La 72ème Mostra de Venise approche doucement de son terme. Certains festivaliers ont déjà déserté les salles du Palazzo di Cinema tandis que d’autres, fatigués par leur grosse semaine de projections, luttent contre le sommeil devant des films d’auteurs parfois ardus à décrypter et des oeuvres contemplatives.
Mais le festival est encore loin d’être fini.
Au programme de la compétition officielle aujourd’hui, Remember, le nouveau film d’Atom Egoyan, et Desde Allà, premier long-métrage du réalisateur vénézuélien Lorenzo Vigas.

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Remember repose sur une idée originale : faire traquer un ancien criminel nazi ayant changé d’identité et fui en Amérique du Nord après la Seconde Guerre Mondiale par un octogénaire atteint de démence sénile. Si on évoque souvent la nécessité du “devoir de mémoire” quand on parle de la Shoah et des crimes contre l’Humanité commis par les nazis, l’expression prend ici une autre tournure. Chaque fois qu’il se réveille, Zev (Christopher Plummer), le personnage principal, ne sait plus où il se trouve. Il ne se souvient plus que sa femme est décédée deux semaines auparavant. Une lettre dans sa poche, écrite par un vieil ami (Martin Landau), rescapé d’Auschwitz comme lui, se charge de lui remettre les idées au clair. Sa quête consiste à aller à la rencontre de quatre individus portant le même nom, Kurt Kolander et abattre celui qui fut jadis le responsable de l’extermination de sa famille. Le film d’Atom Egoyan est à la fois un thriller malin, riche en rebondissements et en péripéties, une belle réflexion sur la nature humaine,un film sur la mémoire, sur la vérité et sur le mensonge, une analyse des éléments constitutifs d’un état totalitaire.
Le film est truffé de bonnes idées de mise en scène et bénéficie de l’interprétation d’une belle troupe d’acteurs “senior”, de Christopher Plummer à Jurgen Prochnow, en passant par Bruno Ganz et Martin Landau.
On l’aurait bien vu au palmarès de cette 72ème Mostra sans son ultime rebondissement, qui semble un peu trop facile, trop écrit. Remember n’est pas l’un des sommets de la carrière d’Atom Egoyan, mais il n’en demeure pas moins un bon film, parfaitement mis en scène.

Desde alla - 2

Desde Allà est une oeuvre assez difficile d’accès, qui suit la relation ambigüe entre Armando, un bourgeois quinquagénaire, et Elder, un petit voyou issu d’un quartier pauvre. Dès la première scène, on découvre qu’Armando aime payer des adolescents et les regarder se dénuder en se masturbant. Un jour, il demande à Elder de le suivre, mais le contact est plutôt houleux, car le garçon refuse de servir d’objet de désir à un vieux pervers homosexuel. Mais Armando persiste. Il est prêt à payer ce qu’il faut pour faire plier ce jeune homme qui lui résiste. Elder, qui a besoin d’argent mais aussi d’une figure paternelle de substitution, se laisse peu à peu apprivoiser…
Le film montre l’évolution de leurs rapports, entre désir et de répulsion. Il évoque aussi, en filigrane, les abus sexuels qu’Armando a subis de la part de son père et qui expliquent son besoin de fantasmer sur de jeunes garçons.
Il est fort probable que Desde Allà propose aussi un sous-texte politique, dans un pays où les dernières élections présidentielles ont été controversées et où la question de la répartition des richesses entre la classe populaire et la bourgeoisie est plus que jamais posée.
Formellement, le film ressemble beaucoup au cinéma de Michel Franco, justement producteur du film. Même utilisation des plans fixes, même façon de jouer sur la durée des plans. Il ne manque que les scènes-choc pour venir électriser le récit, car à vrai dire, il ne se passe pas grand chose et l’ennui peut vite s’installer pour qui ne parvient pas à s’attacher aux personnages…

La calle de la amargura - 2

On reste en Amérique du Sud pour le long-métrage présenté hors compétition, La Calle de la Amargura d’Arturo Ripstein. Sur le papier, l’idée était séduisante – un film noir faisant se croiser des catcheurs nains qui ne quittent jamais leurs tenues de combat, des prostituées vieillissantes et un homme se découvrant soudain une passion pour le travestissement… – mais à l’écran, c’est assez décevant.  Malgré les éléments atypiques qui composent l’intrigue, celle-ci manque de relief. Ripstein reste dans la reconstitution d’un fait divers –  réel, bien que cela ne soit jamais précisé. Il ne parvient pas à nous entraîner plus loin que cela, même si on peut avoir la tentation de considérer le quartier de Ciudad Juarez où se déroule le récit comme un microcosme représentatif de la population mexicaine.
L’intérêt du film tient seulement sur  la mise en scène d’Arturo Ripstein et sur le travail remarquable de son chef-opérateur. On ne va pas faire la fine bouche…

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Au moins, chez Ripstein, il y a cette recherche esthétique.
Ce n’est pas le cas de La Prima Luce de Vincenzo Marra, film assez conventionnel, tant sur le fond que sur la forme, qui résume bien le thème majeur des Giornate degli autori cette année : le couple en crise. Dans La Memoria del agua, il était déjà question de problèmes relationnels entre un mari et une femme, autour d’un deuil difficile. Dans Island City, deux des sketches tournent autour de relations de couple insatisfaisantes. Idem pour Early Winter. A chaque fois, il y a une petite variante qui vient pimenter les choses. Ici, il est question d’un divorce entre un italien et une chilienne qui a le mal du pays, et de la garde de leur enfant. D’un pays à l’autre, les règles ne sont pas les mêmes, ce qui complique un peu les choses. C’est le seul point intéressant de ce film ennuyeux, mal construit et filmé sans génie, dans lequel Riccardo Scamarcio en fait des tonnes.

Visaaranai - 2

Dans la section Orizzonti, nous avons pu découvrir Visaaranai (Interrogation) de Vetri Maaran.
Après l’excellente surprise qu’avait constitué Courts l’an passé, nous attendions beaucoup de ce film indien, qui parle des difficultés des migrants Tamouls, des brutalités policières et du système judiciaire défectueux. Mais à l’arrivée, la déception est grande. Si le cinéaste parvient à générer une tension dès les premières images du récit, qui montre l’arrestation d’un groupe de migrants et leur trajet jusqu’au poste de police, il bascule trop vite dans le coeur de son propos, la dénonciation des méthodes plutôt musclées utilisées par les policiers indiens pour résoudre leurs enquêtes. Il se contente alors de décrire de façon complaisante les tortures infligées aux malheureux migrants pour les faire avouer le crime dont ils sont accusés – et dont ils ignorent tout.
Le film est longuet, répétitif, et comme ni le jeu des acteurs, assez calamiteux, ni la mise en scène, bâclée, ne parviennent à dynamiser l’ensemble, Visaaranai est rapidement, pardonnez-nous l’expression, une vraie torture…

Mais apparemment, le film ayant fait la plus mauvaise impression aujourd’hui n’était pas le film de Vetri Maaran mais le Taj Mahal de Nicolas Saada. Ne l’ayant pas vu, nous nous abstiendrons de tout commentaire, mais plusieurs confrères l’ont qualifié de “grotesque”, “pathétique” et “risible, malgré lui”. Bref, nous l’avons échappé belle…

A demain pour la suite de ces chroniques vénitiennes…

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Rédacteur en chef de Angle[s] de vue, Boustoune est un cinéphile passionné qui fréquente assidument les salles obscures et les festivals depuis plus de vingt ans (rhôô, le vieux...) Il aime tous les genres cinématographiques, mais il a un faible pour le cinéma alternatif, riche et complexe. Autant dire que les oeuvres de David Lynch ou de Peter Greenaway le mettent littéralement en transe, ce qui le fait passer pour un doux dingue vaguement masochiste auprès des gens dit « normaux »… Ah, et il possède aussi un humour assez particulier, ironique et porté sur, aux choix, le calembour foireux ou le bon mot de génie…

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