2022_CANNES_SIGNATURES_WEB_72dpi_400x400_1Les films de la compétition du jour semblent avoir divisé les festivaliers.

Beaucoup ont regretté que le nouveau venu, Tarik Saleh, soit encore un peu tendre pour ce niveau de compétition, trouvant son Boy from Heaven inabouti. Ils auraient préféré que le cinéaste se concentre davantage sur le parcours initiatique du personnage principal jeune homme issu d’un petit village de pêcheurs, invité à étudier dans l’université islamique al-Azhar, au Caire, que sur l’intrigue, qui décrit une lutte pour le pouvoir au sein de l’institution sunnite, opposant politiciens et dignitaires religieux plus ou moins radicaux.  Si nous avons pointé les défauts de l’oeuvre, notamment quelques baisses de régime sans conséquence et quelques manques dans l’exposition du contexte, nous ne reprocherons certainement pas au cinéaste d’avoir persévéré dans le film de genre. Comme son précédent film, Le Caire Confidentiel, Saleh utilise une trame de thriller pour dénoncer les dérives du pouvoir politique ou religieux dans son pays natal. Il entend montrer que, malgré le Printemps Arabe, les choses n’évoluent pas vraiment. Il signe un film certes imparfait, mais assez consistant pour avoir sa place en compétition [Lire notre critique].

Pour Arnaud Desplechin, qui n’a plus l’excuse de la jeunesse, l’accueil a été encore plus froid. Il a été sifflé par quelques spectateurs, qui ont jugé son nouveau film, Frère et soeur absolument grotesque et lourdingue. Là encore, nous n’irons pas sur ce terrain. D’accord, il ne s’agit pas du film le plus réussi de son auteur. Oui, son postulat de départ est un peu difficile à admettre – on imagine mal un frère et une soeur rester plus de vingt ans sans se parler sans réel motif de fâcherie. Et oui, le dénouement est inutilement ampoulé. Une fois que l’on a dit cela, on peut aussi trouver au film quelques qualités. Malgré le sujet, pesant et mélodramatique, le cinéaste et ses acteurs restent la plupart du temps dans la retenue. L’émotion affleure lentement, mais sûrement, dans un dispositif presque inverse par rapport à la pièce jouée par Marion Cotillard, “The Dead” de James Joyce (adaptée jadis par John Huston pour le grand écran sous le titre Les Gens de Dublin). Celle-ci est architecturée autour de petits moments de vie légers et insignifiants, pour se boucler sur un long monologue, empreint de gravité, où le texte, la parole, bouleversent le spectateur. Ici, c’est l’inverse. Le film est très bavard, mais ce n’est pas la parole qui véhicule l’émotion. Tout passe dans les gestes, les regards, ce qui n’est jamais exprimé directement. Dans ces moments-là, le film devient magnifique. Il trouve en tout cas parfaitement sa place dans la filmographie d’Arnaud Desplechin, quelque part entre Rois et Reine et Un Conte de Noël, même s’il n’en possède pas tout à fait l’envergure.

Hors compétition, La Nuit du 12 a aussi essuyé des sifflets, mais plus pour protester contre l’oubli du sous-titrage en anglais sur la copie, rendant compliquée la compréhension- des festivaliers étrangers. Après quelques manipulations techniques, la projection a pu reprendre et entraîner les spectateurs dans ce sombre polar de Dominik Moll, adapté d’un roman de Pauline Guena (“18:3 – une année à la PJ”). Tout tourne autour du meurtre d’une adolescente dans la vallée de La Maurienne. Une équipe de policiers  grenoblois est chargé de l’enquête et effectue le travail de routine pour essayer de trouver des pistes. Ils découvrent que celles-ci ne manquent pas, mais que les preuves manquent pour incriminer les suspects. Pas de faux suspense, on sait dès le début que l’enquête n’aboutira pas, comme 20% des enquêtes menées par la police judiciaire. En cela, on peut le rapprocher de Memories of murder de Bong Jooh-ho, qui parlait aussi d’un meurtre irrésolu, obsédant les enquêteurs. Mais ce qui compte surtout, en dehors de l’aspect quasi documentaire de l’oeuvre,  c’est ce qui se dégage du film, cette sensation d’être confronté non pas à un suspect en chair et en os, mais à un mal endémique, profondément enraciné : le machisme, la violence des hommes vis à vis des femmes. Les enquêteurs en prennent conscience, à mesure qu’ils interrogent les hommes qui gravitaient autour de la jeune victime : des bad boys, des paumés, des pervers, des sales types au langage ordurier et à la menace facile. Autant de confrontations qui permettent de composer, par petites touches sombres, le portrait d’une société malade. Un polar impressionniste, en somme…

Si la joie et la bonne humeur n’étaient pas toujours au rendez-vous dans les salles de projection cannoises en ce quatrième jour de festival, un charmant petit garçon a mis tout le monde d’accord : Le Petit Nicolas.
Quand nous avons vu, dans la liste des films sélectionnés, Le Petit Nicolas, qu’est-ce qu’on attend pour être heureux?, nous n’avons pas vraiment sauté de joie, échaudés par les adaptations cinématographiques récentes des oeuvres de Jean-Jacques Sempé et René Goscinny. Le fait que ce soit un film animé ne nous rassurait pas vraiment, car il n’est pas si évident de retranscrire l’univers graphique de Sempé, pas plus qu’il n’est facile d’adapter les mots ciselés de Goscinny. Et pourtant, Amandine Fredon et Benjamin Massoubre ont réussi cet exploit. L’univers graphique qui prend vie sous nos yeux est bien celui de Sempé et le texte, validé par Anne Goscinny, semble tout droit sorti des récits originaux.  On a l’impression de retomber en enfance, de redécouvrir les aventures de Nicolas, Alceste, le copain gros qui mange tout le temps,  Geoffroy, qui a un papa très riche, Agnan, qui a des lunettes et qui est le chouchou de la maîtresse, Rufus, Joachim, Eudes et Marie-Edwige. Mais le film va plus loin, il présente aussi la genèse de l’oeuvre, toujours dessinée à la façon de Jean-Jacques Sempé. On découvre comment Goscinny et lui se sont associés pour donner naissance à cet attachant héros, à quoi est dû son célèbre prénom, ou comment sont nées ses plus célèbres histoires. On en apprend également un peu plus sur les parcours des deux auteurs, leurs propres enfances et les cicatrices qu’elles leur ont laissé. Il se dégage de ce film d’animation un charme fou, une poésie admirable qui a ravi l’ensemble des spectateurs et leur a offert un véritable moment de grâce. Quel chouette film! aurait dit Le Petit Nicolas…

LEAVE A REPLY