Curieux film que ce Damsels in distress.
On y croise des étudiantes intelligentes mais naïves pour ce qui est des choses de l’amour et des étudiants qui sont tout l’opposé, des neuneus bourreaux des coeurs…
On y apprend que la balle anti-stress est un bon outil pour surmonter une rupture sentimentale, que l’on peut efficacement traiter la dépression au savon parfumé et que l’on peu éviter des tentatives de suicides à l’aide de cours de claquettes…
on y apprend qu’il y avait deux justiciers masqué, Zorro et Xorro (ça se prononce pareil), qui signaient respectivement leur nom à la pointe de leur épée, d’un Z pour l’un, d’un X pour l’autre, mais que ce dernier était l’objet de moqueries parce qu’on le croyait analphabète…
On y découvre les moeurs amoureuses des cathares et on y danse la “sambola”, une nouvelle mode musicale en devenir…
On y voit des jeunes gens rejouer la décadence de l’empire romain et les invasions barbares, sans avoir conscience qu’ils mettent en scène leur propre décadence…
Et, derrière toutes ces choses en apparence futile, derrière cet emballage de comédie loufoque, on y trouve une réflexion sur la normalité et la différence, la fantaisie et le sérieux, sur l’évolution des relations humaines…  Pour un film bien plus subtil et profond qu’il n’y paraît…

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La trame narrative pourrait être elle de n’importe quelle comédie de campus mâtinée de romance. On y suit la vie d’un groupe de jeunes étudiantes, entre amours compliquées, considérations sur la vie en général, et discussions en tout genre.
Lily (Analeigh Tipton) débarque sur le campus de l’université Seven Oaks, en Nouvelle Angleterre. Elle sympathise immédiatement avec un groupe de filles composé de Heather (Carrie MacLemore), Rose (Megalyn Echikunwoke) et Violet (Greta Gerwig, en état de grâce : aérienne, charmante, drôle et touchante, tout en finesse et en élégance) et s’installe dans le même dortoir. Mais autour d’elle, on lui conseille de s’éloigner de ces filles un peu folles, dont l’attitude et les activités suscitent les sarcasmes des autres étudiants.

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Il faut dire que Violet, le leader du groupe, peut se montrer agaçante, car elle n’arrête pas de parler de façon péremptoire. Et ses copines sont elles aussi promptes à donner des leçons de morale aux autres étudiants.
Le trio s’estime supérieur au reste du campus, plus mature, plus intelligent (et à juste titre, le plus souvent…). Mais pour autant, elles ne sont pas de ces pestes insupportables qui passent leur temps à dénigrer les autres et à les mépriser. Au contraire, elles entendent mettre leur intelligence et leur maturité au service de leurs camarades en difficulté. Elles s’occupent notamment du Centre de prévention du suicide, un local type “SOS détresse amitié” où les dépressifs peuvent venir manger un donut et confier leurs malheurs aux trois bénévoles, qui ont toujours de bons conseils à prodiguer. Et dès qu’elles estiment que quelqu’un risque de mettre ses jours en danger, hop, elles le prennent en charge et l’inscrivent au programme de prévention du suicide par la pratique des claquettes, un cours de danse thérapeutique dirigé par le remuant “Freak” Astaire (Nick Blaemire) et l’agressive Debbie (Aubrey Plaza).
Elles mènent aussi l’opposition contre les projets du rédacteur en chef de la revue étudiante, en croisade pour la fermeture des confréries du campus, ce qui nuit à leur popularité…

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Et puis, surtout, les trois filles ont, en matière de vie sentimentale, quelques principes assez atypiques. Elles dédaignent les bellâtres, les séducteurs sexy et les mecs les plus cools au profit de types qui leurs sont inférieurs, des ados au physique ingrat et/ou un peu bas du casque, mais qui ont l’avantage de présenter une plus ou moins grande marge de progression (ça reste à voir…)(1). Par exemple, Frank (Ryan Metcalf), le petit copain de Violet, un abruti complet dont les rares neurones sont anesthésiés par l’alcool, et Thor (Billy Magnussen), un surdoué qui a sauté les classes de maternelle et, du coup, ne connaît pas les couleurs.
Lily, elle, n’a pas vraiment l’intention de suivre leur exemple. Elle est plutôt attiré par les playboys cools, du genre Xavier (Hugo Becker), un beau gosse francophile qui nourrit une obsession pour la Nouvelle Vague et le mode de vie des cathares ou par Charlie (Adam Brody) un golden boy qui travail dans une industrie de pointe. Petit à petit, elle prend ses distances avec le reste du groupe…

Dans le même temps, Violet voit ses théories ébranlées par la découverte de l’infidélité de Frank – même les neuneus ont le droit de tromper leur compagne – et se retrouve à la place de la “demoiselle en détresse”, déprimée. Ou plutôt, non, elle n’est pas “déprimée”. Elle préfère dire qu’elle “part en vrille”… Tout est dans la nuance…

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Cette trame narrative truffée de poncifs, que Whit Stillman se fait un plaisir de dynamiter à grand coup d’humour loufoque et de dialogues pleins d’esprit et de finesse, sert surtout à opposer deux conceptions du monde, et deux caractères, celui de la terre-à-terre Lily et celui de la rêveuse Violet.
La première veut être quelqu’un de “normal”, rentrer dans le rang et se fondre dans la masse pour s’intégrer au reste de la société. Elle ne cherche pas à améliorer les choses, juste à continuer à faire fonctionner le système, en vivant avec son temps.
La seconde, elle, est une idéaliste, elle espère encore changer le monde, ou au moins préserver, autant que faire ce peut, ce que les sociétés passées avaient de bénéfique. Elle et ses amies semblent appartenir à une autre époque, plus raffinée, où les rapports entre hommes et femmes étaient plus civilisés, où la politesse et la gentillesse étaient encore considérées comme des vertus, où l’esprit primait sur le physique. Une époque qui pourrait correspondre aux années 1930, quand les danses de Fred Astaire et Ginger Rogers ravissaient les yeux des spectateurs sur grand écran… Elles ont conscience de l’imminence du déclin de leur civilisation, qui voit les barbares (les hommes modernes, incultes et sales) prendre le dessus sur les “romains” (les confréries, désignées à Seven Oaks, par des lettres, non pas grecques, mais romaines, et dont les membres, censément instruits et bien éduqués, sont en pleine décadence).

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Whit Stillman aime à montrer des personnages qui s’opposent et des univers qui se délitent. C’est une constante de son oeuvre, qui prend, de film en film, de plus en plus d’ampleur.
Metropolitan, son premier long-métrage, était une comédie grinçante autour d’un groupe de jeunes appartenant à la “Haute-Bourgeoisie Urbaine” (UHB), dont les manières et le phrasé ressemblent beaucoup à ceux de Violet et ses amies. Des hommes et des femmes plus vraiment en phase avec leur époque et les bouleversements induits tant par la libéralisation des moeurs que celle de l’économie.
Barcelona, son second, plongeait ses personnages, des yuppies américains coincés et frustrés, dans l’ambiance particulière de la cité catalane.
Son troisième, Les Derniers jours du disco, se déroulait au début des années 1980, à la fin du mouvement disco et des night-clubs décadents, comme le Studio 54. Il parlait clairement d’un changement d’époque et de mentalités, une évolution vers un monde plus individualiste et plus puritain.

Damsels in distress
s’inscrit fort logiquement dans cette lignée. Plus léger et moins amer que Les Derniers jours du disco, il baigne malgré tout dans une ambiance un brin nostalgique et mélancolique, que renforce l’emploi d’un grain d’image velouté et lumineux et le recours à une bande-originale aux sonorités d’antan. Stillman évoque une époque révolue pour mieux marquer le contraste avec l’époque actuelle, symbolisée par les barbares dépourvus de manières, d’esprit et de finesse. Conscient que son film, atypique, ne plaira pas à tout le monde, le cinéaste n’hésite pas à se faire – et nous faire – plaisir avec des séquences musicales dignes des vieux classiques avec Fred Astaire, dont un beau numéro de claquettes en guise de final et l’explication en images de la Sambola pendant le générique de fin. Il ose aussi s’aventurer dans le registre de l’absurde, avec de belles scènes de dialogues surréalistes – l’histoire de Zorro et Xorro – et de situations farfelues – l’histoire d’Emily Twitter (Coquelet)… Mais derrière ces envolées comiques, il y a une mécanique très bien huilée, qui permet de s’attacher aux personnages, à leurs fêlures, à leurs divergences d’opinion sur les choses de la vie et de l’amour.

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Le cinéaste signe une oeuvre qui évolue sciemment à contre-courant de ce qui se fait en ce moment à Hollywood, tout en respectant les codes du genre et recyclant ses poncifs habituels. Ainsi, il entend résister à l’industrie cinématographique américaine de masse et se démarquer d’une certaine image du cinéma indépendant, trop sérieuse et rébarbative, pour proposer quelque chose de différent, à mi-chemin entre les comédies sophistiquées de George Cukor, les comédies musicales de jadis, les marivaudages intellos de Woody Allen période Annie Hall ou Manhattan et les univers décalés de Wes Anderson.

En ce sens, Whit Stillman ressemble beaucoup à son personnage principal, l’anticonformiste Violet.
La jeune femme sait bien qu’elle ne peut pas aller contre le cours des choses, qu’elle ne pèse pas lourd face à l’évolution de la société, mais elle continue à afficher son optimisme. Et surtout, elle continue à défendre ceux qui ne sont pas dans la norme. Les gens laids, les crétins et les plus faibles ont eux aussi besoin d’un peu de tendresse et de compassion. Et les gens “normaux” ont parfois besoin d’un peu de fantaisie pour égayer leur quotidien.
Oui, on a grand besoin de la loufoquerie de Violet pour échapper à la morosité ambiante. On aimerait qu’elle nous communique un peu de son éternelle joie de vivre, qu’elle nous apporte sa générosité, son altruisme. On voudrait du Fred Astaire, “de la lumière comme en Nouvelle-Angleterre” (2) pour dissiper la grisaille. Et on a bien besoin du talent de Whit Stillman pour trousser des comédies comme celles-ci, véritable petit rayon de soleil.

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Oui, curieux film que ce Damsels in distress. Un film surprenant, dans lequel on peut avoir un peu de mal à rentrer, mais qui s’avère in fine rafraîchissant, stimulant, plein de charme et d’humour, et porté par des acteurs magnifiques, Greta Gerwig en tête.
On ne sait pas si les savonnettes parfumées ont un effet réel sur la dépression, mais il est en revanche avéré qu’une comédie bien ficelée est le meilleur des remèdes contre l’humeur maussade.
Aussi, on espère que ce joli petit film, malgré sa distribution restreinte sur le territoire français, trouvera son public et diffusera un peu de bonheur autour de lui. Et on espère qu’on ne sera pas obligé d’attendre treize années supplémentaires pour découvrir le prochain film de Whit Stillman, cinéaste rare et donc précieux…
(1) : Chère Greta Gerwig. Ô adorable Greta. S’il faut être un looser pour vous faire craquer, gente demoiselle en détresse, alors sachez que je suis le roi des loosers. D’ailleurs, il y a plein de détracteurs de mes chroniques qui se feront un plaisir de vous le confirmer. Alors, à quand un rendez-vous?
(2) : tiré de “Jardin d’hiver”, chanson de Keren Ann & Benjamin Biolay

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Damsels in distressDamsels in distress
Damsels in distress

Réalisateur : Whit Stillman
Avec : Greta Gerwig, Analeigh Tipton, Adam Brody, Ryan Metcalf, Carrie MacLemore, Megalyn Echikunwoke
Origine : Etats-Unis
Genre : comédie sophistiquée
Durée : 1h39

Date de sortie France : 03/10/2012
Note pour ce film :

contrepoint critique chez : TF1 News
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