Stoker est le premier film en anglais de Park Chan-Wook qui se réclame de réalisateurs comme David Lynch, David Cronenberg et Brian De Palma – pour son style élégant et sexy – autant que d’écrivains tels qu’Edgar Allan Poe, M.R. James et Wilkie Collins”.

A lire cette courte présentation du film par son distributeur, Fox Searchlight, on comprend pourquoi les organisateurs du festival de Beaune ont eu envie de le programmer juste à la suite de l’hommage rendu au réalisateur de Mulholland drive. Mais il y a clairement eu tromperie sur la marchandise, car si Stoker est clairement sous l’influence d’un Maître du Septième Art, ce n’est ni celle de Lynch, ni celle de Cronenberg. A la rigueur celle de De Palma. Et pour cause : Stoker est clairement un film “hitchcockien”, tant dans les thèmes abordés que dans la forme utilisée.

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L’intrigue est centrée autour du personnage d’India (Mia Wasikowska), une jeune femme fragile qui s’apprête à fêter ses 18 ans quand elle apprend le décès de son père, dans un brutal accident de voiture. Le choc est rude, car India était bien plus plus complice avec son père, qui lui enseignait des techniques de chasse, qu’avec sa mère, la froide et détachée Evie (Nicole Kidman).
Lors des funérailles, la jeune femme découvre qu’elle a un oncle, Charlie (Matthew Goode), dont on ne lui avait jamais mentionné l’existence et qui affirme revenir d’un long périple à l’étranger. Evie se laisse séduire par cet homme qu’elle non plus n’avait jamais eu l’occasion de rencontrer. Elle l’invite à séjourner quelque temps dans leur manoir, pour faire connaissance et plus si affinités.
India, elle, se méfie de cet homme au regard magnétique et au sourire étrange, trop charmeur pour être honnête.
Quand, dans leur entourage, des personnes viennent à disparaître mystérieusement, la jeune femme se persuade que l’Oncle Charlie est un redoutable tueur en série…

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L’Oncle Charlie, c’était le personnage incarné par Joseph Cotten dans L’Ombre d’un doute de, devinez… Alfred Hitchcock (il y en a deux qui suivent…). Dans ce film du Maître du suspense, tout reposait également sur la relation entre le tonton, tueur de veuves présumé, et sa nièce, à la fois fascinée et effrayée par ce personnage charismatique.
La demeure dans laquelle vivent Evie et India évoque autant le château d’un vampire cher à Bram Stoker, qui a donné son patronyme aux personnages du film, que le manoir dans lequel vivait Rebecca, l’héroïne du film éponyme signé… Hitchcock (en fait, il y en a trois qui suivent…).
Dans ce film, une femme disparaît, comme dans ce film de la période anglaise de… Hitchcock (non!?! Pas possible!) et même deux, puisqu’une aïeule trop bavarde se retrouve étranglée aussi spectaculairement que dans Frenzy de… Sir Alfred (Hitchcock, donc).
Les objets sont mis en valeur par des effets de surbrillance, comme le verre de lait de Soupçons du Maître du suspense (alias Hitchcock).
Et, last but not least, une scène de douche qui ne manquera pas d’évoquer la fameuse scène de Psychose, le film de vous savez qui…
Bref, vous comprendrez que l’on insiste lourdement : Stoker est nettement, indubitablement, passionnément un film hitchcockien.

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Mais Park Chan-wook s’éloigne aussi des canons hitchcockiens pour imprimer au film sa propre patte, son propre style. On le retrouve dans la pointe d’ironie et de cruauté qui parcourt le récit, mais aussi dans l’environnement visuel de l’oeuvre, avec ces images bien léchées, bien cadrées, ce montage efficace et ces effets de transition astucieux. Et on retrouve également les thématiques de prédilection du cinéaste sud-coréen : la vengeance, les liens familiaux (forcément) complexes, la perte de l’innocence.

Il y a aussi un lien direct avec son long-métrage précédent, Thirst, car les deux films semblent être des variations autour du thème du vampirisme.
En effet, bien que tout à fait humain et mortel, Charlie a tout du vampire classique. Il cache sa brutalité, son instinct de chasseur sanguinaire, derrière une apparence séduisante et un charme quasi-hypnotique. Il faut voir comment il réussit à envoûter la pauvre Evie, avec deux sourires et trois compliments faciles… Pour mieux l’attaquer, le moment venu.

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Sa relation avec India est différente. Il y a un lien particulier entre eux, une connexion mentale presque surnaturelle, comme le souligne la séquence du cimetière, où India imagine son oncle l’appeler.
La jeune femme est autant horrifiée par le comportement criminel de son cher tonton qu’attirée par l’individu – presque sexuellement, avec ce que cela charrie comme tabous et interdits – et fascinée par la sauvagerie des meurtres commis. Les rapports qu’elle entretient avec Charlie se situent entre amour et haine, entre défiance et désir. Ils comportent aussi une dimension maître/disciple, Charlie initiant India à un monde dont elle ignorait totalement l’existence, préservée jusqu’alors par un père surprotecteur.
Là encore, on retrouve un schéma vampirique classique : Le démon s’attaque à la jeune vierge au moment de sa transformation de fille en femme, quand elle éprouve ses premiers émois sentimentaux. Il prend un malin plaisir à pervertir l’innocence de sa proie. Comme le Comte Dracula dans le célèbre roman de Brad… De Brad…
Euh, toi, là,qui a dit Hitchcock, tu sors… Non, de Bram Stoker, bien sûr.
Ô coïncidence, il s’agit justement du titre du film que nous chroniquons aujourd’hui… De là à penser que c’est fait exprès…

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Oscillant entre thriller horrifique, variation autour du mythe vampirique et chronique familiale atypique, Stoker séduit par son atmosphère particulière, mystérieuse et délicieusement perverse, par la mise en scène de Park Chan-wook, qui recycle de bonnes vieilles astuces hitchcokiennes pour sublimer sa narration, et par le jeu de ses comédiens, tous impeccables.
Mia Wasikowska est très à l’aise dans cet univers morbide, à la lisière du fantastique, prolongement logique de son travail  sur l’Alice au pays des merveilles de Tim Burton et le Restless de Gus Van Sant. Avec son visage aux traits enfantins, elle était l’actrice idéale pour incarner ce personnage de jeune fille fragile et pure. Face à elle, le britannique Matthew Goode use de sourires carnassiers et de regards intenses, à la fois durs et charmeurs, pour rendre inquiétant, presque malsain, cet Oncle Charlie sorti de nulle part… Comme le disait Hitchcock, “plus réussi est le méchant, plus réussi sera le film”. Dont acte.

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Les deux comédiens sont fascinants et supportent à eux seuls la quasi-totalité du film. Mais il ne faudrait pas oublier la belle performance de Nicole Kidman, à qui Park Chan-wook a offert un rôle intéressant, celui d’Evie. Une femme-enfant, elle aussi, mais différente d’India. Evie n’a jamais eu la fibre maternelle, et s’est retrouvée délaissée par son mari après la naissance de leur fille. Elle est entrée en compétition avec India pour obtenir un tant soit peu d’attention de son homme. Et cette rivalité continue avec l’arrivée de Charlie. Mais le tonton psychopathe va au moins servir de catalyseur à l’émancipation des deux femmes, redonnant à chacune sa véritable place dans la famille… Après la bimbo provocante de Paperboy, Kidman se glisse avec délice dans la peau de cette femme en mal d’amour, à la froideur toute… hitchcockienne.

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Bon, vous avez compris, là, non? Stoker est un bel hommage au “Maître du suspense”, bien plus inspiré que le biopic de Sacha Gervasi. C’est aussi une oeuvre atypique qui permet à Park Chan-wook de réussir brillamment son examen de passage hollywoodien, et qui saura sûrement séduire les amateurs de thrillers horrifiques comme les cinéphiles les plus exigeants.
 

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Stoker

Réalisateur : Park Chan-wook 
Avec : Mia Wasikowska, Matthew Goode, Nicole Kidman, Alden Ehrenreich, Judith Godrèche
Origine : Etats-Unis, Royaume-Uni
Genre : Hitchcock meets Dracula 
Durée : 1h39
Date de sortie France : 01/05/2013
Note pour ce film : ●●●●●
Contrepoint critique : Critikat

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