2022_CANNES_SIGNATURES_WEB_72dpi_400x400_3Quand il vient présenter les films sur scène, le délégué général du Festival, Thierry Frémaux n’oublie jamais de rappeler que celui qui sélectionne les films est un type formidable, aux goûts très sûrs. On n’est jamais aussi bien servi que par soi-même, c’est vrai.
Nous avons envie d’ajouter que le type est doué pour composer la programmation au jour le jour, en tissant des liens entre les films, en dégageant des thématiques communes. Hier, la thématique était la fin de la civilisation occidentale et du modèle capitaliste ultralibéral. Aujourd’hui, il est question également de moments-charnières, de changements d’époque.

Dans Novembre, Cédric Jimenez, relate les attentats du 13 novembre 2015 à Paris et la traque de leurs auteurs par les forces de l’ordre et les cellules anti-terroristes. Il s’agit d’un thriller nerveux, mené tambour battant pour bien montrer la frénésie qui a gagné l’ensemble des forces de l’ordre, déstabilisées par ces attaques de Daesh en plein Paris et mobilisées pour empêcher ce groupe de djihadistes de commettre d’autres actions meurtrières. Le montage, très sec, et le tournage caméra à l’épaule communiquent parfaitement cette sensation d’urgence. Le problème, c’est que le dispositif laisse peu de place à des moments de respiration permettant de s’attacher aux principaux personnages, comme dans Bac Nord, le précédent film du cinéaste, présenté ici l’an dernier. Les seules qui réussissent à faire exister vraiment leurs personnages sont Anaïs Demoustier parfaite en enquêtrice de terrrain idéaliste et Lyna Khoudri, remarquable dans le rôle de Samia, tiraillée entre son amitié pour Hasna Aït Boulahcen, cousine de l’un des terroristes, et la nécessité de dénoncer ce groupe d’individus. On aurait aimé que Cédric Jimenez aille un peu plus loin, qu’il creuse aussi les personnages campés par Jean Dujardin et Sandrine Kiberlain, évoluant à la tête des forces de l’ordre, ou ajoute d’autres portraits à ce récit-choral d’une tragédie. Mais le film a déjà le mérite d’exister. Il témoigne de l’action de ceux qui participent à neutraliser des terroristes, mais rappelle aussi le choc qu’a constitué cette attaque au coeur de la capitale, intelligemment laissée hors-champ. C’est un évènement marquant, qui correspond, pour beaucoup de jeunes à la perte de leur insouciance.

Dans Les Amandiers, Valéria Bruni-Tedeschi se remémore ses souvenirs de jeunesse, quand elle a intégré, au début des années 1980, le centre national d’Art dramatique de Nanterre que venait de reprendre Patrice Chéreau. Mais comme souvent dans sa filmographie, l’autobiographie est entremêlée de fiction. C’est son alter-ego de fiction, Stella (Nadia Tereszkiewicz), qui intègre l’école, y rencontre les doubles fictionnels d’Eva Ionesco, Agnès Jaoui, Marianne Denicourt et tombe amoureuse d’un acteur écorché vif, Etienne, dont les traits évoquent un peu les visages de Vincent Pérez et Thibaut de Montalemebert, qui furent ses camarades de scène. Evidemment, le récit parle de création artistique et du métier d’acteur. Il décrit l’avènement d’une longue carrière, d’une passion inextinguible pour le jeu, pour le théâtre. A priori, rien de commun avec le film de Cédric Jimenez. Pourtant, Les Amandiers décrit lui aussi, avec nostalgie et amertume, la fin d’une époque insouciante. Les années 1960 et 1970, propices à la libéralisation des moeurs et aux expérimentations, cèdent la place à une époque plus morose, celle du désenchantement et du SIDA, et rien ne sera plus comme avant.

Cela dit, le changement a parfois du bon…
On aimerait, par exemple, que plus aucune femme ne décède sous les coups d’un homme, comme ces 129 femmes dont les prénoms ont été écrits sur une grande banderole déployée sur le tapis rouge par le collectif “Les Colleuses”. Marie Perennès et Simon Depardon les ont suivi pendant plusieurs mois, filmant leurs diverses opérations, essentiellement l’affichage de messages dénonçant les violences sexistes, le harcèlement de rue et les agressions sexuelles, afin d’éveiller les consciences. Le résultat, Riposte féministe a été projeté en séance spéciale.
On aimerait aussi que la condition féminine s’améliore dans certains pays où le patriarcat est dominant et dominateur, comme en Iran, par exemple.
Les Nuits de Mashhad d’Ali Abassi, raconte l’histoire vraie d’un homme en apparence bien sous tous rapports qui, au début des années 2000, s’est lancé dans une “croisade” contre les “femmes de mauvaise vie”. L’homme a étranglé une vingtaine de prostituées qui sillonnaient les rues de la ville. La journaliste qui le traque n’a rien d’une péripatéticienne ou d’une droguée, mais subit elle aussi les remarques sexistes, les regards concupiscents, les gestes brutaux de certains hommes, comme les “conseils” de ces “grand-frères” qui lui expliquent comment s’habiller ou se comporter. Le cinéaste iranien détaille les mécanismes de ce système où l’attitude machiste se transmet presque toujours de père en fils.

Petite consolation, le Don Juan de Serge Bozon voit son comportement de séducteur impénitent se retourner contre lui. Dans ce curieux film musical, Tahar Rahim incarne un comédien sur le point de jouer Don Juan sur scène alors qu’il vient de subir une grosse déconvenue sentimentale. Sa fiancée (Virginie Efira) l’a planté le jour du mariage, sans explication. Depuis, il erre comme une âme en peine. Toutes les femmes qu’il croise ont le visage de celle qui l’a éconduit. Et toutes repoussent ses tentatives de séduction, sous le regard amusé de son “commandeur”, un pianiste de bar campé par Alain Chamfort. #Changement d’époque

Les fils se tissent aussi avec les films des sections parallèles, puisqu’on retrouve aussi Virginie Efira dans Revoir Paris d’Alice Winocour, présenté à la Quinzaine des Réalisateurs. Elle y incarne une femme victime d’une des attaques du 13 novembre 2015, alors qu’elle prenait un verre dans une brasserie parisienne, et qui tente de surmonter son traumatisme pour reprendre le cours de son existence. La boucle est bouclée.

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