Little Joe - affproAlice (Emily Beecham), une brillante botaniste, travaille à mettre au point une fleur capable, à condition de recevoir tout le soin et l’attention nécessaires à son développement, de produire un parfum rendant les êtres humains heureux. Peut-être a-t-elle initié ce projet parce qu’elle se sent elle-même malheureuse. On comprend que son mariage est un échec, qu’elle vit séparée de son mari, mais qu’elle a la garde de Joe, leur fils de treize ans. Et comme elle croule sous le travail, avec l’obligation de pouvoir présenter un résultat abouti lors d’une importante exposition florale, elle n’est pas suffisamment présente pour le jeune garçon, qui aborde le cap difficile de l’adolescence.
Comme elle culpabilise de le délaisser, elle lui offre un spécimen de ses créations, qu’elle baptise “Little Joe” en son honneur.
Au bout de quelques jours, elle se demande si elle n’a pas commis une erreur en apportant chez elle cette plante expérimentale, dont la toxicité et les effets secondaires n’ont pas encore été évalués. En effet, le comportement du jeune garçon semble changer. Il se fait plus distant, plus secret et commence à manifester d’autres envies, comme celle de s’installer avec son père. Comme d’autres évènements étranges se sont produits récemment au centre de recherche, Alice est de plus en plus persuadée que ”Little Joe” constitue une menace pour son entourage…

Dès le générique de Little Joe, Jessica Hausner sème les germes d’un récit angoissant : sons stridents, prises de vue en plongée, donnant l’impression d’une menace planant au-dessus des protagonistes.
La cinéaste laisse ensuite pousser lentement une ambiance anxiogène, propice à la paranoïa. Et elle cultive l’ambiguïté en laissant toujours planer le doute sur la réalité de la menace végétale perçue par Alice.
Le comportement de son fils change? C’est soudain, mais il s’agit peut-être d’une crise d’adolescence ordinaire… Chris (Ben Whishaw), son assistant, semble lui aussi avoir changé d’attitude? En même temps, il n’a peut-être pas apprécié qu’Alice repousse ses avances… L’équipe de botanistes rivale, habituellement hostile à son projet, semble étrangement mieux disposée à son égard? Vu que leur propre projet est en situation d’échec, ils voient peut-être en Little Joe l’opportunité de sauver leurs jobs…
D’accord, mais Alice n’est pas la seule à voir dans sa création une menace. Bella (Kerry Fox) est elle aussi persuadée que le pollen de Little Joe est nocif, qu’il peut contaminer le cerveau humain pour l’obliger à se mettre à son service. Hum, doit-on vraiment croire une collègue connue pour être fragile mentalement? A vrai dire, on pourrait penser qu’Alice elle-même ne va pas très bien, puisque la narration passe majoritairement par des échanges entre la botaniste et son psychiatre.

Au spectateur de décider s’il veut prendre Little Joe pour un petit thriller de science-fiction, quelque part entre L’Invasion des Profanateurs de sépultures et La Petite boutique des horreurs, ou s’il préfère y voir un récit psychanalytique, exposant les angoisses d’une femme par rapport à la maternité, la vie de couple, l’intégration dans un milieu professionnel hostile.
On aurait aimé ajouter un troisième niveau de lecture, plus politique, qui aurait fait le parallèle entre la colonisation des cerveaux humains par Little Joe et la montée des idées extrémistes un peu partout dans le monde, qui aurait rapproché la paranoïa d’Alice avec la culture de la peur qui permet à certains gouvernements de voter facilement des lois liberticides ou évoqué les catastrophes écologiques menaçant de frapper la planète. Mais hélas, Jessica Hausner ne tente même pas d’aller dans cette voie. Elle se contente d’entretenir son petit carré de jardin, sagement, sans prendre le moindre risque. Faute de terreau dramatique, faute d’idées nouvelles pour vitaminer le scénario, son récit finit par s’essouffler et se faner.
A l’arrivée, on a l’impression d’avoir assisté à un bel exercice de style, assez maîtrisé, mais un peu vain. La fleur est belle et vénéneuse, certes, mais son parfum ne flottera sans doute pas bien longtemps dans les mémoires des cinéphiles…

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Note :
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Rédacteur en chef de Angle[s] de vue, Boustoune est un cinéphile passionné qui fréquente assidument les salles obscures et les festivals depuis plus de vingt ans (rhôô, le vieux...) Il aime tous les genres cinématographiques, mais il a un faible pour le cinéma alternatif, riche et complexe. Autant dire que les oeuvres de David Lynch ou de Peter Greenaway le mettent littéralement en transe, ce qui le fait passer pour un doux dingue vaguement masochiste auprès des gens dit « normaux »… Ah, et il possède aussi un humour assez particulier, ironique et porté sur, aux choix, le calembour foireux ou le bon mot de génie…

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