Cannes 2018 carré 3Lors de la conférence de presse d’annonce de la sélection, Thierry Frémaux avait promis que le Festival de Cannes marquerait sa solidarité envers les femmes et leur combat contre les violences et le harcèlement, suite au scandale Weinstein, et qu’il soutiendrait également les revendications des femmes travaillant dans le milieu du cinéma, notamment le droit à des salaires équivalents à ceux de leurs collègues masculins. Promesse tenue avec l’organisation d’une montée des marches réservée à 82 femmes – autant que de films réalisés par des femmes en compétition officielle depuis l’origine du Festival, ce qui est un chiffre assez faible, convenons-en.
Parmi elles, on trouvait évidemment des actrices engagées pour la cause des femmes, comme Marion Cotillard, Salma Hayek ou Claudia Cardinale, des cinéastes comme Tonie Marshall ou Patty Jenkins, mais aussi les femmes membres du jury, Kristen Stewart, Léa Seydoux, Ava DuVernay et Khadja Nin, sans oublier, bien sûr la présidente de ce jury, Cate Blanchett, qui a pris la parole en haut des marches pour réclamer plus d’équité entre hommes et femmes au cinéma. Un discours partagé avec Agnès Varda, figure emblématique de la Nouvelle Vague, Grande Dame du Festival de Cannes et personnalité respectée du Cinéma Français en général.

Fort logiquement, cette montée des marches spéciale a eu lieu avant la présentation du premier des films de la compétition réalisé par une femme, Les Filles du soleil de Eva Husson, qui suit un groupe de femmes combattantes, prenant les armes pour se rebeller contre les exactions de Daech au Kurdistan, en Syrie et en Iraq. Tout un symbole…
L’opération aurait été parfaite si ce film avait été réussi. Hélas, c’est loin d’être le cas. Il s’agit même, disons-le tout de go, du film le moins abouti de la compétition officielle, malgré les efforts des comédiennes, Golshifteh Farahani et Emmanuelle Bercot en tête. Le long-métrage d’Eva Husson est plombé par un scénario mal structuré, qui manque d’enjeux, de tension et d’intensité dramatique, mais pas de musique pour surligner lourdement chaque scène. Et le fait que cette musique ait été composée par une femme, Morgan Kibby, ne constitue nullement une circonstance atténuante… (Lire notre critique)

A Un Certain Regard, la Gueule d’ange de Vanessa Filho ne nous a pas non plus totalement enthousiasmés. Le film suit les tribulations d’une petite fille de huit ans (Ayline Aksoy-Etaix) qui se retrouve complètement livrée à elle-même quand sa mère (Marion Cotillard), une cagole alcoolique et irresponsable, l’abandonne pour quelques semaines, le temps d’aller vivre une nouvelle histoire d’amour foireuse et de faire la tournée des bars locaux. La gamine est certes plus mature que la majorité des filles de son âge, mais, comme tous les enfants, elle cherche à imiter le comportement de ses parents. Et ici, l’exemple n’est pas très bon… Gueule d’ange se met à boire de l’alcool comme Maman, part pour des virées nocturnes et se trouve même un garçon à draguer – et tant pis s’il a vingt-cinq ans de plus qu’elle… Vanessa Filho réussit à filmer avec une certaine finesse cette enfance en danger, tirant le meilleur de la jeune Ayline Aksoy-Etaix, épatante dans ce rôle pourtant difficile. En revanche, elle n’arrive jamais à canaliser le jeu de Marion Cotillard, qui force outrageusement le trait dans la peau de cette mère indigne, complètement paumée. Certes, difficile de rester “sobre” quand on joue une alcoolique, mais là, le trait, particulièrement épais, contraste avec la prestation toute en douceur de sa jeune partenaire. Marion Cotillard doit comprendre qu’elle n’a pas besoin d’en faire des tonnes pour incarner ses personnages. Et Vanessa Filho doit apprendre à gérer des acteurs de ce calibre, qui évoluent en permanence à la frontière du cabotinage.

Pour la valorisation des femmes, il fallait plutôt voir le second film en compétition du jour, Trois visages. Certes, c’est un homme qui l’a réalisé, en l’occurrence le cinéaste iranien Jafar Panahi. Mais on peut faire confiance au réalisateur du Cercle pour parler avec talent de la condition féminine en Iran, à travers le portrait de trois actrices de générations différentes. Il rend hommage aux femmes qui décident de mener cette vie d’artiste, dans une société patriarcale qui n’apprécie guère l’émancipation féminine et considère les artistes comme de vulgaires saltimbanques. A l’aide d’un scénario malin, brillamment écrit, Jafar Panahi dénonce les travers d’un monde archaïque, en proie à l’obscurantisme et incapable d’évoluer. Evidemment, il évoque aussi, à travers cette histoire, sa propre situation de cinéaste, à qui le régime iranien interdit d’exercer son métier et de quitter le territoire. (Lire notre critique)

La jeune Lara, héroïne de Girl n’est effrayée ni par son statut de femme en devenir, ni par la profession qu’elle apprend, danseuse étoile. Elle est prête à tous les efforts, tous les sacrifices. Pourtant, à la naissance, Lara était un garçon. Mais elle n’y peut rien. Elle se sent fille. Elle voudrait déjà être femme, accélérer le traitement hormonal qu’elle suit, être opérée pour que son changement de sexe physique soit définitif, admis de tous.
Lukas Dhont signe un premier film bouleversant, tout en pudeur et en délicatesse. Et son acteur, Victor Polster, livre une performance magistrale, d’une maturité étonnante au vu de son jeune âge. (Lire notre critique).

In fine, cette « Journée de la Femme » réussit l’essentiel, rappeler qu’il y a encore des efforts à faire pour changer les mentalités et permettre aux femmes de s’émanciper pleinement. Plus il y aura d’égalité entre hommes et femmes, et plus il y aura de femmes cinéastes. Et plus on verra des films réalisés par des femmes en compétition officielle.

A demain pour la suite de ces chroniques cannoises.

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