Cannes 2018 carréHabituellement, avouons-le, les cérémonies d’ouverture cannoises n’ont rien de bien passionnant.
La maîtresse ou le maître de cérémonie essaient de glisser une ou deux blagues de plus ou moins bon goût entre deux figures oratoires imposées sur l’art cinématographique et la magie du Festival de Cannes, avant de montrer des extraits des films en compétition et de présenter les membres du jury et d’inviter une personnalité à déclarer la manifestation ouverte, au cas où des étourdis l’auraient oublié.

La cérémonie inaugurale de la 71ème édition n’a certes pas échappé à tous ces passages obligés, mais on saura gré à Edouard Baer, maître de cette cérémonie d’avoir essayé d’en proposer une variante décalée, en rupture avec les discours parfois laborieux de ces dernières années (on se souvient des vannes douteuses de Laurent Lafitte, par exemple).
Cette année, c’est un extrait de Pierrot le fou, le chef d’oeuvre de Jean-Luc Godard mis en avant sur l’affiche du festival, qui a servi d’introduction à la cérémonie. Dans cette scène fameuse, Anna Karina, lasse que Jean-Paul Belmondo lui « parle avec des mots alors [qu’elle le] regarde avec des sentiments » s’ennuie et répète en boucle « Qu’est-ce que j’peux faire, j’sais pas quoi faire? »
Assis à côté d’un piano, Edouard Bar se pose la même question et trouve la solution : écrire un scénario, créer, mettre au monde un projet cinématographique et emmener le bébé prendre le soleil sur la Croisette. Dans sa rêverie, il égratigne les producteurs, se moque gentiment du duo exécutif du festival, brocarde le milieu du 7ème Art, salue les « enfants du Paradis » – le petit peuple festivalier, assis au balcon – et harangue les stars à l’orchestre, s’interrogeant sur leur non-présence dans le jury. Un bel exercice de style, tout en humour grinçant et en poésie loufoque, qui, pour une fois, restitue bien la folie douce du Festival de Cannes et l’effervescence de la création artistique.
On salue la prestation, même si le comédien a frôlé l’incident diplomatique en écrasant le pied de la reine Kristen (Stewart, membre du jury présidé par Cate Blanchett). Une bourde rattrapée d’une superbe pirouette verbale adressée au public : « J’ai écrasé le pied de la Belle… Ne le faites pas chez vous!« .

Le reste de la cérémonie n’a hélas pas été du même calibre…
Certes, l’interprétation de la chanson « Les moulins de mon coeur », de Michel Legrand, par Juliette Armanet, était assez jolie, mais elle tombait un peu comme un cheveu sur la soupe, sans lien direct avec la cérémonie, si ce n’est l’année où elle a été écrite, il y a cinquante ans…
Mais la présentation du jury, improvisée par Thierry Frémaux, était assez laborieuse. Tout comme le discours de Pierre Lescure, au pied de la scène, avec un verre de whisky à la main! Quelle drôle d‘idée!

Bon, l’important, c’est que le festival a enfin débuté, après que l’immense Martin Scorsese (par le talent plus que par la taille physique, puisqu’il semblait minuscule à côté de la présidente du jury…) a prononcé la traditionnelle phrase inaugurale : “Je déclare le 71ème Festival de Cannes ouvert”.
Place, donc, à douze jours de projections, de découvertes et d’émotions sur grand écran!

Et tant pis si le film d’ouverture, Everybody knows, malgré la présence de Penelope Cruz et Javier Bardem, n’a pas totalement tenu ses promesses (lire notre critique), on trouvera probablement notre bonheur parmi la centaine de films proposés, toutes sections confondues.

A demain pour la suite de ces chroniques cannoises.

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Rédacteur en chef de Angle[s] de vue, Boustoune est un cinéphile passionné qui fréquente assidument les salles obscures et les festivals depuis plus de vingt ans (rhôô, le vieux...) Il aime tous les genres cinématographiques, mais il a un faible pour le cinéma alternatif, riche et complexe. Autant dire que les oeuvres de David Lynch ou de Peter Greenaway le mettent littéralement en transe, ce qui le fait passer pour un doux dingue vaguement masochiste auprès des gens dit « normaux »… Ah, et il possède aussi un humour assez particulier, ironique et porté sur, aux choix, le calembour foireux ou le bon mot de génie…

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