Les beaux jours d'AranjuezA l’origine, il y a un texte écrit par Peter Handke, une pièce épurée consistant en un long dialogue entre deux personnages, un homme et une femme. On ne sait pas qui ils sont ou ce qui les relie l’un à l’autre. Ils se sont apparemment fixé des règles communes pour encadrer leur discussion, mais celles-ci ne sont pas clairement explicitées. Ils restent assis autour d’une table de jardin, entourés d’arbres invisibles, à disserter de leurs expériences sexuelles et amoureuses, des plaisirs de l’existence et de la beauté du Monde. Leur dialogue est très littéraire, entre poésie et variation philosophique. Pas vraiment un matériau cinématographique de premier choix.

Pour porter à l’écran Les Beaux jours d’Aranjuez, Wim Wenders a choisi de respecter à la lettre ce dispositif. Il a juste ajouté un personnage, celui de l’auteur en train d’écrire la pièce, dans un salon donnant sur le jardin. Et une apparition du chanteur Nick Cave qui ne sert absolument à rien, sinon à faire plaisir au cinéaste. Il a très probablement ajouté aussi un ou deux morceaux musicaux pour assurer les transitions entre les scènes. Rien de bien folichon, en somme. En tout cas, pas de quoi transcender une pièce de théâtre minimaliste en chef d’oeuvre du septième Art.

Pour cela, le cinéaste allemand comptait sans doute sur sa mise en scène. Encore raté!
Pour dynamiser le film et ne pas donner l’impression d’une simple captation de pièce de théâtre, Wenders a opté pour une caméra constamment en mouvement. Pendant le premier quart d’heure, on peut trouver ce dispositif intéressant. La caméra, aérienne, filme les personnages sous tous les angles et s’approche des visages pour capter leurs confessions les plus intimes. Mais passé le premier quart d’heure, ces mouvements perpétuels donnent le tournis. On finit par se désintéresser de ce ballet effectué par la caméra et, plus ennuyeux, à décrocher également du texte de Peter Handke, pourtant au coeur de l’oeuvre.

Deuxième parti-pris de mise en scène, l’utilisation d’une caméra 3D. Là, autant le dire tout de suite, Wenders se moque du monde. Ici, le relief ne sert absolument à rien. Vu le côté monotone et lénifiant du récit, il n’y avait pas de risque de voir des objets jaillir de l’écran, pas même la pomme rouge avec laquelle les personnages jouent tout au long du film. Mais on s’attendait au moins à ce que le cinéaste utilise la profondeur de champ. Ce n’est pas le cas, excepté quelques images de Paris, au début du film. On reste sur une image assez plate et lisse, et la mobilité permanente de la caméra n’est pas faite pour arranger les choses.

En clair, la mise en scène de Wim Wenders n’apporte aucune plus-value à la pièce d’origine. Elle donne même la désagréable impression de la transformer en un exercice de style art & essai snob et prétentieux.

Restent les acteurs, Reda Kateb et Sophie Semin, qui font ce qu’ils peuvent pour insuffler un peu d’âme à ce long dialogue. Mais le texte est trop sec, trop froid, pour que l’on puisse éprouver quoi que ce soit pour eux ou que l’on se passionne pou leurs expériences existentielles.

Au vu du concerto de ronflements, de ricanements sarcastiques, de sifflets à peine contrebalancés de quelques applaudissements polis, nous ne sommes apparemment pas les seuls à avoir été déçus. Non, décidément, Les Beaux jours d’Aranjuez ne feront pas les beaux jours de la Mostra de Venise…

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Note :
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Rédacteur en chef de Angle[s] de vue, Boustoune est un cinéphile passionné qui fréquente assidument les salles obscures et les festivals depuis plus de vingt ans (rhôô, le vieux...) Il aime tous les genres cinématographiques, mais il a un faible pour le cinéma alternatif, riche et complexe. Autant dire que les oeuvres de David Lynch ou de Peter Greenaway le mettent littéralement en transe, ce qui le fait passer pour un doux dingue vaguement masochiste auprès des gens dit « normaux »… Ah, et il possède aussi un humour assez particulier, ironique et porté sur, aux choix, le calembour foireux ou le bon mot de génie…

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