Qu’est-ce qui fait qu’un festival de Cannes est un grand cru?

Cannes, c’est avant tout des films. Et cette année, de l’avis général, la sélection est prometteuse. De grands cinéastes, des jeunes réalisateurs prometteurs, des sujets alléchants,… Et ce, aussi bien en compétition que dans les sections parallèles. Les extraits des différents films sélectionnés donnent bien envie de préférer les salles obscures à la plage, malgré le grand beau temps qui règne en ce moment sur la Côte d’Azur… Oui, les festivaliers ne manqueront pour rien au monde une aussi belle programmation…

Cannes, c’est aussi une ambiance, qui repose autant sur les discussions passionnées entre cinéphiles, les échanges, les débats, le partage d’un amour commun du septième art, que sur l’animation qu’il y a autour de l’événement. L’effervescence de la foule sur la Croisette, les parfums de scandales, les gaffes et les provoc’ savamment dosées des stars invitées, les émeutes provoquées à chaque apparition d’une célébrité, les party qui durent jusqu’au bout de la nuit, pour les noctambules et les festivaliers courageux… Cette année encore, chacun a retrouvé sa place : les chasseurs d’autographes traînent devant les palaces, les photographes amateurs et les curieux ont enchaîné leurs escabeaux au pied des marches après avoir campé dehors pendant deux jours et deux nuits pour garder farouchement leur place, les festivaliers ont récupéré leurs précieuses accréditations et les fêtards chassent déjà les invit’ pour les soirées… Oui, tout le monde est bien en place et est prêt à profiter de la quinzaine cannoise…
 
Mélanie Laurent Cannes

Cannes, c’est donc un mélange de plein de petites choses radicalement opposées, comme l’a très bien résumé Mélanie Laurent dans son joli texte inaugural, ciselé par Nicolas Bedos. Adoptant intelligemment et astucieusement la position de la maîtresse de cérémonie novice et intimidée par le parterre d’invités prestigieux, la jeune actrice a réussi la gageure de retranscrire parfaitement l’ambiance si particulière du festival en trois minutes chrono. Les films de légende et les petits films oubliés, les classiques et les nanars du marché du film,  les stars et les starlettes, les éclats de rire de Tarantino et les coups de gueule de Pialat, le sein de Sophie Marceau et le voile de Thérèse, les sifflets et les standing-ovations, les VIP et le vulgum pecus…

Cannes, c’est à la fois de la culture de haut niveau, avec des oeuvres pointues pour cinéphiles exigeants et érudits, et une manifestation populaire misant sur le chic, le glamour, les vedettes, et plein de “pipoleries” diverses et variées qui “créent le buzz”…

le voyage dans la lune

Côté culture de haut niveau, on a été servis. il y a eu la présentation d’une copie du Voyage dans la lune de Georges Méliès (1902) en couleurs d’origine (hé oui, il y avait déjà de la couleur en 1902…), restauré par Serge Bromberg et l’équipe de Lobster. Une résurrection miraculeuse, une prouesse technique au vu de la qualité de la bobine originale, presque totalement décomposée…  La sauvegarde du patrimoine cinématographique mondial et des chefs d’oeuvres du 7ème art, c’est on ne peut plus louable et ça fait partie de la culture, n’en déplaise à quelques grincheux…
Puis, un hommage à un immense acteur, l’un des plus doués de sa génération et l’un des meilleurs du monde : Robert De Niro, qui officie cette année comme président du jury et aura la lourde tâche de dénicher une palme d’or parmi les différents concurrents au titre…
Puis le jazzman anglais Jamie Cullum a revisité le thème de “New York, New York”, pour inviter la musique à se mêler furtivement au cinéma…
Puis Gilles Jacob a remis à Bernardo Bertolucci une palme honorifique pour l’ensemble de sa carrière. Il ne l’a pas volée, avec des titres aussi imposants que 1900, Le Dernier Empereur, Les Innocents ou Dernier tango à Paris. Ce dernier titre a également permis au président du festival d’avoir une petite pensée pour Maria Schneider, décédée il y a peu…

Minuit à Paris - 2

Puis les festivaliers ont pu découvrir le nouveau film de Woody Allen, Minuit à Paris. Woody nous entraîne dans une délicieuse promenade culturelle et temporelle dans une ville de Paris fantasmée à travers l’art et la culture comme la Barcelone de Vicky Cristina Barcelona l’était à travers son architecture et sa sensualité.
On y croise Zelda et Francis Scott Fitzgerald, Ernest Hemingway, T.S.Eliot, Cole Porter et Joséphine Baker, Picasso, Man Ray, Dali et Buñuel. Tous les arts s’entremêlent dans une joyeuse sarabande, pour notre plus grand plaisir, ou du moins pour ceux qui connaissent les artistes précités et les références à leurs oeuvres… 

Côté animation et mouvements de foule, cela se passait en dehors du palais. Alors que les festivaliers assistaient à la cérémonie d’ouverture, au palais ou devant leurs téléviseurs, la Croisette a enregistré un nombre de décibels anormalement haut, suite aux cris stridents poussés par des hordes de jeunes surexcités, ainsi qu’une éruption d’hystérie collective de magnitude 10 sur l’échelle de Justin Bieber. La raison de ce mouvement de foule ? L’arrivée de Johnny Depp à bord de son galion pirate? La famille Brangelina au grand complet se promenant sur la plage? Un striptease de Salma Hayek devant le Carlton? Les pouffes de Laure & Al en pleine explosion capillaire? Que nenni… C’est juste que l’équipe du “Grand Journal” de Canal + a eu la bonne idée d’inviter Lady Gaga chanter son dernier tube en direct live depuis leur plateau, en face de l’hôtel Martinez… 
Mouais… Tout ça pour ça…

Lady Gaga

Hou là! J’ai dû prendre un coup de vieux, moi… Mais c’est pas du tout mon truc, tout ça… En fait, je suis comme le héros du film de Woody Allen, nostalgique d’un certain âge d’or. Un âge d’or où pendant le festival, c’étaient les vedettes de cinéma qui faisaient vibrer les foules, où les plateaux de télévision improvisés sur la Croisette étaient dédiés à de vraies émissions de cinéma, où on pouvait voir les films des sections parallèles sans être contraint de faire la queue pendant trois heures (et sans être sûr de rentrer…).
Ah! Que j’aimerais me propulser à la glorieuse époque des Fellini, Bergman, Antonioni, Welles et consorts, assister à la création de leurs oeuvres si réputées et reconnues aujourd’hui… Mais voilà, tout cela ne marche que dans les films de Woody Allen…
Cela dit, pour se propulser dans le passé, il y a aussi la section “Cannes Classiques”, qui propose des copies restaurées de grands films de l’histoire du septième art. Cette année, la programmation débutera avec la projection Portrait d’une enfant déchue de Jerry Schatzberg, en présence de Faye Dunaway, qui illumine l’affiche du festival cette année…
Sinon il faut se contenter de ce que l’on nous propose, et qui n’est déjà pas si mal : des films qui nourrissent l’âme et l’esprit, qui réfléchissent aux problèmes du monde, qui nous bouleversent ou nous charment, ou nous font rêver.

Mélanie Laurent

Oui, Cannes, c’est aussi du rêve…
Du rêve de films, d’étoiles et de soleil, du rêve de belles rencontres, du rêve de réussite, aussi, pour ceux qui veulent lancer leur carrière dans une branche ou une autre.
Mélanie Laurent l’a évoqué quand elle a raconté sa première fois au festival. Un billet dégoté pour assister à une séance et pour monter les fameuses marches, une place perdue au milieu du balcon, au milieu de centaines d’anonymes et de professionnels de la profession… Et, dans ce tumulte, une possible rencontre avec un cinéaste, un producteur, un ami comédien… Un projet qui se monte, une carrière qui se lance… Et des oeuvres qui peuvent à leur tour être présentées au festival par leurs jeunes auteurs, tout intimidés de l’honneur qui leur est fait.

Enfin, puisque d’après Mélanie Laurent – encore elle – “le cinéma, c’est magique”. Cannes, c’est de la magie…
Magie de lumières qui s’éteignent pour laisser la place à ces images enchantées qui vont – on l’espère – nous régaler les pupilles…
Magie de ce gigantesque public qui vibre à l’unisson – ou presque – face aux oeuvres proposées…
Magie de se retrouver comme sur une autre planète – la planète cinéma – pendant dix jours, de parler cinéma, manger cinéma, bais… euh vivre cinéma en non-stop le temps d’un festival…

Alors, si vous me le permettez, je laisse volontiers les gesticulations de la diva des dance floors à ses admirateurs complètement gagas pour garder le rêve, la magie, la culture de haut-vol,… Chacun son plaisir, chacun son festival… Moi, j’ai des films à voir et l’espoir que ce Cannes 2011 soit un grand cru…

A demain, donc, pour une nouvelle chronique cannoise…

Cannes 2011 affiche 2

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Rédacteur en chef de Angle[s] de vue, Boustoune est un cinéphile passionné qui fréquente assidument les salles obscures et les festivals depuis plus de vingt ans (rhôô, le vieux...) Il aime tous les genres cinématographiques, mais il a un faible pour le cinéma alternatif, riche et complexe. Autant dire que les oeuvres de David Lynch ou de Peter Greenaway le mettent littéralement en transe, ce qui le fait passer pour un doux dingue vaguement masochiste auprès des gens dit « normaux »… Ah, et il possède aussi un humour assez particulier, ironique et porté sur, aux choix, le calembour foireux ou le bon mot de génie…

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