Après Paris (Paris je t’aime), New York (New York I love you), et Tokyo (Tokyo!), c’est au tour de La Havane d’avoir droit à son film à sketches.
Comme son nom l’indique, 7 jours à La Havane est composé de sept segments correspondant à sept journées de la semaine et autant de regards de cinéastes sur la cité cubaine. Un réalisateur local, Juan Carlos Tabio, et six metteurs en scènes venu d’Amérique latine (Benicio Del Toro, Pablo Trapero), d’Europe (Laurent Cantet, Gaspar Noé, Julio Medem ) et même de Palestine (Elia Suleiman).

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Chaque auteur a eu carte blanche pour choisir son sujet, parmi les vingt-et-unes propositions de scripts rédigées par les scénaristes, Leonardo Padura et Lucia Lopez Coll ou en trouvant sa propre histoire à mettre en scène. Padura a juste imposé quelques éléments communs aux différentes histoires : des personnages, des lieux, des objets, pour donner au film une cohérence narrative, lui donner un semblant de fil conducteur. 
Il faut bien reconnaître que le pari est réussi. Le scénariste a su réordonner les différents segments pour donner au film une certaine logique thématique et parvenir à montrer les différentes facettes, complémentaires et contradictoires, de La Havane : un lieu qui peut s’avérer paradisiaque pour les touristes en mal de sensations fortes et où il est parfois difficile de vivre au quotidien, du fait du poids de l’administration, des coutumes, du manque de moyens, une ville colorée, vibrante, bouillonnante, aux murs chargés d’histoire et d’images de la révolution cubaine, mais aussi de musique et de sons. Une cité à la fois hors du temps et très contemporaine, melting-pot de cultures et de classes sociales, où les clichés exotiques se mêlent à la banalité de la vie de tous les jours…
 
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Evidemment, le film n’échappe quand même pas au principal défaut de ce genre d’exercice :  les différentes parties sont de teneur et de qualité inégales.
Certains sketches sont plaisants, mais anecdotiques. Celui de Benicio Del Toro, par exemple, dans lequel un touriste américain, un “Yuma”, découvre l’ivresse des nuits cubaines et les “surprises” que l’on peut y trouver. L’acteur mexicain, qui passe pour la première fois derrière la caméra, a choisi de tourner autour d’un des stéréotypes de la vie nocturne cubaine : rhum à gogo et filles faciles.  Le film ne brille ni par son interprétation, ni par son intrigue, assez facile, mais il vaut le coup d’oeil pour le dialogue autour des explications du mot “yuma”, qui désigne un touriste américain. La meilleure? “Yuma… You ma friend!”…

Celui de Pablo Trapero met en scène Emir Kusturica, dans son propre rôle. Le cinéaste serbe n’a pas attendu les nuits chaudes de La Havane pour commencer à boire. C’est complètement ivre qu’il atterrit à La Havane pour l’hommage que lui rend le festival de cinéma local. L’homme chargé de sa surveillance et l’attachée de presse réussissent à le faire monter sur scène dans un état à peu près présentable et veulent ensuite l’emmener au dîner de gala. Kusturica ne veut pas de ce protocole officiel. Il demande à son chauffeur de l’emmener faire la tournée des bars. Le chauffeur est embêté. Il doit rendre la voiture, louée pour l’occasion et de toute façon, il doit partir retrouver ses amis pour un boeuf entre musiciens cubains. Ca tombe bien : Kusturica est un grand amateur de musique et un musicien lui-même… Il accompagne l’homme à sa “jam session” nocturne et noue avec lui des liens que l’on pourrait qualifier d’amicaux, tout en lui promettant un coup de pouce pour sa carrière musicale…

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C’est le même type de proposition, mais versant amoureux, qui fait douter la belle Cecilia dans le segment de Julio Medem. La jeune chanteuse vit avec José, un joueur de baseball cubain englué dans une équipe de seconde zone, mais est courtisée par un producteur espagnol qui souhaite promouvoir sa carrière en Europe, et, accessoirement, l’épouser (ou la pousser dans son lit…). Partir? Rester? Privilégier l’opportunité professionnelle ou la passion? Ces questions, de nombreux cubains ont dû se la poser des milliers de fois…
On avoue ne pas s’être posé autant de questions face au sketch de Julio Medem, qui est probablement le plus faible des sept segments et qui est bien trop plat par rapport à ce que l’on peut exiger de la part du cinéaste de Lucia & le sexe ou de L’Ecureuil rouge
Dommage, car le sujet, variation autour d’un roman du 19ème siècle de Cirilo Villaverde, “Cécilia Valdès”, permettait de montrer que l’attachement des cubains à leur terre natale est parfois plus fort que l’attrait du mode de vie occidental et la liberté qu’il est censé offrir…

Même déception face à l’effort du “régional de l’étape”, le cinéaste cubain Juan Carlos Tabio (Guantanamera, Fraise & chocolat…), chronique  autour de la confection mouvementée d’un gâteau, entre pannes de courant et maladresse chronique de l’homme de la maison… Un film assez mou, ennuyeux, qui cherche à montrer la difficulté de faire la moindre chose dans la cité cubaine, mais ne réussit qu’à montrer la difficulté qu’un cinéaste de son renom peut avoir à livrer des films dignes de ce nom. Pour cette partie, le cinéaste dit s’être inspiré des télénovelas dont les cubains sont friands. Effectivement, c’est aussi pauvre esthétiquement et joué de façon aussi peu inspirée…

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Restent trois segments, les meilleurs du film, qui correspondent également aux trois seuls scénarios qui ont été écrits directement par les cinéastes et non pas proposés par Padura.
Laurent Cantet s’est laissé séduire par l’énergie d’une vieille cubaine, fervente croyante et pilier de la communauté. Il en a fait le personnage principal de son film, qui oscille entre documentaire et fiction. Fidèle à sa démarche habituelle, il a travaillé avec des acteurs non-professionnels pour faire ressortir les traits dominants de leur caractère et mener le film comme une bonne vieille comédie italienne.
Ce qui frappe dans son court-métrage, c’est qu’il réussit le tour de force de restituer la vitalité de la ville, l’ambiance sonore, la solidarité entre les habitants, la force du groupe, l’importance de la religion – ou plutôt des religions (ici, la Santeria) – sans jamais poser sa caméra ailleurs qu’à l’intérieur de l’appartement de la vieille femme!
Du cinéma sincère, humaniste, assez culoté…

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Gaspar Noé, lui, n’a pas cherché à s’embarrasser d’un scénario trop construit, et surtout, de dialogues. Il filme l’histoire d’amour de deux femmes, deux lesbiennes, qui va se retrouver contrariée lorsque les parents d’une des filles découvrent cette liaison. Gaspar Noé filme surtout le rituel de purification auquel est soumis la jeune “malade” – l’homosexualité est un sujet tabou, un peu honteux, à Cuba, et certains habitants, la considèrent comme une maladie, un mal dont il faut se débarrasser. Le rituel qu’il capte avec sa caméra existe bel et bien. Il traduit l’influence encore grande de la magie noire à Cuba, une sorte de variante du vaudou haïtien…
C’est surtout le prétexte à une de ces expérimentations cinématographiques dont il a le secret. Il filme cette cérémonie d’exorcisme, ses danses fiévreuses et ses incantations, comme une transe, en se plaçant au plus près des corps et en jouant sur les effets de lumières. Surtout, il a la bonne idée d’entrecouper ses images de brefs inserts noirs qui donnent au montage un côté hypnotique. Evidemment, ce court-métrage ne possède pas le brio narratif ou la démesure visuelle d’un Enter the void, mais on sent clairement la patte du cinéaste derrière ces séquences hallucinées.

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Enfin, Elia Suleiman, fidèle à son style si singulier, fait de burlesque et de poésie visuelle, se met en scène lui-même, découvrant Cuba pour la première fois avec un regard relativement vierge, un peu perdu face à ces murs chargés d’une histoire qui n’est pas la sienne, cette langue qu’il ne maîtrise pas…
A l’ambassade de Palestine, il attend de pouvoir rencontrer Fidel Castro, histoire de comparer la révolution cubaine et le combat des palestiniens. Mais le discours du leader cubain s’éternise et Elia Suleiman sort faire ce qu’il sait le mieux faire : observer les gens avec humour et tendresse.
C’est par l’image et par la poésie de l’image qu’il parvient à saisir l’ambiance de Cuba, un endroit à la fois placé dans un contexte politique très présent, trop présent et préservé, d’une certaine façon, des dérives des sociétés libérales. Pas besoin de dialogues, pas besoin de clichés exotiques, Suleiman, avec sa finesse habituelle, établit un pont entre deux peuples vivant dans une situation de blocus, mais qui continuent de vivre, de vibrer, de rêver, et profiter de choses simples comme la contemplation de la mer, assis sur la plage…

Si on fait les comptes, on obtient trois films de très bonne tenue qui portent la griffe de leurs auteurs respectifs, deux films intéressants à défaut d’être totalement enthousiasmants et deux déceptions. Pas si mal, vu la complexité de l’exercice…
Aussi, ces 7 jours à La Havane constituent-ils un plaisant voyage cinématographique. Mieux organisé, en tout cas, que les séjours précités à Paris et à New-York et plaisant à regarder un verre de Mojito à la main… 

 
 

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7 jours à La Havane7 jours à La Havane
7 Días en la Habana

Réalisateurs : Benicio Del Toro, Pablo Trapero, Julio Medem, Elia Suleiman, Gaspar Noé, Juan Carlos Tabio, Laurent Cantet 
Avec : Emir Kusturica, Daniel Brühl, Nathalia Amore, Vladimir Cruz, Josh Hutcherson, Alexander Abreu, Cristela De La Caridad Herrera 
Origine : Cuba, France, Espagne
Genre : La Habana te quiero 
Durée : 2h09

Date de sortie France : 30/05/2012
Note pour ce film :

contrepoint critique chez : Les Inrockuptibles

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