FDC 2019_SIGNATURES_400X400_03Au Festival de Cannes, on retrouve souvent les mêmes cinéastes, ces “habitués” qui, au moment de l’annonce de la sélection, font toujours débat. Quand ils sont sélectionnés, d’aucuns pestent contre le peu d’audace des sélectionneurs, le manque de sang neuf. Mais certains, souvent les mêmes d’ailleurs, sont furieux quand les auteurs abonnés à la compétition officielle ne figurent pas dans la liste, y voyant le signe du déclin du plus grand festival de cinéma de la planète ou juste celui de la fin du monde. En fait, retrouver les mêmes cinéastes permet de suivre leur évolution pas à pas. Le festivalier peut assister à l’éclosion d’un génie dans la section des courts-métrages de la Cinéfondation, réservée aux étudiants en école de cinéma, retrouver son premier long-métrage dans une des sections parallèles, le voir faire ses premiers pas en sélection officielle et le redécouvrir à chaque nouveau film. Cela permet aussi de dégager les grandes thématiques d’une oeuvre ou les obsessions de son auteur, de constater les progrès d’un cinéaste dans sa quête de perfection artistique ou, au contraire, ses pannes d’inspiration et son déclin.

Xavier Dolan est l’un des cinéastes “nés à Cannes”. Son premier long-métrage, J’ai tué ma mère, avait été couvert de louanges à la Quinzaine des Réalisateurs en 2009. Ses deux suivants, Les Amours imaginaires  et Laurence anyways, avaient été projetés dans le cadre de Un Certain Regard. Il a ensuite intégré la compétition officielle avec Mommy et Juste la fin du monde, tous deux primés. Ses deux seuls écarts ont été une brève aventure avec la Mostra de Venise (Tom à la ferme, reparti bredouille de la lagune) et Ma vie avec John F. Donovan, son film américain projeté à Toronto l’an passé. Il est de nouveau sur la Croisette avec Matthias et Maxime une comédie dramatique québécoise, qui reprend, sur le fond, les thèmes habituels du cinéaste : l’homosexualité, le trouble amoureux, la description d’une relation mère-fils complexe. Cette fois-ci, Dolan semble venu sur la Croisette avec des ambitions plus modestes. Du moins en apparence…
Ce nouveau long-métrage s’intéresse, comme le titre l’indique, à la relation de Matthias et Maxime, deux amis d’enfance, soudainement perturbée par les bouleversements professionnels de l’un et de l’autre (Maxime part pour deux ans en Australie, Matthias s’apprête à prendre des responsabilités dans son entreprise) et par un simple baiser, échangé entre eux suite à un pari stupide lors d’une soirée bien arrosée. Ce baiser, censé être sans conséquences, induit un émoi profond en Matthias. Hétérosexuel convaincu, sur le point de s’engager durablement avec sa compagne, le jeune homme découvre qu’il éprouve des sentiments et du désir envers son meilleur ami. Il a peut-être occulté cette attirance profonde depuis des années et cette révélation remet en question tout ce qu’il a construit jusqu’alors. La transmission de ce trouble, filmé de façon délicate, sans effets mélodramatiques, sans esbrouffe, est assurément ce qu’il y a de mieux dans le film. En se concentrant sur ce seul fil narratif, Xavier Dolan aurait sûrement réussi son pari. Mais une fois n’est pas coutume, le jeune cinéaste se laisse emporter par son ambition. Déjà, il ne peut s’empêcher de “tuer” encore une fois sa mère, en ajoutant une sous-intrigue opposant Maxime (qu’il incarne lui-même) à sa génitrice (Anne Dorval, encore). Le hic, c’est que cette histoire n’apporte pas grand chose au récit central et semble bien fade au regard de ses précédents films, qui traitaient de cette relation complexe de façon plus forte et plus émouvante. Ensuite, il ajoute un enrobage de “film d’amis” évoquant beaucoup trop le cinéma de Denys Arcand (Le Déclin de l’Empire Américain, Les Invasions barbares) pour être honnête. Le jeune cinéaste semble avoir calculé qu’en associant ses thématiques personnelles, appréciées du public cannois, à l’évocation d’oeuvres qui avaient aussi, en leur temps, suscité l’adhésion des festivaliers, il pourrait enfin remporter la Palme d’Or après laquelle il court. Mais là aussi, quelque chose sonne faux. Le premier tiers du film, axé autour des discussions alcoolisées de la petite bande de potes de Matthias et Maxime, arrache bien quelques sourires en raison du charme des ces calisses d’ostie de jurons québécois, mais la plupart des discussions sont des babillages sans intérêt et finissent par nous taper sur les nerfs.
On l’a déjà dit, Xavier Dolan gagnerait à tourner un peu moins, prendre le temps de vivre et de se nourrir humainement et intellectuellement, afin de trouver de nouvelles sources d’inspiration, de nouvelles muses. Il doit encore gagner en maturité et épurer son cinéma pour pouvoir prétendre à des prix plus prestigieux.

Arnaud Desplechin est aussi un “enfant de Cannes”. Il a été révélé par La vie des morts, présenté à La Semaine de la Critique en 1991, avant d’être sélectionné en compétition officielle l’année suivante avec son premier long-métrage, La Sentinelle. Il est revenu à Cannes à plusieurs reprises, par épisodes, avec des oeuvres clairement affiliées à son univers cinématographique, introspectif et intimiste, comme Comment je me suis disputé…, Leo, en jouant dans “la compagnie des hommes”, Un conte de Noël ou Trois souvenirs de ma jeunesse, mais aussi des oeuvres différentes, comme Jimmy P. ou, cette année, Roubaix, une lumière.
Si le cadre, la ville de Roubaix, et la temporalité du film, au moment des fêtes de Noël, rappellent Un Conte de Noël, présenté en compétition il y a onze ans, le milieu social dépeint n’est pas du tout le même. Pas de famille bourgeoise, mais des pauvres gens, chômeurs ou englués dans des jobs mal payés, pas de protagonistes évoquant la mythologie grecque, mais des personnages inspirés par des faits réels, pas d’intellectuels tourmentés, au bord de la crise de nerfs, mais des paumés usés par la vie, poussés vers la délinquance ou le crime, et des flics désabusés chargés de les arrêter. Le commissaire Daoud (Roschdy Zem) essaie de trouver un peu de lumière dans un quotidien sordide, où il est confronté aux plus sombres aspects de l’être humain. Ses enquêtes ont pour but de découvrir la vérité, bien sûr, mais aussi de libérer les âmes-en-peine du poids de leurs mensonges et leurs péchés, pour qu’ils aient un jour, après avoir payé pour leurs crimes, un petit espoir de rédemption.
Roubaix, une lumière réussit à être à la fois un récit étouffant, glaçant, brutal et une œuvre douce, presque apaisante. Desplechin parvient à faire évoluer son cinéma vers d’autres horizons, à le confronter au réel tout en gardant une dimension romanesque. Il concentré ici tout son talent sur la direction d’acteurs. Roschdy Zem n’a jamais été aussi grandiose. Sara Forestier et Léa Seydoux impressionnent. Antoine Reinartz confirme tous les espoirs placés en lui.

Finalement, nous avons réussi à voir le fameux Once upon a time… in Hollywood et compris pourquoi les avis en sortie de salle étaient aussi mitigés.
Le cinéaste s’amuse à revisiter une page de l’histoire hollywoodienne – celle de la fin des sixties – avec des scènes plus ou moins longues (et plutôt plus que moins), faisant appel à la culture cinématographique des spectateurs pour saisir les nombreuses références et clins d’oeil dont il parsème son récit (tant pis pour ceux qui ne peuvent pas suivre!). Le cinéaste s’amuse à convoquer les fantômes de Steve Mc Queen, Bruce Lee ou Sharon Tate, à brocarder gentiment la Jodie Foster d’avant Taxi Driver ou à citer ses cinéastes de chevet, les Sergio Corbucci, Sergio Leone, et autres Antonio Margheriti pour raconter l’histoire d’un acteur (Leonardo Di Caprio) et son inséparable doublure (Brad Pitt) qui ont une opportunité de relancer leurs carrières sur le déclin, à condition de ne pas être victimes d’un nouveau coup du sort. On n’en dira pas plus, car, comme annoncé par le cinéaste, le récit réserve quelques surprises. Le résultat peut sembler déroutant, inégal, mal rythmé et moins ample qu’à l’accoutumée. Il est vrai que le film souffre d’un problème de rythme. On sent que le cinéaste a bouclé son montage en catastrophe et n’a pas pris le recul nécessaire pour l’ajuster précisément. Le film mériterait quelques coups de ciseaux pour gagner en fluidité. Mais, comme dans Inglourious basterds et Boulevard de la mort, l’intrigue importe moins que l’ambiance. Ici, elle est crépusculaire. Elle montre la fin d’un âge d’or – celui du cinéma hollywoodien classique – mais l’éclosion d’un cinéma de genre inventif et déjanté, et d’auteurs indépendants inspirés par la Nouvelle Vague française. En filigrane, il faut y voir aussi une allégorie du cinéma contemporain, menacé par de nouvelles formes audiovisuelles, à commencer par les séries télévisées, à qui il emprunte plusieurs de ses comédiens (Lena Dunham, Luke Perry, Margaret Quayle…). Et comme le cinéma, c’est aussi un peu le monde, Tarantino parle de l’état du monde. Il filme la fin de l’insouciance américaine, entre la fin de la seconde guerre mondiale et  la défaite des soldats engagés dans la guerre du Vietnam, la mort de JFK et le scandale du Watergate, la fin du mouvement hippie et la naissance des sectes apocalyptiques, pour mieux évoquer la violence psychologique et sociale de l’Amérique de Donald Trump. Son cinéma se veut un exutoire à cette violence. Son Once upon a time… in Hollywood n’est peut-être pas son film le plus abouti ou le plus flamboyant, mais c’est assurément une oeuvre intelligente, qui se bonifiera à mesure qu’on la reverra et l’analysera.

A demain pour la suite de ces chroniques cannoises.

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