Depuis une dizaine d’années, le cinéaste iranien Abbas Kiarostami versait dans un cinéma expérimental et conceptuel assez vain, voire totalement insupportable même pour le plus radical des cinéphiles. Pour son retour à la compétition cannoise, treize ans après la Palme d’or obtenue par Le goût de la cerise, il a opté pour une narration plus traditionnelle – du moins en apparence.

Après avoir usé et abusé du plan fixe dans ses oeuvres précédentes, il semble s’être souvenu que la caméra pouvait aussi être mobile, que le mot “cinéma”, étymologiquement parlant, signifie “mouvement”, et nous offre donc un film en déplacement permanent. 
Physiquement, déjà, puisque Copie Conforme nous emmène pour un voyage en Toscane.
“L’histoire” débute par une rencontre : Une française, galeriste à Florence (Juliette Binoche), assiste à la conférence promotionnelle d’un écrivain anglais (William Shimell), qui vient de signer un essai sur la contrefaçon dans le monde de l’art. Juste après, elle invite ce dernier à visiter sa galerie, à lui dédicacer quelques livres et le convainc de la suivre dans une petite balade dans les villages toscans…
La promenade est plaisante et le courant semble bien passer entre ces deux inconnus. Dans n’importe quelle comédie romantique de base , ils finiraient par s’attacher l’un à l’autre, emportés par la beauté des paysages baignés de lumière, et débuter une liaison amoureuse. 

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Mais, puisque ce film est mouvement, la relation des personnages l’est également.
Alors qu’on était partis sur l’idée d’un premier rendez-vous pouvant déboucher sur une vie commune, d’une “brève rencontre”, d’une escapade amoureuse, les rapports du duo prennent un tour assez surprenant à mi-parcours.
Tout bascule au cours d’un déjeuner dans un petit restaurant de Lucignano. L’homme sort pour téléphoner. La femme reste à l’intérieur. La patronne des lieux engage la conversation, elle croit qu’ils forment un couple et la femme joue le jeu. Mais cette usurpation d’identité que l’on pensait temporaire s’installe de plus en plus. La discussion se fait plus intime et le duo se comporte effectivement comme un couple – anciens amants en plein règlement de comptes ou mari et femme tentant de sauver leur mariage, en pleine crise… 
Etrange… Viennent-ils de se rencontrer ou ont-ils déjà vécu ensemble ? Se remémorent-ils des scènes de leur(s) vie(s) passées ou bien la seconde moitié du film est-elle un prolongement possible de la première, quelques années après ? Le fils de la galeriste est-il l’enfant de l’écrivain ?
Nombreux sont ceux qui vont se retrouver un peu désarçonnés par ce dispositif un peu étrange, expérimental, où on ne peut plus vraiment démêler le vrai du faux. 

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Mais c’est bien là le propos du film : Le vrai et le faux, la réalité et la fiction, l’original et la copie conforme…  
Tout au long du chemin, les deux personnages dissertent du rôle de l’artiste dans le monde, des différentes façons de percevoir une oeuvre d’art, de la subjectivité du regard du spectateur, de l’inspiration et de la valeur d’une copie par rapport à l’original. L’écrivain a justement bâti son essai autour de l’idée que la valeur d’une copie égale, voire surpasse l’original. D’où une mise en abîme d’une finesse et une intelligence rares, où la réflexion opère à plusieurs niveaux.

L’art est-il une copie de la vie, une imitation ? Ici, il est clair que Copie Conforme  tente au moins d’en restituer une partie de la complexité, puisque, grâce à ce dispositif narratif, ce sont tous les aspects de la relation amoureuse qui sont disséqués par la caméra-scalpel d’Abbas Kiarostami.  La rencontre, la découverte, le premier rendez-vous, le jeu de séduction, le mariage, les difficultés conjugales sont tous évoqués soit à travers la discussion des deux protagonistes, soit par ce qui se passe en arrière-plan (une fête de mariage, la rencontre avec un couple de vieux touristes…).
Le thème du couple est véritablement le coeur de l’oeuvre, comme il l’était dans Voyage en Italie de Roberto Rossellini, autre film avant-gardiste, précurseur du cinéma moderne pour Truffaut et ses acolytes de la “Nouvelle vague”, qui montrait la dégradation des rapports d’un mari et d’une femme au cours d’un périple, non en Toscane, mais du côté de Naples… On ne sera pas étonné d’apprendre que cette oeuvre constitue l’une des références de Kiarostami.
A-t-il cherché à en réaliser la copie ? Non, probablement pas. Mais il s’en est inspiré, indéniablement, nourri, même, pour réaliser son propre film, à la fois très différent sur la forme, le style, et très similaire sur le thème abordé, universel, éternel.

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Oui, éternel… Car, de quelque manière qu’on interprète leur périple,  les deux personnages de Copie conforme ne cherchent-ils pas, finalement, à reproduire l’histoire d’amour originelle, celle de la Genèse, la passion d’Adam et Eve qu’ont d’ailleurs peint bien des artistes florentins ? …
Eternel aussi, comme un éternel recommencement du cycle amoureux, attirance – fusion – désamour – blessures sentimentales, une nouvelle relation permettant d’effacer la précédente, ou du moins d’en atténuer le souvenir…
Et universel parce qu’il s’agit réellement d’une oeuvre internationale : production française, acteur anglais et actrice française, cinéaste iranien, décor italien. Une polyphonie qui se traduit aussi à l’écran, par l’emploi alterné de trois langues différentes. C’est d’ailleurs la première fois que Kiarostami quitte l’Iran, tourne dans une langue étrangère et utilise des acteurs connus (Shimell n’est pas vraiment acteur mais est un chanteur d’opéra célèbre). Parce qu’il lui est impossible de tourner en Iran dans le contexte actuel, mais aussi, probablement, par choix, pour avoir l’impression de perdre ses repères, à l’instar de ses personnages qui, se lançant dans une romance, se dirigent vers l’inconnu… 

Puisqu’il s’agit d’une oeuvre sur la réalité et la fiction, on peut aussi regarder au-delà du film. La vérité, ici, ce sont deux acteurs en train de jouer des rôles, mais projetant aussi un peu (beaucoup?) de leurs propres expériences, le regard que porte sur eux le cinéaste, et celui que le spectateur porte sur cet objet cinématographique.
Copie conforme fait partie de ces films qui exigent une participation active du spectateur, qui devra reconstituer lui-même cette sorte de puzzle de thématiques et de sentiments, à se forger sa propre version de l’intrigue, dont la construction laisse en effet une certaine liberté d’interprétation.
L’usage du champ-contrechamps, que les détracteurs du film n’hésiteront pas à fourbir comme argument à charge, ne participe aucunement, ici, à une mise en scène paresseuse. Il est au contraire partie intégrante du dispositif, en donnant l’impression que les personnages s’adressent exclusivement au spectateur, lui livrent leurs confessions intimes.
 
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Après, on adhère ou non… Il est évident que le film s’adresse plus à un public de cinéphiles avertis, prêt à accepter son côté ludique.
Il faut être patient pour apprécier ce beau film. Déjà, réussir à franchir la première scène, la longue (et ennuyeuse) conférence de l’écrivain. Puis s’accrocher vraiment pour supporter le jeu agaçant, horripilant, du jeune acteur qui interprète le fils de la galeriste (franchement mauvais). Et enfin, accepter ce dispositif très bavard et intellectuel (mais au sens noble des termes) et les performances assez curieuses des acteurs, tantôt en surjeu flagrant, tantôt bouleversants de naturel…
Beaucoup vont se perdre en chemin, perclus d’ennui ou agacés mais pour les autres, le jeu en vaut la chandelle, car ils y trouveront un portrait de couple assez fin et une passionnante réflexion sur l’art et les faux-semblants.

Sous son apparence simplicité formelle – deux acteurs omniprésents, unité de temps (?), d’action (?) et de lieu –  le film d’Abbas Kiarostami recèle de belles richesses, abordant un nombre de thématique assez impressionnant. Il aurait probablement mérité, lui aussi, de figurer en bonne place au palmarès cannois. Le prix d’interprétation accordé à Juliette Binoche, qui ne livre pourtant pas vraiment la plus belle performance de sa carrière, constitue sans doute un prix de consolation, saluant les qualités artistiques de l’oeuvre. Pas une Palme d’or, mais sa Copie conforme. A s’y méprendre…

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Copie Conforme Copie Conforme
The Certified copy Réalisateur : Abbas Kiarostami
Avec : Juliette Binoche, William Shimell, Jean-Claude Carrière, Adrian Moore, Gianna Giachetti, Angelo Barbagallo
Origine : Iran, France, Italie
Genre : voyage en Italie
Durée : 1h46
Date de sortie France : 19/05/2010

Note pour ce film :

contrepoint critique chez : Sur la route du cinéma

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