R-100

Chapitre 21 : Hymne à la joie

Ce matin-là, la brigade s’était réveillée avec la gueule de bois. La veille, nous avions un peu trop fêté l’arrestation du gang Schoendoerffer. Certains, comme le lieutenant Rouyer et le lieutenant Omaïs, avaient passé une bonne partie de la nuit en compagnie de séduisantes cocotes, au bistrot du même nom (1). Selon certaines rumeurs, ils avaient même été vus en train de faire la chenille dans les rues de la ville.
J’avais été un peu plus raisonnable que mes collègues, me couchant avant l’aube, car il y avait quand même une permanence à assurer, ce dimanche-là. Pourtant, même plus frais et dispos que les autres flics de la brigade, j’étais loin d’être préparé à l’affaire qui nous tomba dessus, définitivement la plus étrange de ma carrière…
Nous fûmes appelés pour évaluer l’état mental d’un japonais incontrôlable, le dénommé Hitoshi Matsumoto, qui venait d’assommer une salle entière avec son R-100. Les spectateurs étaient sortis de la projection hébétés, certains criant au génie, d’autres au foutage de gueule éhonté, tous affirmant avoir été surpris par une narration complètement démente.
Diantre! Comment un objet cinématographique pouvait provoquer un tel effet? Nous essayâmes illico de comprendre le fond de cette ténébreuse affaire en regardant l’oeuvre en question. Au bout de 100 minutes de film, nous sortîmes de la salle aussi sonnés que les précédentes victimes, incapables de dire si le réalisateur était un génie ou un pur psychopathe, et incapables d’expliquer le propos de l’oeuvre, variante de The Game  sous acide et hectolitres de saké, entremêlant sado-masochisme, société secrète, hymne à la joie, cracheuses professionnelles, gourmandes impénitentes et matrone teutonne crypto-nazie.
Il me fallut du temps pour relater les faits :

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R-100 de Matsumoto Hitoshi

Un type est en train de dîner avec une ravissante jeune femme et l’initie aux subtilités de la musique de Beethoven quand elle se lève et lui balance un coup de pied en pleine figure avant de quitter le restaurant. Le type la suit et se prend encore une raclée. La fille enlève alors son imperméable et laisse entrevoir une tenue de dominatrice SM en latex. L’homme éprouve une profonde jouissance, qui se matérialise sous la forme d’une onde émanant de son visage, déformé par le plaisir…Voilà comment débute R-100, le nouveau délire de Hitoshi Matsumoto (Sara Zamurai).

On apprend que le personnage principal, Katayama, adepte du masochisme, a adhéré à un club un peu euh… spécial, dont les membres peuvent subir à tout moment les assauts de dominatrices ultra-sexy, pour leur plus grand plaisir. Pourquoi le type a-t-il loué les services de cette drôle d’agence? Peut-être pour pimenter sa vie, assez morne, ou supporter un emploi rébarbatif où il subit les brimades de son chef au quotidien. Peut-être, également, pour se punir de ne pas être suffisamment présent pour son fils, qu’il élève seul, à grand peine, ou pour l’absence de sa femme, qui est dans le coma, à l’hôpital…
On ne le saura pas vraiment. Mais on voit le processus d’humiliation à l’oeuvre. Katayama subit trois ou quatre fois par jour les attaques de ces drôles de dames, et en éprouve chaque fois un plaisir intense, orgasmique.

Au bout de deux ou trois scènes du même genre, on se demande comment Matsumoto va pouvoir tenir la distance d’un long-métrage avec un principe aussi faible.
Mais le film bascule peu à peu dans la folie furieuse, le nonsense le plus totale. Les humiliations deviennent de plus en plus tordues.  Katayama se fait agresser sur son lieu de travail, dans la chambre d’hôpital de sa femme et même chez lui, au risque de se faire surprendre par son fils. Les dominatrices redoublent d’audace et d’imagination : crachats “parfumés”, bondage expert, imitation de voix connues pour troubler leur victime…
Evidemment, au bout d’un moment, conscient que le jeu va un peu trop loin, le personnage central décide d’arrêter. Mais le club ne l’entend pas de cette oreille. Katayama était prévenu dès le départ. Une fois inscrit, impossible de quitter le programme… La responsable du club, une walkyrie colossale, lance alors ses troupes, une armada de ninjas à l’allure néonazie, à l’assaut du membre récalcitrant…

R-100 - 3

On reste assez perplexes devant ce film complètement déjanté, qui ressemble surtout à une vaste blague potache. Et nous ne sommes pas les seuls : Interrompant l’action à intervalles réguliers, des personnages, réunis dans sorte de salle d’attente, commentent l’oeuvre en cours. A leur première intervention, ils explicitent tout d’abord les intentions du cinéaste, louant une forme de critique sociale. Mais plus le film avance, plus les ce groupe – de critiques? de producteurs? – se montre dubitatif. Ils enragent de ne plus rien comprendre à l’intrigue imaginée par le cinéaste, représenté à l’écran sous les traits d’un vieillard malicieux. L’un ‘eux conclut même qu’il est impossible de comprendre un tel salmigondis de séquences absurdes, à moins d’être aussi sénile que le réalisateur. D’où le titre R-100 : interdit aux moins de cent ans.

On se dit alors que pour apprécier ce film, il faut peut-être retourner cent ans en arrière, au temps du burlesque muet, à l’époque du surréalisme bunuélien, se laisser porter par les images sans chercher à leur donner immédiatement un sens.
Pourtant, il est évident que, derrière la farce absurde, il y a un véritable propos. Une allégorie du cinéma selon Matsumoto, qui y analyse son propre style, atypique. Et une réflexion sur la société japonaise actuelle, en plein marasme économique. Une situation qui est la conséquence de la crise économique mondiale, de la globalisation, mais aussi d’accords politiques entre membre du G7, dont les Etats-Unis et les principaux états européens, Allemagne en tête.
Les humiliations infligées à ce cadre japonais moyen, mais aussi aux traditions nippones – le rituel perverti de la dégustation de sushis- sont le fait d’une société internationale aussi opaque que dangereuse, gérée par une ogresse américaine/allemande. Et ce n’est sans doute pas un hasard si, à l’apogée du film, retentit l’hymne à la joie de Beethoven, l’hymne européen…

Tout le monde ne sera pas sensible à ce sous-texte politique et social, ni à l’humour déjanté du cinéaste. Mais R-100 est, quoi qu’il en soit, le film le plus fou de cette édition 2014 du festival de Beaune. Un objet cinématographique curieux, inclassable, truffé de séquences tour à tour sublimes, fascinantes, choquantes ou agaçantes, qui ne peut laisser personne indifférent.

Les poings contre les murs - 2

Chapitre 22 : La prison dorée

Un matin, le capitaine m’envoya en prison. Non, je n’avais rien fait de mal. Je devais juste évaluer la demande de mise en liberté de Les poings contre les murs de David Mackenzie, qui devait être relâché prochainement sur les écrans hexagonaux.
L’avocat de l’oeuvre, Maître Burstein, vint immédiatement à ma rencontre pour louer les qualités de son client. Il me vanta une oeuvre intense, superbement jouée, à la mise en scène maîtrisée. Je n’avais rien contre le bonhomme, loin de là, mais j’avais appris à me méfier des ténors du barreau, souvent aussi sournois que des attachés de presse. Je mis un terme à ces bavardages pour aller à la rencontre de l’oeuvre.
Passant devant les cellules, je croisai un visage connu : Jack O’Connell, le premier rôle de ‘71. Un acteur talentueux qui, au vu de ses premières performances et de ses choix artistiques intelligents, semblait promis à un bel avenir.
Si sa performance dans ce film était à la hauteur de celle de ‘71, cela laissait augurer du meilleur pour l’oeuvre de Mackenzie…
Au parloir, je pus finalement assister à la projection.
Voici ce que j’écrivis :

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Les Poings contre les murs de David Mackenzie

Eric Love (Jack O’Connell) est un jeune homme violent et sans repères. Incontrôlable, il est envoyé prématurément dans une prison pour adultes. Un autre monde, plus dur, plus dangereux, où ses provocations et ses intimidations ne font qu’agacer ses codétenus et les matons, et lui attirer des ennemis.
Oliver (Rupert Fiend), un bénévole, est persuadé qu’il peut aider, avec son groupe de travail, à canaliser son agressivité et à retrouver le droit chemin.

A première vue, Les poings contre les murs est un film carcéral on ne peut plus classique. Il obéit pleinement aux codes du genre, tant au niveau des personnages que des situations dépeintes. On retrouve là des matons haineux, des caïds régnant en maître sur leurs blocs et développant leurs petits trafics, des détenus bagarreurs tentant de prendre l’ascendant sur les petits nouveaux, et, donc, un jeune homme paumé qui va découvrir ce milieu difficile. Des stéréotypes, peut-être, mais incarnés avec talent par les comédiens, tous impeccables, et transcendés par la mise en scène, parcourue d’une tension permanente, de David Mackenzie.

Les poings contre les murs - 3

Le film se distingue aussi des autres films de prison par un choix scénaristique gonflé : faire cohabiter dans la même prison le jeune héros et son père, Nev, un homme tout aussi violent que lui. On comprend que si Eric a fini en prison, c’est parce qu’il n’a jamais pu s’appuyer sur ce père qui a passé l’essentiel de sa vie derrière les barreaux, et qui n’a jamais su lui apporter l’amour dont il avait besoin. Leurs retrouvailles sont l’occasion d’un nouveau départ. Nev veut faire en sorte que son gamin puisse s’assagir et profiter de sa détention pour suivre des études et retrouver le droit chemin, mais sa façon de couver Eric provoque surtout l’embarras du jeune homme, qui n’a pas besoin de cette présence sur le dos.
Au récit initiatique carcéral vient se superposer un mélodrame familial dont l’enjeu est le resserrement des liens entre le père et le fils. Un parti-pris casse-gueule, qui aurait pu facilement sombrer dans le pathos et donner des scènes ridicules…  Mais le cinéaste l’assume parfaitement et réussit à en faire le coeur de son intrigue de façon très crédible, provoquant l’émotion sans jamais dévier de son approche brute et sèche.

Les poings contre les murs ne possède peut-être pas la perfection narrative de Un Prophète, ni l’inventivité visuelle d’un Bronson. Néanmoins, ce récit nous happe d’entrée de jeu et nous nous captive de bout en bout, jusqu’à un dénouement très sobre, d’une efficacité redoutable, qui nous laisse pantelants d’émotion.

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Evidemment, j’autorisai la relaxe de ce film sur les écrans français, avec les compliments de la brigade. L’oeuvre constituerait un beau poing/point final au 6ème festival du film policier de Beaune.
Je partis célébrer cette mission rondement menée comme il se doit, en allant à mon tour m’enfermer… dans une cave. Pour procéder à une petite dégustation de crus locaux.

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Chapitre 23 : Les Condés de la Romanie

Un de mes indicateurs, un dénommé Allan Dureau, vint me donner un tuyau qui allait changer ma vie.
”Boustoune, il faut absolument que tu assistes à la cérémonie de clôture du festival de Beaune. Des révélations cruciales pourraient y être faites. Des personnes importantes sont susceptibles d’être mouillées!”
Embarquant en renfort la plupart de mes collègues de la brigade cinéphile, je me rendis donc une fois de plus au Cap Cinéma, ce haut lieu de la culture beaunoise.

Dehors, une foule imposante y était entassée, espérant toucher les étoiles qui défilaient sur le tapis rouge. Des invités de prestige, bien sûr, mais aussi tous les membres des différents jurys : Anne Parillaud, Clara Mounicot, François Berléand, Marie Gillain, Pio Marmaï, Pauline Lefèvre…
Certains spectateurs étaient de vrais cinéphiles, connaissant par coeur les filmographies des intéressés, d’autres étaient de simples curieux, complètement néophytes.
“Regarde le barbu, là, c’est Luc Besson, non?” (Raté, c’est Jacques Maillot, le président du jury Sang-Neuf)
”Et elle, c’est Clotilde Coureau, non?” (Hé non, c’est Anne Parillaud)

Nous entrâmes dans la salle juste à temps pour voir débuter la cérémonie, animée, comme à l’accoutumée, par l’élégant David Rault. Et nous n’eûmes pas à attendre très longtemps les révélations qui allaient secouer toutes les hautes instances policières et culturelles du pays.
Le Maire de Beaune se présenta devant le parterre de spectateur, visiblement en grande forme. Après les remerciements d’usage, il dégoupilla sa première grenade. En tant que premier notable de la ville, il décréta une sorte d’état d’urgence, et mit toute l’assistance en examen, arguant que les écoutes effectuées par ses services de sécurité, les Beaunuments men, au cours du festival, avaient révélé des propos extrêmement compromettants pour plusieurs membres du jury, mais aussi et surtout pour l’élite de la police et la commissaire-divisionnaire honoraire Danièle Thierry!

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Il commença justement par les “propos assez croquignolesques” de nos dirigeants, que son équipe avait rebaptisés “Les Condés de la Romanie”, afin de mieux souligner comment, sous l’effet des grands crus de Vosne-Romanée, “l’élite de la police“ s’était muée en “les litres de la police”:
Il nous apprit par exemple que Danièle Thierry voulait “finir ces bâtards de Montrachet”, un groupe de viticulteurs pourtant blanc de blanc.
Puis il mit en cause le président du tribunal, Cédric Klapisch, dans une sombre affaire de moeurs (de moeurs sots, même…), relatant une bribe de conversation entendue du côté de Chambertin : “Les Charmes du dessus de Madame Lefèvre sont presque fanés”.
Et le scandale ne s’arrêtait pas là! L’assistant du procureur, Marc Lavoine, un type aux yeux revolver, avait lui aussi trempé dans l’affaire :“Les Charmes de la jeune Madame Amboise sont déjà bons à vendanger”
Egalement mis en cause, pour propos racistes, les membres du jury sang neuf, qui avaient parlé de “petits blancs et de pinots noirs”
Conscient que la corruption et le vice avaient gagné toutes les couches supérieures de l’épiderme de la ville, le Maire insista pour que tout le monde soit mis sous contrôle judiciaire strict, “avec obligation de boire au moins deux bouteilles de Bourgogne par jour pendant un an, jusqu’à la prochaine édition du festival”. Belle méthode pour repérer les corrompus : les innocents, n’ayant pas encore abusé des breuvages locaux, seraient blanchis à coups de rouges, tandis que les coupables, le foie encirrhosé par des canons à blancs, ne supporteraient pas ce régime de longue haleine alcoolisée.

Pour empêcher toute fuite des cerveaux du gang, le super-notable embruma ces derniers avec une phrase d’une complexité bergmanienne : “Quand on est équivoque dans le paradoxal, on évite peut-être la contradiction, mais on ne peut échapper à une certaine ambigüité”. En pleine confusion, l’assistance n’osa pas broncher, et dut se résoudre à revenir l’année suivante, mêmes dates, mêmes lieux, pour une nouvelle garde à vue.

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Les principaux prévenus vinrent sur scène pour essayer de faire amende honorable.
Le jury Sang-Neuf plaida la folie en mettant en avant R-100 de Matsumoto Hitoshi, et rappelant combien il peut-être bon de Tuer un homme. On les envoya se faire soigner en hôpital psychiatrique. Clara Mounicot, jadis infirmière dans la série H, ne serait pas dépaysée…

Les chefs de la police vinrent ensuite à la barre, vêtus de honte et d’embarras. Danièle Thierry avoua que beaucoup d’entre eux avaient sombré dans l’alcoolisme. Elle chercha une excuse pour expliquer ce comportement : Ces flics de choc n’avaient pas l’habitude d’être confrontés à autant de gentillesse, de chaleur et d’amitié, et c’est pourquoi ils avaient tous craqué. Ils avaient également été confrontés à des “films policiers sans policiers”, ce qui les avait déboussolés. S’adressant à Lionel Chouchan, elle suggéra : “Peut-être devrez-vous envisager de mettre en place un jury ‘spécial gangsters’ pour rétablir l’équilibre des forces ”. Frondeuse, elle donna au film ‘71 une mention à laquelle le jury n’avait pas droit, avant de demander à expier leurs fautes dans le grand Nord norvégien, endroit où se déroule le Prix spécial Police 2014, In order of dissapearance… La cour accepta cet exil, à condition que tous reviennent pour leur contrôle judiciaire, un an plus tard.

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Notre brigade fut elle aussi mise en cause. Quelques-uns de ses membres influents étant accusés d’avoir protégé le film Black Coal contre vents et marées, et notamment contre l’avis de la populace en furie. Le Lieutenant Rouyer alla une fois de plus au charbon, et se fit l’avocat des diablotins de notre profession. Sa plaidoirie, brillante, convainquit la cour d’innocenter tous les cinéflics. “Je sens à vos applaudissements que le film n’a pas fait l’unanimité parmi vous, mais c’est souvent le fait des grandes oeuvres de ne pas tout de suite s’imposer. Ce qui nous a semblé formidaaable, c’est de mélanger cette réalité la plus sordide de la Chine contemporaine à des figures du roman noir américain, et puis cette façon d’empoigner les codes du polar pour mieux nous faire ressentir les vertiges de l’existence(…)C’est un véritable chef-d’oeuvre qui illumine nos vies comme des feux d’artifices en plein jour, qui est la traduction du titre original du film”
(Oui, le lieutenant parlait bien…Il était connu pour cela dans les cercles autorisés).
Réhabilités, nous fûmes chargés d’aller appréhender tous les coupables.

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Il ne restait plus qu’à auditionner le Président Klapisch et ses assesseurs, afin qu’ils puissent justifier de leurs actes crapuleux. Là encore, les effets de l’alcool servirent d’alibi : “Nous avons adoré boire du Pommard et voir des polars”. Mais la cour fut clémente, car cet abus de bonne chère et de bons vins n’empêchèrent pas ce jury de primer les meilleurs films de ce cru 2014 : prix du jury ex-aequo à ‘71 et Les poings contre les murs, avec mention spéciale au jeune acteur Jack O’Connell, et grand prix à In order of disappearance. Pas de faute de goût, donc, pour ce jury très humble, qui se contenta de travaux d’intérêts généraux, comme la réalisation de nouveaux films à offrir au public.

Tous les prévenus furent envoyés à l’ombre, en attendant leur transfert vers la capitale.
Ce soir-là, les beaunois dormirent dans une cité entièrement assainie, sans crimes et sans flics véreux, bruissant simplement du tintement des verres de Bourgogne célébrant la fin du 6ème festival du film policier et, de façon plus générale, le plaisir de profiter de la vie au maximum.

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Chapitre 24 : La femme en rouge

Suite à cette affaire retentissante, bon nombre de camarades de la brigade cinéphile furent promus à des grades supérieurs ou reçurent une prime.
Pour ma part, mon dossier fut réévalué. Je fus totalement blanchi pour cette affaire de vidéo-surveillance illicite qui avait provoqué mon exil beaunois. Apparemment, le type puissant était aussi mouillé jusqu’au coup dans des affaires louches et avait fini par se faire pincer, ce qui achevait de plaider ma cause. Les grands pontes de la police exigèrent ma réaffectation immédiate au service des “Angles de vue”.

J’allais devoir faire mes adieux à la brigade cinéphile, à tous ces collègues sympathiques avec qui j’avais eu la chance de travailler. Ceux-ci m’enjoignirent de passer une dernière soirée avec eux, histoire de diluer nos chagrins réciproques dans les vapeurs de vieux Marc et les nectars divins issus des terres avoisinantes. Cela tombait bien, nous étions tous invités à un cocktail dans la cour des célèbres Hospices.
Nos succès policiers nous ayant valu une certaine réputation dans le milieu, nous étions désormais  invités de prestige à ce genre de manifestation mondaine.
Nous passâmes d’agréables minutes à échanger des souvenirs de mission ou à sympathiser avec des personnalités attachantes, comme Pascal Demolon, jamais avare d’un bon mot ou d’une anecdote savoureuse.

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Mais plus l’heure tournait, plus je sentais que j’allais avoir du mal à quitter les lieux, à quitter cette ville envoûtante et ses caves en-voûtées, toutes ces personnes adorables. Aussi, je pris la décision de fuir sans me retourner, sans faire mes adieux, pour échapper aux effusions lacrymales qui n’allaient pas manquer de se produire.

J’arrivai près du porche de la sortie quand soudain, je la vis. Sublime apparition. Tout de rouge vêtue, comme ces femmes fatales de roman noir, elle illuminait l’espace de son sourire enjôleur. Son regard se posa sur moi et me happa instantanément. Elle vint vers moi et me demanda : “Vous partez déjà? Dommage, nous n’avons pas eu le temps de faire connaissance… Etes-vous certain de ne pas vouloir rester encore un peu?”
Je restai là, interdit, incapable de prononcer le moindre mot. Les lieutenants Vié, Rouyer, Omaïs et Riaux nous rejoignirent.
”Ah! Boustoune! Tu es là! On t’avait perdu! Tiens, tu as rencontré Fanny. C’est notre nouvelle recrue à la Brigade.”
La femme en rouge me regarda avec un petit sourire coquin et répéta “Alors, êtes-vous certain de ne pas vouloir rester encore un peu?”.

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Evidemment que j’allais rester! Comment partir? Comment quitter cette ville où il faisait aussi bon vivre? Comment abandonner à toutes ces enquêtes cinématographiques qui me tendaient les bras? Comment tirer un trait sur ces breuvages exquis, ces plats succulents? Et comment fuir loin de cette sublime créature à la tenue couleur fauteuil de cinéma qui me mettait en état de siège?
Je pris la décision la plus importante de ma vie. Celle de renoncer à la vie parisienne pour me fondre dans la Bourgogne comme les tanins dans un grand cru à maturité. Et je n’eus jamais à le regretter.

FIN

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Rédacteur en chef de Angle[s] de vue, Boustoune est un cinéphile passionné qui fréquente assidument les salles obscures et les festivals depuis plus de vingt ans (rhôô, le vieux...) Il aime tous les genres cinématographiques, mais il a un faible pour le cinéma alternatif, riche et complexe. Autant dire que les oeuvres de David Lynch ou de Peter Greenaway le mettent littéralement en transe, ce qui le fait passer pour un doux dingue vaguement masochiste auprès des gens dit « normaux »… Ah, et il possède aussi un humour assez particulier, ironique et porté sur, aux choix, le calembour foireux ou le bon mot de génie…

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