Bon, c’est sympathique cette 71ème Mostra, mais niveau thématiques, on tourne un peu en rond.
Entre les films sur des acteurs dépressifs (Birdman, The Humbling), ceux sur des malades en phase terminale (Le Dernier coup de marteau, The Farewellparty, Revivre…), les oeuvres qui s’interrogent sur la notion de responsabilité et d’obéissance aux ordres (One on one, The President, The Look of silence et, demain, The Good kill), et celles où les personnages se perdent en forêt pour se poser des questions existentielles (NDE, Nobi – fires on the plain, Before I disappear…), on l’impression que les jours se suivent et se ressemblent. Et puis, disons les choses clairement : ça manque de zombies.
Heureusement, pour arranger cela, on peut compter sur Joe Dante et sur son nouveau long-métrage Burying the ex.

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“Burying the ex” de Joe Dante (Hors Compétition)

Max (Anton Yelchin) est un garçon passionné de cinéma fantastique, qui travaille comme vendeur dans une boutique de costumes pour Halloween et d’objets ésotériques. Il pense avoir rencontré la femme de sa vie en la personne d’Evelyn (Ashley Greene), mais réalise peu à peu qu’ils sont trop différents pour s’entendre sur la durée. Elle essaie de lui imposer ses propres goûts, son propre mode de vie – elle est végétalienne, militante écologiste forcenée, adepte du recyclage et du tri sélectif – et se montre rapidement autoritaire, jalouse et détestable avec ses proches.
Mais, le jour où Max se décide à quitter Evelyn, elle décède, écrasée par un poids lourd. Après quelques jours de deuil et de dépression, le jeune homme rencontre la belle Olivia (Alexandra Daddario), qui, en plus d’être douce et charmante, a les mêmes centres d’intérêt que lui, et il envisage de refaire sa vie sans plus tarder.
Mais un jour, au magasin, Evelyn et lui s’étaient jurés de ne jamais se quitter. Et ses voeux d’amour eternels avaient été entendus par une sorte de génie maléfique. Celui-ci, avec son sens de l’humour particulier, a donc choisi de faire revenir Evelyn sous la forme d’un zombie… Et elle retourne s’installer comme si de rien n’était auprès de son conjoint, juste un peu plus méchante, plus violente et plus décomposée…

Cette idée de départ amusante permet à Joe Dante de signer une comédie horrifique réussie, dans l’esprit de celles que produisait le cinéma américain dans les années 1980. On frémit un peu, on rit beaucoup et on se délecte des clins d’oeil et jeux de mots foireux (ice-cream / I scream, le parfum Berry-ing the ex…) disséminés dans le récit.
On s’amuse également beaucoup du choix d’une militante écolo intégriste pour incarner le Mal absolu. Après Hungry hearts, voilà qui devrait dissuader plus d’un festivalier de consommer Bio et de pratiquer le tri sélectif. Hop! Envoyons ces fanatiques écologistes au diable vau- vert et allons commander des pizzas ornée de bonne charcuterie italienne!

Notre note :

 

Bon, après cette savoureuse récréation, revenons aux choses sérieuses avec la compétition officielle, et deux postulants au Lion d’Or dont on n’attendait pas forcément grand chose, mais qui se sont révélés, à des degré divers, moins catastrophiques que prévu pour la compétition.

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”Pasolini” d’Abel Ferrara (Compétition Officielle)

Hormis, peut-être, 4:44 Dernier jour sur Terre,  les derniers films d’Abel Ferrara ne nous ont pas du tout emballés. Nous n’avons tenu qu’un quart d’heure devant son récent Welcome to New York, une véritable torture pour cinéphiles. Autant dire que nous sommes allés à reculons à la projection de ce biopic sur Pasolini, commandé par Arte, potentiellement pour honorer la mémoire du cinéaste italien, décédé il y a quarante ans. A l’arrivée, ce n’est pas un chef d’oeuvre, loin de là, mais par rapport à ce que l’on redoutait, le résultat n’est pas catastrophique.

Plutôt que de réaliser un biopic classique et linéaire reprenant tout le parcours de Pasolini, Abel Ferrara a opté pour une narration centrée sur les derniers mois de la vie de l’artiste, jusqu’à ce jour fatidique où il a été tabassé à mort par quatre voyous, sur une plage d’Ostie. Des interviews, des petits moments d’intimité en famille, des allusions à ses oeuvres littéraires ou cinématographiques et les souvenirs personnels qui les ont inspirés servent de fil conducteur au récit. L’avantage, c’est d’évoquer en un même mouvement les différents aspects de la personnalité de Pasolini : le poète, le cinéaste, le provocateur, le militant politique, l’homosexuel, le fils à sa mamma… L’inconvénient, c’est qu’il est bien évidemment impossible de résumer une personnalité aussi complexe en seulement 85 minutes. De nombreux aspects de sa vie ne sont que survolés, notamment ce qui concerne son engagement politique à gauche, et les zones d’ombres qui entourent son décès, potentiellement commandité par des hommes politiques que Pasolini dérangeait, ont été soigneusement éludées. Des personnes-clés de la vie de Pasolini, comme Laura Betti (jouée par Maria de Medeiros) sont sous-exploitées, et des pans entiers de son travail sont oubliés.

On peut aussi trouver très discutable le choix de Willem Dafoe pour incarner Pier Paolo Pasolini. Certes, l’acteur américain a un faciès qui ressemble vaguement au cinéaste, mais il ne parle pas italien, et ne fait même pas l’effort d’essayer. Cela donne un résultat assez curieux, où Dafoe s’exprime en anglais, où certains acteurs italiens sont contraints de baragouiner en anglais et d’autres s’expriment dans leur langue natale, ou une portugaise incarne, en anglais, une actrice transalpine et où les critiques cinéma sont français. Bref, c’est une vraie auberge espagnole… Pourquoi ne pas avoir opté pour un casting 100% italien? N’y avait-il aucun acteur libre pour incarner Pasolini? Valerio Mastandrea ou Riccardo Scamarcio, cantonnés à des seconds rôles ridicules, n’aurait-il pas pu jouer le rôle?

Pasolini selon Ferrara nous laisse donc des sentiments mitigés. D’un côté, ce long-métrage est ce que le cinéaste américain a fait de mieux depuis des lustres, et on lui sait gré de ne pas avoir nous avoir infligé un biopic classique comme l’ennuyeux Il Giovane favoloso. De l’autre, on est frustrés du manque de consistance de l’ensemble, qui se contente d’effleurer les aspects les plus intéressants de la carrière de Pier Paolo Pasolini.
 
Notre note :

 

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”Red amnesia” de Wang Xiaoshuai (Compétition Officielle)

Les films de Wang Xiaoshuai (Shangai dreams, Chongqin blues, 11 fleurs) sont toujours des oeuvres intéressantes, qui évoquent de manière subtile l’histoire de la Chine – notamment la période de la Révolution Culturelle – ou les mutations profondes de la société chinoise depuis les vingt-cinq dernières années. Mais elles souffrent souvent d’un manque de rythme, dû à une mise en scène trop classique.
Avec Red amnesia, il réussit à combiner ses deux thèmes de prédilection et à apporter une tension dramatique constante, en entremêlant une trame de thriller à une chronique familiale.

Le personnage principal, Deng Meijuan (Lu Zhong), est une vieille femme qui vient de perdre son mari. Ses enfants lui offrent de l’accueillir chez eux, mais elle refuse de quitter son domicile. Elle sent bien que cette hospitalité est feinte. Ses enfants n’ont pas franchement envie de la voir débarquer. Et de toute façon elle ne se sent pas à l’aise chez eux.
Deng Meijuan a connu la Révolution Culturelle et la vie à la campagne, avant revenir s’installer en ville. Elle a connu la misère et la faim, puis le confort relatif de la vie urbaine. Elle été élevée dans le respect des anciens et des traditions et a vécu dans une société collectiviste. Ses enfants n’ont connu que la ville. Ils sont emblématiques de la Chine moderne et son modèle économique néo-libéral. Ils ont un rapport au passé et aux traditions totalement différent. Alors évidemment, la cohabitation n’est pas aisée…
Voilà pour la partie chronique familiale, qui permet au cinéaste de montrer la nette cassure entre la génération qui a connu le communisme pur et dur, jusqu’à la fin des années 1980 et la génération suivante, qui a grandi dans une Chine ouverte au libéralisme économique.

La partie thriller, elle, fit monter la tension autour de la vieille dame. D’abord, il y a des appels anonymes. Un individu l’appelle à toute heure, sans dire un mot. Les enfants de Meijuan mettent d’abord cela sur le compte de la fatigue, car la vielle dame est très abattue depuis la mort de son mari, et elle continue de lui parler comme si de rien n’était.
Mais un carreau cassé et des évènements étranges dans le voisinage finissent de les convaincre. D’autant que Meijuan croise de plus en plus le même jeune garçon, assez étrange…

La combinaison des deux intrigues fonctionne bien, et permet de dresser un superbe portrait de femme : Deng Meijuan est à la fois harcelée par les jeunes générations et hantée par les fantômes du passé. C’est le prix à payer pour ses choix. Elle a tout fait pour offrir à ses enfants une bonne vie, loin de la campagne et a la satisfaction du devoir accompli. Mais cela induit aussi un sentiment de culpabilité et de vertigineux cas de conscience. Lu Zhong, quasiment de tous les plans, incarne avec talent cepersonnage complexe et attachant. Elle se pose comme une candidate sérieuse au prix d’interprétation féminine de cette Mostra.

Notre note :

 

La vraie bonne surprise de la journée se trouvait dans la section Orizzonti. Court, premier film de Chaitanya Tamhane, est en effet un film au sujet fort, subtilement construit et mis en scène.

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Court” de Chaitanya Tamhane (Orizzonti)

Le cinéaste nous entraîne dans les coulisses des tribunaux indiens, à travers les mésaventures judiciaires d’un poète et chanteur, accusé d’avoir poussé un homme au suicide à cause du texte d’une de ses chansons. L’accusation peut sembler absurde et ridicule, d’autant que la cause de la mort n’est pas du tout prouvée, et que rien ne laisse à penser que le défunt aurait pu vouloir mettre fin à ses jours. Mais les autorités n’en démordent pas. Il y aura bien un procès.
On suit les démarches de l’avocat de l’accusé, essayant de convaincre le juge de l’absurdité de la plainte et du manque d’éléments à charge. Mais l’audience est reportée à de maintes reprises, faute de témoins valables, de respect des procédures, ou sur la base de prétextes aberrants.
Ce procès sert de fil conducteur au récit, mais chaque étape judiciaire donne au cinéaste l’occasion de présenter d’autres cas ubuesques : un procès est reporté parce que le prévenu ne parle pas les langues officielles agréées,  une audience est suspendue parce que l’accusée porte une robe bleue, couleur non-convenable selon le magistrat…
Le film, édifiant, montre une justice corrompue, engoncée dans des principes absurdes, et des autorités essayant de camoufler leur incompétence sous une bonne dose de mauvaise foi. On pense un peu à deux autres oeuvres construites sur le même principe, Bamako d’Abderrahmane Sissoko et Le Procès de Viviane Amsalem de Ronit et Shlomi Elkabetz, mais Chaitanya Tamhane se forge son propre style pour filmer ce cirque judiciaire, usant de plans extrêmement précis, restant toujours à bonne distance des protagonistes, sans pathos, sans facilités narratives. Pour une première réalisation, le résultat est assez impressionnant, et on ne peut que regretter que le film n’ait pas été présenté en compétition officielle, où il aurait pu sans peine venir bousculer certains favoris.

Notre note :

 

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“I nostri ragazzi” d’Ivano De Matteo (Venice Days)

Après Les Equilibristes, Ivano De Matteo reste dans le registre du drame familial et social. Il raconte le cas de conscience de deux couples, confrontés à l’implication de leurs enfants dans un crime sordide. De retour d’une soirée trop arrosée, Michele (Jacopo Olmo Antinori) et sa cousine Benie (Rosabell Laurenti Sellers) ont tabassé à mort une SDF et ont fui les lieux du crime. Paolo et Chiara (Luigi Lo Cascio et Giovanna Mezzogiorno), les parents de Michele, et Massimo et Sofia (Alessandro Gassman et Barbora Bobulova), les parents de Benie, comprennent que leurs enfants sont responsables de ce crime atroce en découvrant les images d’une caméra de surveillance, diffusées par la télévision. Les enfants reconnaissent finalement leur crime, prétendant que c’était un accident. Leurs parents doivent maintenant décider de la marche à suivre. Que faire? Dénoncer les adolescents? Faire comme si de rien n’était, puisque la police n’a aucune piste concrète? Les protéger à tout prix? Les liens du sang seront-ils plus fort que la morale et la justice? Le débats donnent lieu à de belles joutes verbales entre les personnages, qui ont des philosophie de vie très différentes les uns des autres, et occasionnent de curieux revirements de situation, remettant en question le certitudes des personnages et celles des spectateurs.
Le film, porté par ces six acteurs épatants, et par la mise en scène sèche, brute et dérangeante de De Matteo, est plutôt réussi, même si la narration aurait gagné à être un peu moins condensée, histoire de donner plus de poids au dénouement, abrupt.

Notre note :

 

Autres films présentés ce-jour : Io sto con la sposa, film sur des sans-papiers Palestiniens, projeté dans la section Orizzonti, Theeb de Naji Abu Nowar, dans la même section – très dispensable, selon les festivaliers qui l’ont vu – No one’s child de Vuk Rsumovic, qui a fortement divisé les spectateurs de la Semaine de la Critique, et Patria de Felice Farina, à Venice Days.

 

Ciao et à demain pour la suite de ces chroniques vénitiennes.
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Rédacteur en chef de Angle[s] de vue, Boustoune est un cinéphile passionné qui fréquente assidument les salles obscures et les festivals depuis plus de vingt ans (rhôô, le vieux...) Il aime tous les genres cinématographiques, mais il a un faible pour le cinéma alternatif, riche et complexe. Autant dire que les oeuvres de David Lynch ou de Peter Greenaway le mettent littéralement en transe, ce qui le fait passer pour un doux dingue vaguement masochiste auprès des gens dit « normaux »… Ah, et il possède aussi un humour assez particulier, ironique et porté sur, aux choix, le calembour foireux ou le bon mot de génie…

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