En 1996, les cinéphiles découvraient le talent de Jean-Pierre et Luc Dardenne avec La Promesse. Ils suivaient le parcours d’un adolescent rebelle, joué par Jérémie Renier, qui cherchait un père. Et l’image qui reste du film, c’est ce jeune homme fonçant vers l’âge adulte et la vie au guidon de sa mobylette…
Quinze ans après, avec Le Gamin au vélo, les frères Dardenne racontent encore l’histoire d’un adolescent, tout aussi paumé, mais un peu plus jeune, qui pourrait très bien être le fils du précédent (d’ailleurs, son père est joué par Jérémie Renier). On le voit enfourcher, comme l’indique le titre, une bicyclette, pour parcourir à toute allure les rues de son quartier, en quête d’un peu d’affection parentale…

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Une mobylette, un vélo…
Tout est dit dans cette comparaison. Le cinéma des frères Dardenne n’évolue pas beaucoup. On reste dans un style réaliste très brut, très social, et dans des thèmes très classiques : la difficulté de grandir dans un milieu social défavorisé, l’incapacité des parents à assurer leur devoir, la quête d’amour effrénée de leurs enfants, la relation du garçon à la figure du père, la tentation de sombrer dans la délinquance pour continuer d’avancer…
Seule l’apparence a changée. La caméra très mobile de leurs débuts laisse place à une mise en scène plus posée, plus épurée, plus élégante. La photo se fait plus lumineuse, plus douce, plus colorée. Techniquement parlant, les cinéastes ont affiné leur style, ont gagné en assurance et en maturité.
Mais dans le même temps, on a perdu cette énergie pétaradante qui portait leurs premières oeuvres…

Ceci dit, ne crachons pas dans le waterzoï. Le Gamin au vélo reste un film tout à fait valable.
Déjà parce qu’il repose sur une interprétation sans faille, mêlant acteurs confirmés (Cécile de France, Jérémie Renier, Olivier Gourmet) et jeunes talents saisissants de naturel, comme seuls les frères Dardenne savent en dénicher. Ici, Egon Di Mateo et, dans le rôle-titre, Thomas Doret.
Ensuite parce qu’il allie un scénario bien construit – même si un peu tiré par les cheveux –  à une narration parfaitement maîtrisée.

Le Gamin au vélo - 3

On fait la connaissance du jeune héros de ce nouveau film, Cyril, dans un foyer d’accueil pour mineurs. On comprend que son père l’a abandonné là pour vivre sa propre vie. Le gamin, lui, refuse d’accepter cette cruelle réalité. Il cherche à tout prix à regagner son ancien domicile, pour retrouver son père et récupérer l’objet auquel il tient le plus, le vélo que ce dernier  lui a offert. Au cours d’une fugue, il rencontre Samantha (Cécile de France) qui est émue par la détresse de ce jeune garçon.
Elle réussit à retrouver la bicyclette, qui a été vendue à un gamin du quartier, la rachète et lui rapporte au foyer. Et quand le jeune garçon lui demande si elle accepterait de l’accueillir les week-ends, elle accepte de bon coeur.
Mais Cyril n’est pas vraiment sensible à ce substitut d’affection maternelle qu’elle lui offre. Il n’est obsédé que par son père et continue de le chercher. Dans sa quête de reconnaissance paternelle, il se lie d’amitié avec un garçon plus âgé que lui, et trempant dans des combines assez louches…

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Comme souvent chez les Dardenne, l’intrigue navigue entre plusieurs eaux : film noir, chronique d’une enfance difficile, mélodrame familial, néoréalisme façon belge (la référence au Voleur de bicyclette est ici évidente)… L’avantage, c’est que même si on évolue en terrain connu, le récit peut toujours prendre des bifurcations inattendues. Et c’est encore le cas ici.

Le plus intéressant, dans ce nouveau film, c’est que les cinéastes tendent vers un peu plus d’optimisme.
Le propos est toujours très âpre, bien sûr, et on flirte à plusieurs reprises avec le drame le plus sordide, mais pour la première fois, ils ont tourné en été, dans une ambiance beaucoup plus solaire, plus chaleureuse que la grisaille cafardeuse ou les ambiances nocturnes de leurs films précédents.
On peut même dire que Le Gamin au vélo est le parfait contrepoint de leur film précédent, Le Silence de Lorna, qui baignait dans le noir le plus complet, tant dans l’ambiance visuelle que la thématique…
Ici, la lumière réussit à percer les nuages, et la chaleur estivale fait écho à la chaleur humaine dégagée par le personnage de Samantha. Des choses incroyables se produisent. Des choses miraculeuses, même, pourrait-on dire : les personnages ont droit à une seconde chance, bravent la mort et accèdent à une certaine plénitude…

Le Gamin au vélo - 2

Pour appuyer ce léger virage dans leur filmographie, Jean-Pierre et Luc Dardenne ajoutent une autre nouveauté à leur mise en scène : l’emploi de la musique pour souligner l’action.
Enfin, avec parcimonie quand même… On ne se refait pas… Jusqu’à présent, ils n’utilisaient jamais de musique pour ne pas altérer le réalisme des situations qu’ils décrivaient. Mais ici, ils se l’autorisent à plusieurs reprises.
Peut-être parce que le film peut être vu comme un conte fantastique, avec son ambiance trop lumineuse pour être vraie, ses symboles de contes de fée (la forêt comme lieu de transition entre l’enfance et l’âge adulte, le gilet rouge du jeune héros, qui en fait une sorte de “Chaperon rouge” entre autres…), son aspect quasi-mystique, par moments… Une lecture qui accroît considérablement l’intérêt de l’oeuvre…

… et qui nous fait regretter que les frères Dardenne ne s’aventurent pas plus que cela hors de la piste bien balisée de leur style cinématographique. Bien sûr, ils prendraient le risque de se prendre une gamelle – comme quand on apprend à faire du vélo, tiens, vous me pardonnerez cette analogie un peu facile – mais cela pourrait donner des choses intéressantes.
Et puis, tiens, disons-le franchement, cela leur éviterait de donner l’impression de tourner en rond autour des mêmes schémas, des mêmes thèmes.
A quand l’enfant du gamin au vélo du fils de Rosetta qui ne tient pas la promesse de Lorna (1)?

(1) : Merci à Géraldine, une de nos fidèles lectrices,
pour nous avoir soufflé ce jeu de mot…

 

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Le Gamin au vélo Le Gamin au vélo
Le Gamin au vélo

Réalisateurs : Jean-Pierre Dardenne, Luc Dardenne
Avec : Thomas Doret, Cécile de France, Jérémie Renier, Olivier Gourmet,   Egon Di Mateo
Origine : Belgique
Genre : Le fils de l’enfant de Rosetta
Durée : 1h27
Date de sortie France : 01/05/2011
Note pour ce film :

contrepoint critique chez : L’Humanité

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