– Interview de Pochep (Dress Code / New York 1979) –

QdB

Le festival Quai des Bulles fut une jolie occasion de se retrouver entre passionnés de bande dessinée, d’assister à de belles expositions autour du neuvième art, mais aussi de rencontrer des auteurs dans d’agréables conditions, et discuter tranquillement avec eux sur fond de mer et de ciel bleu…
…l’auteur du jour est le grand Pochep, avec qui je me suis posé tranquillou sur le pont ensoleillé d’un bateau pour papoter de mode vestimentaire et capillaire, de la série Dallas, de problèmes de prostate, et un peu de bande dessinée aussi !

Pochep et persos

PaKa : J’imagine que la BD a toujours tenu une place importante dans ta vie. Gamin, tu lisais quoi ?

Pochep : Tous les grands classiques : Tintin, Astérix, Lucky Luke… J’avais une véritable passion pour Lucky Luke. J’avais même des taies d’oreiller Lucky Luke, des draps Lucky Luke… Je m’en suis détaché très difficilement. J’étais dans un milieu où on ne lisait pas beaucoup de BD, donc j’avais peu d’ouverture sur le reste, alors je suis vraiment resté sur les classiques. Après, c’est vraiment au lycée où tout à coup, on m’a mis entre les mains Fluide Glacial, avec des choses beaucoup plus adultes, qui frappent l’esprit. Et puis dans les années 90, j’ai suivi les débuts de l’Association, des choses comme ça, tu vois ? C’est là que j’ai découvert Meder de Jean-Claude Menu, par exemple, et j’ai adoré.
Et puis après cette grosse période de découverte BD, ça c’est un peu tari, parce que je dessinais pas, je faisais plus rien. C’est beaucoup plus tard que j’ai replongé là-dedans et décidé d’en faire.

PaKa : Ce qui est étonnant, c’est que contrairement à beaucoup de dessinateurs, tu as d’abord sorti un album (le Génome), et après seulement tu es venu au blog.

Pochep : Le Génome, ça correspondait au moment où j’ai décidé de refaire de la BD, et ça s’est fait très très vite : je connaissais personne dans le milieu, et par hasard, j’ai vu une annonce où un éditeur cherchait des projets. Je leur ai envoyé ma BD, et ils m’ont dit « on prend » ! Gros coup de bol !
Et c’est mon éditeur qui m’a dit : « Tu devrais ouvrir un blog, au cas où les gens qui te découvrent dans cette BD voudraient voir autre chose de toi». J’ai dit OK, je suis allé voir ce qu’il se passait sur les autres blogs, et j’ai ouvert timidement le mien. Au début, je savais pas trop quoi mettre, et puis d’un seul coup, clac, il y a un truc qui s’est passé : j’ai eu envie de faire des choses, de mettre des séries en place, ça a fait vachement progresser mon dessin.

Genome Battemobile

PaKa : Une évolution qui est visible même au cours de ton album La Battemobile.

Pochep : Ah oui, c’est parce que pour La Battemobile, j’avais fait des trucs dès 2007 – 2008 sur le blog, et quand les gens d’Onapratut m’ont commandé l’album, il a fallu d’un seul coup que j’en fasse 250. Mais comme mon trait avait vachement évolué, on sent qu’à partir du trentième strip, il y a une sorte de rupture de style. Même s’il y a d’autres choses qui viennent créer une unité, on sent qu’il y a une petite bascule dans la forme avec ce que j’ai dessiné vers 2009 – 2010.

PaKa : Malgré cette rupture de style, l’ensemble reste toujours rudement efficace !

Pochep : Ah ouais ? C’est cool, parce que le strip, c’est quelque chose d’assez particulier. La grosse difficulté, c’est de mettre en place des situations : sur un strip, c’est pas facile. En plus, comme avec ces strips je bâtissais une histoire longue, c’est vrai qu’il y en a qui étaient moins drôles que d’autres, moins dynamiques, mais ils installaient un truc qui permettait ensuite de rebondir sur mille détails, mille choses, mille running gags… c’était cool à faire !

PaKa : On a pu te voir ensuite sur différents supports, comme Les Autres Gens, Mauvais Esprit, ou dans les collectifs de Vide-Cocagne… On a l’impression que petit à petit, via toutes ces participations, tu t’es créé une sorte de « bande ».

Pochep : Quand je me suis lancé dans là-dedans, comme je suis de nature plutôt timide, commencer à rencontrer des gens, d’autres auteurs, c’était un peu le truc. Le blog était une bonne vitrine, Les Autres Gens étaient aussi une excellente vitrine. Il y a plein de gens de l’univers de la BD qui m’ont découvert par là. Et puis après, ça a fait un peu tache d’huile : j’ai travaillé avec La Revue Dessinée (avec que je vais retravailler encore, d’ailleurs), quelques illustrations sur les textes d’Hilaire Picault dans Aaarg!… Des fois, je me dis que c’est cool, parce qu’il y a des choses qui vivent, d’autres qui meurent – comme Mauvais Esprit, ou Les Autres Gens qui se sont arrêtés – mais humainement, ce sont des aventures géniales !

LAG_Mag

PaKa : Et ce qui est génial, c’est de voir que toi qui lisait Fluide Glacial, tu en investis maintenant les pages avec cette petite bande ! C’est un beau retour des choses de voir qu’en quelque sorte, vous êtes « la relève » ?

Pochep : Bah écoute, j’espère. C’est vrai que Fluide, ça bouge beaucoup en ce moment. A une époque, j’avais décroché, mais là, avec l’arrivée de Lindingre aux commandes, on sent une volonté de faire bouger les choses, de faire venir plein de monde. Tout au long des années, 2000, ils avaient toujours leurs auteurs historiques – dont certains y sont encore, heureusement – mais aucune ouverture sur tout ce qui se passait sur le net, sur les blogs, tout ça… C’est quelque chose qu’ils n’avaient pas du tout vu venir, semble-t-il. Mais c’est en train de changer : avec Lindingre, la porte est grande ouverte, et il fait rentrer plein de monde. Même si des fois c’est pas pour quelque chose de très long, y a des gens qui arrivent à passer un dessin, un strip, une page. Alors même s’il y a toujours les classiques comme Edika ou Gossens, le journal est renforcé par des choses un peu nouvelles, d’un autre ton.

PaKa : C’est vrai, on sent ce réel respect vis-à-vis des grands anciens, mais en vous embarquant dans l’aventure, avec vos thèmes plus contemporains, ils se renouvellent à fond et y gagnent beaucoup.

Pochep : Ouais, c’est très dynamique, ça bouillonne… c’est une bonne période, et on le voit bien : en discutant avec d’autres dessinateurs, ils reconnaissent qu’à un moment donné ils avaient pratiquement lâché Fluide, et que là ils prêtent un œil intéressé à ce qui se passe, espèrent même y publier certains de leurs travaux. C’était en train de se ringardiser, mais c’était pas justifié, et là, enfin, les gens recommencent à se dire : « Tiens, il se passe un truc » !

NY79 Traboule

PaKa : La rencontre entre l’old school et le moderne, en sorte. Un peu comme dans tes propres BD : quand dans New York 1979 on voit les beaux tissus imprimés des costumes, les belles mises en pli et rouflaquettes qu’arborent les perso’, ce kitch assumé… c’est une sorte de nostalgie ou un gentil foutage de gueule ?

Pochep : Je parlerais pas vraiment de nostalgie. Tout ce que tu viens de décrire, c’est un monde qu’on considère aujourd’hui comme ringard, gentiment ringard, et moi c’est un statut que j’aime bien le côté ringard. Moi-même je dois avoir des cotés ringards !
En fait, cette mode qu’on trouve ringarde aujourd’hui, c’était la norme, à l’époque… c’était la classe, même !
Et puis c’est aussi le dessin et la couleur qui m’amènent d’un seul coup à traiter cette époque. Au tout début, je dessinais des choses strictement dans le noir et blanc, la couleur me faisait très peur, et à un moment donné, j’ai plongé dedans ! L’album de New York 1979, c’est un peu l’aboutissement de tout ce que j’ai mis en place.

PaKa : Un style qu’on sentait déjà arriver dans Traboule, avec les trames un peu kitshouilles, la grosse moustache des messieurs aux magnifiques costumes à carreaux…

Pochep : Ouais, c’est venu doucement. Quand je bossais sur le Génome, j’utilisais tout le temps la fonction « pot de peinture » pour remplir les formes : c’était tout ce qu’il y avait de plus pratique dans le métier, mais je voulais pas continuer comme ça, j’avais l’impression que la couleur m’appartenait pas. Tout d’un coup, il fallait que je la prenne en main, donc j’ai créé mes propres couleurs, mes trames, ça a nourrit mon dessin. Et après, toutes ces histoires de formes et de couleurs, ça m’a conduit à cette époque hyper-colorée, à ces fringues pleines de motifs…
Y a pas longtemps, je me suis refait tous les Dallas. C’est une série qui a duré 12 ans – beaucoup trop longtemps, tu vois, mais je connaissais pas la fin, alors je me suis tout remis – et le premier épisode, c’est quand même en 1978. 78, c’est encore vraiment les trucs seventies à carreaux, ça perdure. Quand tu vois comment est habillé JR quand il va a son bureau, ou comment il est dans son ranch, au début, ça reste encore du grand n’importe quoi au niveau des formes, au niveau des coupes… Et d’un seul coup, vers le milieu, 1984 – 1985, y a une rupture de style : les coupes sont beaucoup plus soft, on passe au gris, un gris qui devient un peu plus dense, après on passe au noir, aux costumes bleu sombre… et on les quitte plus jusqu’à la fin de la série !
Mais moi, j’aimais bien cette période de fin 70, où y a un côté patte d’eph’ / cheveux longs / moustache. C’est un truc qui est né dans les sixties avec les babas cool, des gens dans une sorte de rébellion : très jeunes, ils se laissent pousser les cheveux, ils brisent des conventions. Et puis ce qu’ils ont mis en place s’est petit à petit intégré et a fini par être absorbé par toutes les couches de la société. Et même les plus conservatrices ! C’est là que tu t’aperçois que même le costard trois pièces reprend une partie de ces motifs, que même le PDG va avoir les cheveux longs sur les oreilles ou dans le coup, tu vois ? C’est incroyable que ce mouvement de rébellion soit finalement perverti, caricaturé, en si peu de temps !
Et 79, c’est d’un seul coup l’explosion : ce style est partout, reconnu par tout le monde, ça pose plus de problème… c’est une sorte de décadence du truc ! C’est ça, la fin des années 70 : je décris une époque qui veut pas mourir mais qui va mourir, parce que ça va pas pouvoir durer.

PaKa : Et du coup, au lieu de parler BD, on parle chiffon !

Pochep : Mais justement, j’suis content d’avoir créé un truc comme ça, un album qui parle que de fringues ! Même mon, blog, quand tu vois ce que j’aborde, finalement c’est un blog girly.
Et puis New York 1979 qui a été chroniqué par Biba, par des sites de mode homme, mode féminine… je me suis dit : « putain, c’est cool » ! C’est un peu inattendu, mais je me dis que j’ai réussi un truc, là !

Dress_Code

PaKa : En parallèle, tu sors Dress Code, un recueil d’histoires que tu avais publiées sur ton blog, redessinées et complémentées pour l’occasion. On y trouve ta Lady Oscar ô combien virile, Anatomicor, l’homme anatomique, ou encore le fameux cow-boy gay, mais pas Feu mes volutes… Ces pages où tu te mettais toi-même en scène étaient trop personnelles pour l’album ?

Pochep : Non, c’est quelque chose qui ne pouvait pas être rassemblé comme le reste, il y a trop d’incohérence pour être mis bout à bout. En fait, c’est un peu la genèse de mon personnage, mais tous les thèmes que j’ai osé aborder grâce à Feu mes volutes, je les ai ensuite développés autre part, dans d’autres histoires.
Mais rien n’est fermé, hein ? J’en parlais avec Fabien Grolleau, de Vide Cocagne : on a un projet qui est pas encore lancé, mais où il serait question de mon perso’ de Feu mes volutes. Je voudrais bien le remettre en scène, mais dans quelque chose de complètement différent, un truc beaucoup plus long. Tu vois, dernièrement on a beaucoup parlé de la théorie du genre, de trucs dans ce goût-là, et sans vouloir spécialement coller à l’actualité, je me suis qu’il y a quand-même de milliers de choses à raconter à travers ce personnage.

PaKa : C’est aussi une des choses qui te caractérisent : ce que tu fais est toujours super-drôle, mais mine de rien, derrière cet humour, il y a souvent un message plus fin en filigrane.

Pochep : C’est jamais très théorisé dans mon esprit quand je commence une histoire : j’y vais de manière instinctive sur une situation, une micro situation même, des fois, juste une position de corps, un truc du genre… et après j’improvise constamment. Et je vois bien, avec le recul, qu’il y a des choses que j’ai choppées dans l’actualité, ou dans les heures qui précédaient, lors d’une conversation, un détail, un élément de décor… Il y a des choses qui transpirent énormément, et après sur le fond, c’est des choses qui s’imposent naturellement. Par exemple, toute la question de l’homosexualité qui a ressurgit dans l’actualité, même encore dernièrement, c’est difficile de passer à côté, alors je me retrouve avec des préoccupations très personnelles qui, tout à coup, croisent l’actualité nationale, des questions sociétales qui touchent plein de gens…

Bonne à marier

PaKa : Et ça donne Bonne à marier, un fanzine très drôle et pile dans l’actu’.

Pochep : Ah oui, là, je voulais vraiment réagir à l’actualité, parce qu’on était vraiment dans le cœur du sujet, et qu’il y avait tellement d’énormités qui étaient dites ! C’est une histoire que j’avais dessinée à la base sur mon blog, puis Vide-Cocagne l’a publiée dans leur collection Sous Le Manteau, et récemment, ils l’ont mis en accès libre sur leur site… J’espère que ça va être diffusé le plus largement possible. Je suis persuadé que quelqu’un qui est pro « Manif’ pour tous » ne va pas changer d’avis, mais j’ai peur qu’à part les gens concernés – les homos ou ceux résolument anti – les autres gens ne soient pas forcément au courant qu’il va y avoir une manif’ pour, ou contre, et qu’ils passent alors complétement à côté : qu’ils réalisent qu’il y a des gens qui sont contre les homos, mais sans connaître réellement le vrai visage de ces gens-là. Alors la BD, ça peut être le vrai moyen de les toucher, de toucher un autre public et de faire passer le message sans faire une quelconque propagande, sans viser un type de personne ni vouloir toucher uniquement les homos.

PaKa : Et pout l’avenir, quels sont tes projets ?

Pochep : Dans l’immédiat, je continue avec Fluide, qui m’a relancé sur New York 1979. Au début, j’avais un peu peur de me répéter, et après je me suis dit que sans en faire 50 volumes, je pourrais en faire un deuxième qui se passerait en décembre 1979 et qui viendrait tout terminer, avec la dernière histoire pile sur le 31 décembre 1979.

PaKa : On retrouvera tous les perso’ du premier album ?

Pochep : Oui, oui, à part Doug, le personnage de catalogue, parce qu’il servait juste de liaison entre les histoires et qu’il est arrivé au bout de ce que j’avais à lui faire dire. Après, je me dis que ce serait fou de faire un album concept, un peu comme un catalogue : une BD de 2000 pages, avec le même type de papier qu’un catalogue la Redoute, et avec que des modèles, comme ça, arriver à raconter une histoire… Mais bon, ça marcherait peut-être que sur dix pages. Dans le cadre de l’album, c’était des pages séparées, et ça marchait bien.
Et sinon, après, je vais essayer de me concentrer sur le truc pour Vide-Cocagne, réduire un peu la voilure sur les différents supports pour avoir moins l’impression de m’éparpiller. J’ai envie de prendre le temps qu’il faudra pour tracer ce truc où je vais me remettre en scène, et essayer de partir sur une histoire plus longue, dans un esprit un peu différent de ce que je faisais habituellement. Ils n’ont encore aucune idée du contenu, et moi, à l’heure actuelle, pas vraiment non plus, sinon qu’il y aura des thèmes que j’aime bien qui vont être abordées. Mais j’espère que je vais faire quelque chose qui pourrait amorcer des trucs encore plus personnels, sans me défaire de l’humour, parce que j’en ai besoin, mais en essayant d’être plus expérimental, ou plus audacieux…

Fag West Lady O

PaKa : Et si tu avais une sorte de super-pouvoir qui ferait dire oui à tout à n’importe quel éditeur, quel serait ton « projet fou », ton livre fantasme ?

Pochep : Oh, la question est difficile… Ah bah, tiens, je te parlais d’un album concept tout à l’heure, un truc fou genre catalogue : ça pourrait être ça !
Ou alors, si, voilà : le truc que j’aimerais, ce serait de me lancer sur une série ! Tu vois, là, avec Fluide, j’ai des contraintes sur le format : un nombre de pages limitées que je peux passer dans le journal, alors ce que j’aimerais, à l’inverse, ce serait de faire une série mais jusqu’à son écœurement, jusqu’à ce que les gens n’en puissent plus, ne veulent plus l’acheter ! Si il y a des périodes que j’aime bien, c’est un peu les fins de séries, où tu sens qu’il y a les albums de trop : ça sous-entend qu’il y a eu une belle période avant ! Un truc classique, fort, incontournable, maîtrisé, mais qui finit toujours par dépérir. Les derniers feux d’un truc dont tu connais les choses par cœur, par exemple, mais dont le dessin ne suit plus tout à fait…

PaKa : Dallas en BD ?

Pochep : Voilà ! Mais moi, j’adorerais ! Je voudrais bien faire une série comme ça ! L’idéal, c’est d’avoir une belle période où ton travail est compris, tout ça, et d’avoir une dégénérescence, une décadence. Il y a plein de séries comme ça qui n’ont pas su s’arrêter à temps, qui ont perdu de leur énergie, ou ça tourne en boucle sur des sujets…

PaKa : C’est un peu ce que craignait Trondheim quand il a achevé Lapinot. Il pensait être allé au bout du truc, et répondait aux fans déçus : « Et après, quoi ? Lapinot et sa prostate ? ».

Pochep : Bah écoute, c’est tout-à-fait ça ! Je trouve très fort ce qu’il a fait avec Lapinot, mais voilà, moi, mon truc, ce serait peut-être ça : « Pochep a des problèmes de prostate : l’album de trop » !

PaKa : Tout un programme ! Merci Pochep, en te souhaitant que cet album de trop arrive le plus tard possible…!

xxx

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