Le moins que l’on puisse dire, c’est que le personnage de Sherlock Homes a inspiré les réalisateurs… Le héros créé par Sir Arthur Conan Doyle a connu plus de 200 adaptations cinématographiques et soixante-quinze interprètes différents (1), soit plus que Jésus-Christ, Dracula ou Tarzan !
En voilà une de plus avec le Sherlock Holmes de Guy Ritchie, qui met en scène Robert Downey Jr dans le rôle-titre…

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Qu’apporte donc cette énième version grand écran des aventures du plus grand détective de tous les temps ? En quoi se distingue-t-elle des précédentes, parmi lesquelles on compte des classiques (la série de films avec Basil Rathbone), des chefs d’œuvres (La vie privée de Sherlock Holmes de Billy Wilder), et d’amusantes variations autour du personnage (Basil détective privé, Le secret de la pyramide, Elémentaire mon cher… Lock Holmes ,…) ?

Hé bien déjà, du rythme et de l’action spectaculaire…
Oui, on est dans un blockbuster hollywoodien, les amis ! Et connaissant le goût de Guy Ritchie pour les montages ultra-nerveux (ou épileptiques, pour les détracteurs), il ne fallait guère s’attendre à autre chose. Dès les premières séquences, alternance de plans ne durant pas plus de quelques secondes, le spectateur est invité à suivre les pas d’un Sherlock Holmes athlétique, courant, bondissant et distribuant les mandales comme Tony Jaa dans Ong Bak.
Une vision du personnage qui tranche avec certains des films précédents où il était décrit comme une personne distinguée, posée, calme, assez pépère… Mais curieusement plus fidèle aux bouquins de Conan Doyle, où le personnage était effectivement un type négligé, autant expert en boxe et arts martiaux qu’en science de la déduction.

Sherlock Holmes - 3

Le film respecte finalement assez bien les textes originaux, en reconstituant avec minutie le Londres de l’époque victorienne – rues pavés arpentées par des coches pressés, docks embrumés, et coins sordides et obscurs, propices aux crimes les plus sauvages… – en reprenant les personnages secondaires récurrents, le docteur Watson, évidemment, mais aussi le commissaire Lestrade, le professeur Moriarty ou la logeuse du 221B Baker street, Mrs Hudson, et enfin en proposant une intrigue flirtant avec le fantastique, mais qui sera bien entendu résolue d’un point de vue rationnel par Holmes.
Pour résumer le scénario, disons qu’il s’agit du cas étrange d’un criminel arrêté, condamné à mort et pendu en bonne et due forme, mais qui revient d’entre les morts pour tuer les membres d’une société secrète… Un problème qui va obliger Sherlock Holmes à faire chauffer ses cellules grises…

… mais qui ennuiera sûrement le cinéphile averti ou l’amateur des romans de Conan Doyle, rompus aux énigmes tarabiscotées, qui auront tôt fait de deviner les tenants et les aboutissants de cette enquête somme toute assez basique. Car si le film respecte l’esprit de l’oeuvre de Conan Doyle, il n’en possède hélas pas le style. L’ensemble manque singulièrement de mystère, la caractéristique essentielle des romans de l’écrivain britannique.

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Obsédé par le rythme de son film, Guy Ritchie ne prend pas le temps de poser la caméra quand il le faudrait, pour donner un peu d’épaisseur aux différents protagonistes secondaires et aux « méchants ». Tout est trop schématique, trop manichéen, donc trop prévisible. Seul le personnage d’Irène Ader, joué par Rachel McAdams, une voleuse rusée pour qui Holmes a le béguin, apporte un peu de duplicité à l’enquête, mais là encore, on ne devine que trop vite pour qui elle travaille vraiment et quelle va être son évolution au cours du récit…
Il y avait là matière à développer un peu plus l’ambiguïté du personnage de Holmes, esprit brillant mais obsessionnel, homme affable mais peu sociable, et même capable de se transformer en véritable goujat, défenseur de la loi mais attiré par l’ombre…
Tout cela est évoqué, certes, mais sommairement et c’est regrettable. Par exemple, le fait que Holmes soit cocaïnomane est à peine suggéré dans une réplique, alors que c’est un fait qui éclairerait le personnage sous un autre angle. Mais là, il s’agit d’un film destiné à brasser un large public, ciblant essentiellement des spectateurs jeunes, alors la drogue, c’est pas bien et on n’en parle pas… Assez stupide, mais bon…

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Le seul point un peu trouble développé par le cinéaste, c’est la relation entre Holmes et Watson, mais là, il tombe dans l’excès inverse, en insistant trop lourdement sur l’attirance quasi-homosexuelle entre les deux complices. Un élément qui n’est absolument pas évoqué dans les romans ! Dans les oeuvres de Conan Doyle, le détective est certes un peu dédaigneux des femmes, la seule aiguillonnant son intérêt étant effectivement Irène Ader, et Watson est souvent un brin misogyne, ce qui a ouvert la porte à quelques spéculations littéraires sur l’homosexualité latente des deux personnages, mais rien de concret. Et dans le film, les allusions sont on ne peut plus claires (2).
Alors pourquoi ? Manière pour Guy Ritchie de faire son coming-out ? Tentative de draguer le public gay, acquis au cinéma hollywoodien depuis le triomphe d’Harvey Milk ? Dans tous les cas, c’est très maladroit, puisque cela plombe inutilement le récit, et cela a déclenché les foudres des ayants-droits de Conan Doyle (3).
Ritchie objectera sûrement que dans La vie privée de Sherlock Holmes, Billy Wilder avait déjà évoqué la possibilité que le héros soit homosexuel. Mouais… Disons plutôt que Wilder l’avait effleurée, mais qu’il montrait surtout un type plus attiré par l’émulation cérébrale que par les plaisirs charnels. En tout cas, c’était autrement plus subtil qu’ici…
Mais bon, d’un côté on a un cinéaste de génie, qui excellait dans tous les domaines, et de l’autre l’auteur de nanars comme Revolver ou A la dérive

Cela dit, Guy Ritchie est ici moins mauvais qu’à l’accoutumée. Assagi, il ne laisse que rarement exploser ses « idées » visuelles – ralentis de mauvais goût et mouvements de caméra tape-à-l’œil – menant de manière correcte son récit. Et il est globalement bien aidé par ses comédiens. On apprécie notamment les performances d’Eddie Marsan en Lestrade, de Kelly Reilly en fiancée de Watson ou de Rachel McAdams, donc, en femme fatale sulfureuse. On aime aussi la composition toute en flegme british de Jude Law dans le rôle du Dr. Watson. Quant au choix de confier le rôle-titre à Robert Downey Jr, il n’est guère discutable. Pas parce que l’acteur, ancien drogué lui-même, était le mieux placé pour incarner Holmes, non… Suivez un peu : on vous a dit que sa toxicomanie n’était que brièvement suggérée…
Non, juste parce qu’il possède le charisme, la décontraction et le côté chien fou qui convenaient pour le personnage…

Sherlock Holmes - 2

Est-ce suffisant pour faire de Sherlock Holmes un bon film ? Tout dépend du point de vue…
Il est probable qu’une partie du public, dont les plus jeunes qui ne connaissent ni les bouquins, ni les vieux films (4), apprécie ces aventures trépidantes, mais reste peu sensible au sous-texte de l’oeuvre. Il est également à parier que de nombreux cinéphiles trouvent l’adaptation fidèle au matériau original, mais n’adhère pas à cette succession, peu consistante, de scènes d’actions convenues et d’humour pataud.
C’est tout le problème de vouloir à la fois ménager la chèvre et le chou… (et je ne dis pas qui est qui…)  Cela aboutit à un compromis pas désagréable à regarder, mais pas transcendant non plus.

Résultat : ce Sherlock Holmes new-look laisse une impression mitigée, pas réussi, mais pas totalement raté non plus, avec notamment quelques idées de mise en scène intéressantes, à défaut d’être brillantes.
Quoi qu’il en soit, le personnage de Sherlock Holmes a encore de beaux jours devant lui, puisque le film a triomphé au box-office américain et qu’une suite est d’ores et déjà à l’étude, avec la même équipe (5)…

(1) : Source : Livre Guinness des Records. A priori, 211 films et 75 interprètes différents…
(2) : Le cinéaste claironne d’ailleurs en interview que pour lui, « il ne fait aucun doute que Holmes est gay »
(3) : Andrea Plunket, qui détient les droits de l’œuvre de Conan Doyle, a dit qu’elle refuserait l’exploitation d’un second film de la franchise si cet aspect homosexuel était davantage mis en avant, pas par homophobie, mais par respect pour les romans originaux.
(4) : Le dernier film mettant en scène Sherlock Holmes était parodique et
date déjà de 1988. Il s’agit d’Elémentaire, mon cher… Lock Holmes, avec Michael Caine dans le rôle d’un détective gaffeur.
(5) : sauf si les droits sont subitement refusés…

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Sherlock HolmesSherlock Holmes
Sherlock Holmes

Réalisateur : Guy Ritchie
Avec : Robert Downey Jr, Jude Law, Rachel McAdams, Kelly Reilly, Eddie Marsan, Mark Strong
Origine : Etats-Unis, Royaume-Uni
Genre : élémentaire mon cher Watson
Durée : 2h07
Date de sortie France : 03/02/2010

Note pour ce film : ●●

contrepoint critique chez : Les yeux sur l’écran

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