Clermont, du 31 janvier au 8 février 2014. L’un des festivals les plus vivants, les plus beaux et les plus humains au monde.
Clermont, c’est cette petite ville qui se bat pour ce qu’elle est, qui demeure humble, accessible, populaire et magique.
Clermont, avec cet évènement qu’est le festival, s’anime, encore et encore, entre rencontres, découvertes, humanité et cinéma.

mouche clermont

Le festival est un lieu – ou plutôt non, des lieux – où les êtres se rencontrent, où les passions se mêlent et où les idées fusent d’une seconde à l’autre. Et le cinéma fait vivre ce festival comme chaque bénévole, organisateur, cinéaste, technicien, projectionniste (…) fait vivre le festival. Et fait vivre le cinéma.

Ce bouillonnement est continu, incessant. Il est partout. De Gergovia à la salle Jean Cocteau, et même de la piscine clermontoise au cinéma Le Rio, tout est en mouvement, tout se partage, tout se croise, tout se voit. Car le festival de Clermont, c’est voir. Et se voir. Enchaîner les séances de courts métrages et aller à la quête de son voisin. C’est l’humain qui gouverne tout. Les sandwiches s’enfilent, les cernes se creusent mais les yeux, eux, demeurent grand ouverts. Et les oreilles aussi.
Marcher dans Clermont, c’est le quotidien du festivalier – si ce n’est pas courir pour ceux qui parviennent à digérer les films à une vitesse éclair. Alors que certains s’arment de leur badge et de leur sac collector, d’autres foulent les salles avec une paire de gants, un bonnet et le programme du festival. Et l’attente n’est jamais désagréable. Sauf quand le froid vient nous transformer en un frêle et petit glaçon, luttant tant bien que mal contre les violentes bourrasques qui sévissent devant le Capitole, par exemple. L’attente comme seule et unique pause dans ce festival. Pour dormir. Pour manger. Pour parler à nouveau – un peu. Pour digérer les films.

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Et le hasard, la chance sont présents à chaque recoin du festival, comme au moindre tournant de la Maison de la Culture, avec des centaines de prospectus accrochés aux murs, tout comme des affiches venant du monde entier. Les murs sont tapissés de couleurs, de mots et tous convergeant en un même point : le cinématographe.
Il ne peut nous échapper, et nous ne lui échappons pas. C’est cet amour collectif du cinéma qui lie chaque participant, chaque membre actif du festival et par le panel impressionnant, riche et varié de courts métrages, le spectacle est beau. Extrêmement réussi. Vivant.

On y voit de tout. Du documentaire, de l’animation, de la fiction, de l’expérimental… C’est le Cinéma en tant que tel qui habite Clermont, et c’est parce qu’il est international que la ville est melting-pot. Un mélange de nationalités, de films, de voix, de visages et de regards.

Les séances (extrêmement nombreuses et diverses) sont d’un haut niveau, d’un très haut niveau. Les talents sont multiples, innombrables et beaucoup de « premiers films » sont présentés au public. Quant à l’ambiance dans les salles de projection, elle est bon enfant. Les applaudissements sont généreux et les conversations sont nombreuses. Le noir nous happe en permanence, on ne sait plus s’il fait jour ou nuit, s’il pleut ou si le soleil tisse ses rayons à l’extérieur. On passe des heures (étonnamment courtes) dans les salles obscures, tous ensemble comme isolés face à ces immenses écrans – l’immatérielle lueur du cinéma.

Clermont 2014 - 1

Mais les évènements festifs et artistiques ne s’arrêtent pas ici. Les bénévoles, essentiels à ce festival haut en images (et en couleurs), nous accompagnent à tout moment, à chacune des séances, à la moindre de nos démarches. Boutiques, marché du film et organisation de l’incroyable planning, leur sourire et leur accueil nous font chaud au coeur. Tellement.

Et n’oublions pas la mouche du festival, aussi. Elle est encore là – toujours, en fait. Verte et agile, elle survole la ville à chaque introduction de séance, au sein du spot officiel du festival. Mais c’est ce que nous sommes, finalement. Des mouches. Volant à travers les êtres et les films, fouillant dans le moindre coin de lumière (et d’ombre) de Clermont et ne cessant de changer de direction, d’aller à la découverte de l’inconnu.

Impossible de citer tous les courts métrages de cet évènement gigantesque, mais nous pouvons en évoquer quelques uns, marquants par leur originalité.

A scene from Craig Zobel's COMPLIANCE, playing at the 55th San Francisco International Film Festival, April 19 - May 3, 2012.

Par exemple, le travail de Jem Cohen (Gravity Hill Newsreel) s’est révélé remarquable au sein de la rétrospective Etats-Unis, pays mis à l’honneur cette année. Dans ses documentaires sur la ville de New York,  et notamment ceux sur les militants du mouvement “Occupy Wall Street”, le cinéaste parvint à capter des fragments du quotidien de la Grosse Pomme, et à dépeindre, grâce à d’habiles plans larges, une ville en mouvement perpétuel.

Rien à voir avec l’univers de noir et de blanc, plongé dans la terreur d’une guerre sans fin, qu’Ellie Lee met en scène dans Dog Days. On y rencontre une famille qui survit péniblement à la faim et à son existence maudite, jusqu’au jour où un homme des plus étranges et des plus démunis se présente au seuil de sa maison, se faisant passer pour… un chien. La musique envoûtante ainsi que les silences pesants et mystérieux laissent finalement place à une amitié naissante, entre la fille de la famille et ce « chien » atypique. Court métrage émouvant, troublant et sublime, Dog Days ne peut laisser indifférent et mérite d’être regardé, vécu – encore et encore.

Dog days

Deux inconnus, réalisé par Christopher et Lauren Wolkstein, est également une énorme claque dans la figure. Le film nous invite à faire la rencontre d’un adolescent et d’un jeune adulte dont on ne sait absolument rien mais qui, minute par minute, nous intriguent et finissent clairement par nous inquiéter. La caméra, proche des êtres tout en saisissant les vastes environnements naturels, révèle finalement la vérité du périple de ce… couple anonyme. Une vérité effrayante. Et horriblement cruelle. On frissonne, devant ce court métrage. On essuie une ou deux larmes, aussi. C’est une réalisation pleine de finesse, juste et profondément humaine.

The rising

Le cinéma, c’est avant tout surprendre le spectateur – l’emporter dans sa matière filmique, dans son tourbillon d’émotions, de couleurs et de vies. Avec The Rising, Nick Jordan nous déstabilise en tous points, car son documentaire expérimental suit la destinée d’une… plante invasive, la berce du Caucase. L’esthétique de ce film est irréprochable ; des macros aux plans d’ensemble, la nature est magnifiée à chaque seconde, captée dans le moindre détail. Et elle s’oppose à son pire ennemi, l’Homme, représenté ici par des enfants joueurs autant que destructeurs. Ils brisent chaque branche, chaque brindille, mais même leurs gestes violents, sous la caméra de Nick Jordan, deviennent la grâce incarnée, une chorégraphie au service du Beau.

L’art choque, aussi. Réveillant le passé, révélant les secrets et les mystères jusque là inconnus. C’est le cas dans La part de l’ombre, qui retrace le parcours d’un photographe hongrois méconnu, Oskar Benedek. A travers la fiction qui se mêle au documentaire, Olivier Smolders livre un film traumatisant, extrêmement sombre, hanté par des images provocantes et subversives, dignes d’un cauchemar sans fin. Illustrant la folie et les maints vices d’une société retirée, le court métrage rend également hommage à cet artiste aussi torturé que talentueux.

Junk head 1

Le festival a aussi présenté bon nombre de courts métrages d’animation, notamment Junk Head 1 de Takahide Hori, prix du meilleur film d’animation dans la compétition internationale. La récompense n’est aucunement étonnante, compte tenu de son originalité et de sa réalisation absolument extraordinaires. Que ce soit la musique, le scénario, ou l’image, tout est parfait et parfaitement bien lié. On frissonne, on rit et on court, vivant pleinement chaque seconde de cette histoire futuriste.

Foad de Farzad Samsami est également un beau moment de vie, drôle et habité d’un réalisme touchant. Surtout par le personnage de Foad, justement, qui est au centre de ce film, l’illuminant de son regard et de son sourire éclatants. La simplicité se mêle au contexte délicat de l’immigration, et le comique donne envie de croire à l’avenir de ces personnages fragiles, courageux et emplis d’espoir. Foad, c’est un regard sur l’Homme en quête de liberté et surtout, à la recherche de sa propre identité.

Foad

Tant de perles cinématographiques, de bijoux rares que la liste pourrait se poursuivre encore et encore, mais quel intérêt si ce n’est celui que d’aller découvrir ces films qui, pour un bon nombre, sont disponibles sur la Toile ? Les centaines de films retenus répondent au goût de tous ; il y en a pour tout le monde et surtout, même si le corps sature au bout d’un moment, cette soif et cette faim de cinéma ne s’arrêtent jamais, nous poussant sans relâche à foncer dans les salles aux sièges rouges, notre être tout entier ouvert au cinéma.

Ce festival, ce n’est pas juste regarder des films ou les partager, c’est aussi… vivre le cinéma. Par l’échange humain. Que ce soit dans le bar des réalisateurs, ou dans la salle Chavignier avec le trombinoscope des membres « officiels » du festival, on s’habituerait presque à rencontrer des réalisateurs ou producteurs étrangers ; dans la rue, il peut tout aussi bien avoir un groupe de québécois derrière nous comme une réalisatrice géorgienne près de l’un des grands escaliers de la maison de la culture. Mais c’est cela Clermont sous les projecteurs : animé et merveilleusement humain.

Evènement majeur dans l’histoire du court métrage – et du cinéma en général – ce festival international reste dans les esprits, provoque une multitude d’émotions et surtout, il est à l’origine de maintes rencontres et découvertes. Au nom du cinéma.

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