportant tout sur son passage.
Comme Sono Sion la veille avec The Land of hope, Wong Kar-Wai nous laisse quitter la salle pantelants, vaincus par la beauté de son film.
Alors, le cinéaste hongkongais fait peut-être toujours le même film, mais tant qu’il réussira, avec les mêmes effets, à nous étonner et nous bouleverser comme il le fait avec le final de son Grandmaster, on n’ira certainement pas s’en plaindre…
On est heureux de voir que les grands noms du cinéma asiatique sont fidèles à leur réputation et nous offrent, cette année, des films de très haute tenue. On a adoré The Land of hope, on s’est laissés emporter par The Grandmaster et on attend encore, pour demain et après-demain, des films de Chen Kaige, Brillante Mendoza, Kim Ki-duk et Kiyoshi Kurosawa. Si eux aussi ont eu l’inspiration, cela devrait donner des oeuvres intéressantes. A suivre, donc…
Un qui, en revanche, n’est pas à la hauteur de sa réputation cette année, c’est Tsui Hark. Son Dragon gate ne nous a pas du tout emballés…
Dragon Gate, la légende des sabres volants de Tsui Hark ●○○○○○
Les copains qui avaient découvert le film au Paris International Fantastic Film Festival nous avaient prévenus que le film n’était pas terrible. Mais la plupart avaient mis leur déception sur le compte des effets de relief foireux, en raison des mouvements de caméra trop rapides pour que l’oeil ait le temps de s’habituer à la 3D.
Alors, on les rassure tout de suite, c’était moche en 3D, et ça l’est tout autant en 2D. Notamment parce qu’on voit un peu trop les ficelles des effets de relief, assez basiques et mal mis en scène.
S’il n’y avait que cela, on serait indulgent avec ce film d’action et d’aventures, mené à un rythme d’enfer et ponctué de combats joliment chorégraphiés. Seulement voilà, difficile de s’abriter derrière la 3D pour justifier les incohérences du scénario – dont le rebondissement le plus nul que l’on ait vu depuis longtemps, c’est dit – le côté cheap des effets spéciaux, le jeu outrancier des acteurs, ou la mise en scène de Tsui Hark, qui semble s’autoparodier de bout en bout.
Pour résumer le truc, c’est une sorte de chasse au trésor dans une Chine médiévale-fantastique, opposant les eunuques les plus puissants du pays – des gaillards au regard qui fait peur – à un groupe de rebelles mené par Yu Hua Tian (Jet Li), des guerriers tartares, et un duo de brigands.
Les méchants ne cherchent que de l’or, les gentils cherchent surtout la Justice et l’Amour. Qui va triompher à votre avis?
On ne peut pas dire que l’on s’ennuie devant ce spectacle calibré pour le plus grand nombre mais les invraisemblances du scénario, le cabotinage de certains acteurs et la paresse de l’ensemble finissent par plomber sérieusement l’ambiance.
Tsui Hark ferait mieux de revenir à plus de simplicité. Avant, il n’avait pas besoin de tout ces effets, de tous ces moyens financiers , pour réaliser des petits bijoux de film d’action, comme Histoires de cannibales. Là, cet objet filmique boursouflé et sans âme nous agace plus qu’il ne nous enthousiasme…
C’est donc sur une mauvaise note que se termine cette troisième journée de projections. Dommage … Espérons que la suite du programme sera plus à la hauteur de nos attentes.
A demain pour la suite de nos chroniques en direct du Festival du Film Asiatique de Deauville…
The grandmaster est le chef d’oeuvre à suivre de près, je ne l’ai pas encore vu mais c’est sûr que ce sera bon, je l’attend avec impatience.
mistergoodmovies.net
Personnellement, parmi les bons films de ce Deauville Asia 2013, mon préféré reste « The Land of hope » de Sono Sion. Mais « The Grandmaster » est un Wong Kar Wai pur jus, esthétiquement superbe et impressionnant de maîtrise.