Ils n’ont rien de gangsters expérimentés. Ce sont juste des mecs paumés, étranglés financièrement par les pensions alimentaires qu’ils doivent verser à leurs ex-épouses, après des divorces compliqués. Ils se sont rencontrés sur place, dans la boutique, alors qu’ils venaient mettre leurs alliance en gage pour pouvoir boucler les fins de mois. En voyant le tiroir rempli à ras bord d’alliances en or, vestiges d’échecs maritaux nombreux et sans aucun doute douloureux, ils ont décidé de s’associer, sur un coup de tête, pour braquer ce magasin, bien moins surveillé que les bijouteries traditionnelles. Mais comme le dépôt-vente donne sur une place très fréquentée de Madrid, ils ont décidé de prendre la place des “personnages” qui traînent dans les environs pour passer inaperçus.
Hum… Le problème, c’est qu’un Bob l’éponge avec un pistolet automatique en main ou un Christ armé d’un fusil à pompe, ça se remarque un peu quand même… La police intervient et tente d’intercepter les braqueurs. Un est abattu, deux autres sont arrêtés. Le Christ, le GI et l’enfant réussissent à s’enfuir, en prenant en otage un chauffeur de taxi et son passager.
Les rescapés décident de fuir en direction de la France et parviennent, au terme de diverses courses-poursuites à s’approcher de la frontière.

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Mais ce n’est que le début de leurs soucis. Car avant de rejoindre les Pyrénées françaises, il faut passer par le village basque de Zugarramurdi. Un endroit réputé être le berceau de la sorcellerie en Europe, et ayant été le théâtre, jadis, de sabbats terrifiants  et de purges inquisitrices non moins barbares. Et malheureusement pour eux, les sorcières qui habitent encore les lieux les attendent de pied ferme, car eux et leur or maudit, chargé d’énergie négative, sont la clé d’un rituel visant à restaurer le pouvoir de ces ensorceleuses et leur permettre de prendre leur revanche sur des siècles de domination masculine…

Jose (Hugo Silva) et son fils Sergio (Gabriel Delgado),  Antonio (Mario Casas), Manuel (Jaime Ordonez) et son malheureux passager, mais aussi les flics qui les poursuivent vont devoir résister aux assauts de ces femmes en furie, prêtes à les servir au dîner, à les offrir en sacrifice à la matriarche du clan.

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L’intrigue des Sorcières de Zugarramurdi peut évoquer, d’une certaine manière, celle d’Une nuit en Enfer, de Robert Rodriguez et Quentin Tarantino, où des braqueurs se réfugiaient dans un bar paumé tenu par des vampires affamés. Les deux films ont en commun de basculer bien vite dans le délire horrifico-burlesque, pour le plus grand plaisir des fans de films de genre et des amateurs de grand n’importe quoi cinématographique. Mais le film d’Alex de la Iglesia  propose un peu plus qu’un pur divertissement, et il serait dommage de le réduire à cela.

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Derrière cet emballage de comédie fantastique, le cinéaste s’amuse à traiter de la guerre des sexes, de la complexité des rapports hommes-femmes, plombés par des années de dictat du patriarcat, puis par le retour de manivelle, l’essor du féminisme radical et la difficile condition des pères de familles divorcés, souvent lésés lors des jugements de divorce.
Alex de la Iglesia, toujours aussi misanthrope, ne fait pas dans la dentelle. Il renvoie tout le monde dos à dos. Dans son film, les femmes sont toutes des sorcières dominatrices, castratrices, envahissantes, mais les hommes sont des crétins irresponsables. On pense pendant un moment que le cinéaste, lui même ébranlé par une séparation difficile, il y a quelques années, profite de l’oeuvre pour régler ses comptes avec son ancienne épouse, mais on comprend très vite que le cinéaste  est tout sauf misogyne. Loin d’être un film à charge contre la gent féminine, il constitue au contraire une formidable déclaration d’amour aux femmes, créatures complexes,  démoniaques parfois, mais également irrésistibles quand elles usent de leur(s) charme(s) pour ensorceler les hommes. Le personnage de la jeune sorcière incarnée par la nouvelle compagne du cinéaste, l’accorte Carolina Bang (Bang-bang, she shot me down..) en est le plus parfait exemple.

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Alex de la Iglesia semble prôner une certaine égalité entre les sexes, de façon à ce que chacun puisse trouver sa place dans l’équation. Il montre les conséquences des comportements féministes un peu trop radicaux, qui tendent à déviriliser les hommes, les priver de leurs repères, les terrifier parfois, et propose d’apaiser les relations, en vivant avec son temps. Aujourd’hui, hommes et femmes, humains et sorcières, gays et hétéros peuvent vivre en bonne intelligence, sans que chacun essaie de prendre le dessus sur les autres. L’enfant, éduqué dans un environnement familial différent, dans une approche différente des relations homme-femme est peut-être la clé de cet équilibre à trouver.

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Si on pousse l’analyse de l’oeuvre un peu plus loin, on trouve une autre dimension au récit, plus politique. On sait, depuis ses débuts, qu’Alex de la Iglesia, sous couvert d’oeuvres teintées de fantastique, de SF ou d’humour noir, traite de problématiques fortement ancrées dans le réel, et dresse le portrait de la société espagnole contemporaine, prise en tenaille entre un passé franquiste douloureux et un avenir incertain, entre problèmes identitaires et crise économique terrible. Qu’il traite de l’activisme terroriste (Accion Mutante), des dérives sectaires (Le Jour de la bête), des blessures du passé (Balada triste) ou de la crise économique et de l’hypermédiatisation des choses (Un jour de chance), il dissèque les petits travers de ses concitoyens avec un oeil acéré et un humour corrosif.
Ici, on ne peut pas ignorer que le village de Zugarramurdi se situe en plein Pays Basque. Les sorcières du village, menées par l’irascible Carmen Maura, ont un comportement fanatique et intégriste qui rappelle un peu celui des leaders de l’ETA. Le groupe indépendantiste Basque, jusqu’à très récemment, n’hésitait pas à utiliser le terrorisme et la violence aveugle pour faire avancer ses idées. Il étaient aussi incapables de dialoguer avec les représentants de l’Etat espagnol que les sorcières avec le groupe de mâles qu’elle retient captifs.
De la même façon qu’il prône l’égalité entre hommes et femmes, le cinéaste invite les radicaux de tous poils de mettre leurs égos de côté et à oeuvrer de concert pour la réconciliation nationale, nécessaire pour remettre l’Espagne en état de fonctionner économiquement et socialement.

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Enfin, on peut aussi imaginer le film comme une évocation de la crise économique et de la situation du pays au sein de la structure européenne. La petite provocation qui consiste à avoir placé le visage d’Angela Merkel parmi les visage de sorcières qui défilent dans le générique de début n’est peut-être pas anodine. Il est clair que l’Espagne, tout comme les autres pays victimes de l’austérité imposée par l’Union Européenne, sous impulsion allemande, vit très mal cette période de rigueur, qui pèse sur l’emploi et le pouvoir d’achat.
La tentation est grande pour les citoyens de passer la frontière pour voir si l’herbe est plus verte de l’autre côté des Pyrénées. Comme les héros du film…
On peut très bien imaginer qu’Alex de la Iglesia fait passer un message invitant à davantage de souplesse économique de la part de cette grande sorcière qu’est l’Europe pour que tout le monde puisse vivre correctement… Il est clair que le cinéma espagnol, malgré ses nombreux cinéastes de talents et l’énergie déployée depuis des années pour innover, inventer, proposer de nouvelles expériences cinématographiques, connaît des difficultés de financement. Cela se ressent un peu dans la mise en scène, un peu moins virtuose que ce à quoi nous a habitués le cinéaste, et les effets spéciaux utilisés, parfois grossiers. C’est le seul point négatif que l’on peut attribuer à ce film par ailleurs assez réjouissant, tant par la folie douce qu’il dégage que par richesse des thématiques abordées.

On vous conseille donc fortement de vous laisser ensorceler par ces sympathiques Sorcières de Zugarramurdi, de façon à ce que le charme opère aussi bien au box-office français qu’au box-office espagnol et permette à l’enchanteur Alex de la Iglesia de financer d’autres projets aussi fous et aussi brillants.

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Les Sorcières de Zugarramurdi Les Sorcières de Zugarramurdi
Las Brujas de Zugarramurdi 

Réalisateur : Alex de la Iglesia
Avec : Hugo Silva, Carmen Maura, Mario Casas, Carolina Bang, Secun de la Rosa, Santiago Segura, Terele Pavez
Origine : Espagne
Genre : coup de folie ensorcelant
Durée : 1h52
Date de sortie France : 08/01/2014
Note pour ce film :●●●●
Contrepoint critique : A voir à lire

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