Chat-lom les humains,

Hi hi hi…  Je suis fier de mon coup, là, puisque je vais griller la politesse à mes deux alcooliques, oh pardon, acolytes, PaKa et Boustoune en vous livrant avant eux mes impressions sur le nouveau film de Joann Sfar, Le Chat du Rabbin (1).

En même temps, quoi de mieux qu’un noble félidé comme moi pour parler d’une oeuvre ayant pour vedette l’un de ses congénères ? Hein?
Et puis, c’est pour votre bien. Si PaKa avait écrit sur le film, il vous aurait bassiné avec la BD originale, le coup de crayon de Sfar, ses ambitions artistiques et son influence sur la nouvelle génération de bédéastes. Quant à Boustoune, il serait parti dans ses habituelles divagations artistico-intellos sur le septième art et les thématiques communes avec Gainsbourg, vie héroïque – la création artistique, l’identité, le judaïsme, la folie des hommes, etc…

Le Chat du rabbin - 9

Bon, évidemment, il faut bien parler de tout cela pour comprendre ce qu’est Le Chat du Rabin.
Alors rappelons qu’à l’origine, Joann Sfar était un prolifique  auteur de bandes-dessinées. Non, pardon, c’est inexact…
A l’origine, Joann Sfar est né dans une famille juive d’origine algérienne – un détail qui a son importance vu le sujet de son film – et il a étudié la philosophie – un autre détail qui a son importance – avant de se mettre au dessin et de faire les Beaux-Arts.
Depuis, il mène une brillante carrière de dessinateur de BD, dont l’oeuvre la plus connue reste “Le Chat du Rabbin” (2), composée de cinq albums dessinés entre 2002 et 2006.

Motivé par le succès de Persepolis, de ses potes Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud, il décide lui aussi de se lancer dans le septième art et crée sa société de production, Autochenille – un détail qui a aussi son importance…

Son objectif ? Réaliser la version cinéma de… Le Chat du Rabbin. Euh.. Y en a deux qui suivent…
Mais évidemment, la création d’un film d’animation est un travail de longue haleine. Alors, entretemps, il fait ses gammes avec de vrais acteurs sur Gainsbourg, vie héroïque. On connaît la suite : le film est réussi, obtient de bonnes critiques un peu partout (y compris sur ce site) et trouve son public. Sfar est récompensé d’un César de la meilleure première oeuvre et peut tranquillement mettre la touche finale à son film d’animation, qui compile les histoires des deux premiers et du cinquième album de la série.

Le Chat du rabbin - 2

Maintenant, Le Chat du Rabbin, ça parle de quoi, exactement.
Eh bien disons que c’est l’histoire d’un chat qui habite Alger, au début du XXème siècle. Il n’a pas de nom. On le connaît juste sous l’appellation “Le Chat du Rabbin”, en référence à son maître, le rabbin Sfar. Un homme très croyant qui, quand il n’a pas le nez dans les livres saints, élève seul sa fille, Zlabya.

Un beau jour, le chat fait une bonne action – de mon point de vue, hein… – en dévorant le perroquet de la maison, débarrassant au passage la planète d’un agaçant volatile… Et il se retrouve subitement doté de parole – de parole humaine, je veux dire. Il peut clairement communiquer avec les humains, et en toutes les langues, s’il-vous-plaît…

Le problème, c’est que ses premières paroles forment un mensonge : il soutient mordicus qu’il n’a pas mangé le perroquet… Le rabbin s’inquiète de voir ce chat parlant exercer une mauvaise influence sur sa fille et interdit à l’animal de la côtoyer. Ne pouvant se passer des câlins de sa maîtresse – notamment les gratouillis sous le menton, je comprends, je kiffe aussi – le chat décide de suivre la voie de la religion juive et d’apprendre Torah, le Talmud, la Michna, la Guemara  auprès du rabbin, afin de devenir un “bon juif”.

Mais cette quête spirituelle n’est pas sans poser quelques questions : ‘”le chat d’un rabbin est-il juif?”, “un animal peut-il faire sa bar-mitsva?”, “Comment être sûr que Dieu a fait l’homme à son image, alors qu’on ne l’a jamais vu?”.
De quoi faire surchauffer les neurones du rabbin, et ceux du rabbin du rabbin. L’homme, austère et froid, voit d’un mauvais oeil l’irruption de ce félin bavard et facétieux, qui n’aime rien tant que le faire enrager…

Le Chat du rabbin - 8

Il faut dire que notre matou érudit (pléonasme…) est aussi philosophe à ses heures perdues (d’où le lien avec la biographie de Sfar) et se pose plein de question sur la vie, la science, la religion, qui ne sont d’ailleurs pas franchement compatibles, et observe, amusé ou pensif, les comportements humains (souvent idiots, il faut le dire…).

Mais les personnages ont d’autres chat à fouetter – ou à bar-mitsver : Le rabbin doit passer un examen de français pour continuer à exercer sa charge religieuse. Ordre de l’administration coloniale française… Il doit travailler son orthographe et sa grammaire, avec l’aide du chat, bien sûr (un beau casse-tête autour du choix des fables qui aurait plu à La Fontaine) alors que doit arriver son cousin de l’Atlas, le Malka des lions.
Et on livre dans la maison une malle venant de Russie, chargée de livres religieux ayant échappé aux pogroms tsaristes, mais ayant aussi à son bord un artiste russe, juif orthodoxe et bolchévik (rien que ça!), venu en Afrique pour chercher
la Jérusalem éthiopienne, un lieu mythique tenu par une des rares tribus de juifs noirs de peau.

Le Chat du rabbin - 10

Le peintre russe, le Rabbin, le chat, mais aussi Vastenov, un russe d’Alger catholique (et alcoolique, pour la rime….), et le cousin Sfar, qui est, lui, musulman,  s’engagent dans un long périple à travers l’Afrique à bord d’une Citroën autochenille (d’où le lien avec la boîte de production du film). Un voyage où ils vivront tous en bonne intelligence les uns avec les autres, mais seront confrontés au racisme ambiant, à l’intégrisme et à leurs propres préjugés.

Les colons français pratiquent la ségrégation entre eux, les juifs et les musulmans dans les cafés d’Alger.
Les colons belges du Congo prennent les noirs pour des “sauvages”, comme ce petit reporter belge à houppette  (oui, Sfar a pris de vitesse Spielberg et Jackson et a sorti avant eux sa version très personnelle de Tintin, avec la complicité de François Damiens – très drôle).
Une tribu de bédouins montre un visage peu glorieux de l’Islam en affichant son intégrisme et son hostilité aux autres confessions, ce qui met hors de lui le cousin Sfar musulman.
Et le rabbin Sfar lui-même fait preuve de xénophobie en affirmant qu’un juif ne peut pas  être noir…

Le Chat du rabbin - 3

Toute la démarche de Joann Sfar est là. Son chat philosophe est le témoin privilégié et critique de cette confrontation des différentes religions, des différentes races, des différentes cultures, des différents points de vue. Ceci lui permet de mieux dénoncer l’absurdité des guerres de religion, de la xénophobie, des préjugés.
Sfar est lui-même un beau brassage confessionnel et ethnique (hop, je retombe sur mes pattes – comme toujours, avec ma biographie de Sfar) : Il est français, blanc et athée, mais né de parents juifs algériens, l’un séfarade, l’autre ashkénaze…Il ne milite pas pour une religion ou une autre, mais croit en l’amitié entre les peuples du monde, au respect mutuel, au partage des valeurs morales essentielles…

Avec sa BD, et maintenant ce film, il entend montrer que, même si les individus ne sont pas toujours d’accord, même si leurs croyances ou leurs cultures sont différentes, il est toujours possible de s’entendre. Regardez, nous autres félins sommes supérieurs aux hommes, et pourtant, on vit en bonne harmonie avec vous (enfin, tant que vous nous servez la pâtée et les croquettes, hein… Non, sérieusement, simplement en observant l’autre, en essayant de le comprendre, en dialoguant de manière calme, en restant diplomate, il est tout à fait possible de l’apprécier et de se respecter mutuellement.

Le Chat du rabbin - 5

Un plaidoyer bien-pensant et utopiste, diront certains… Je ne suis pas d’accord. Bien sûr, la situation en Afrique et au Moyen-Orient, marquée par de nombreux conflits communautaires liés aux religions ou aux appartenances à des groupes ethniques différents n’incitent pas à l’optimisme, mais le propos reste juste. Les hommes ont plus de points communs que de différences. Ils sont tous dérisoires face à l’immensité de la nature ou face à Dieu, selon les croyances. Ils ont tous mortels. Ils ont tous la même envie, le même objectif majeur : vivre heureux.

Le film de Joann Sfar – et de son complice Antoine Delesvaux, ne l’oublions pas – est une fable humaniste pleine de finesse et d’intelligence, drôle et émouvante, pertinente sur le fond et impertinente sur la forme. Il va au bout de sa démarche, fait passer son message de tolérance et de paix, et ne mérite certainement pas être attaqué sur ce plan-là.

Le Chat du rabbin - 6

A la limite, les bédéphiles auront peut-être l’impression d’avoir perdu au change (Là, l’avis de PaKa serait appréciable), car évidemment, Sfar a dû procéder à une concentration de l’intrigue pour arriver à une durée cinématographiquement acceptable. Le matériau original était plus riche en péripéties, plus dense.
Et peut-être que cette version de celluloïd ne rend pas aussi bien le découpage narratif si particulier de l’auteur, qui aime parfois à s’affranchir des cases de BD et partir dans des digressions philosophiques. Mais le film donne vraiment envie de découvrir ou de redécouvrir la série de bandes-dessinées.

Et en tout cas, le trait si particulier de Sfar est bien restitué, l’animation a été travaillée de façon à ne jamais trahir l’oeuvre originale et le recours au relief n’est aucunement un argument marketing destiné à attirer le public. La 3D n’a ici rien de spectaculaire; elle est juste utilisée à bon escient, pour accentuer la profondeur de champ et donner l’impression de couches de décors superposées. Une façon de ne pas perdre l’âme de papier des BD…
Quant au casting vocal, il est plutôt efficace : François Morel prête sa voix au sympathique félin, Hafsia Herzi apporte sa fraîcheur et son franc-parler à la belle Zlabya, et Maurice Bénichou donne un accent pied-noir folklorique et chaleureux au rabbin.
Et puis, comme dans Gainsbourg, vie héroïque, la musique sert de liant entre les scènes. Ici, elle repose, comme il se doit, sur des rythmes orientaux envoûtants qui accompagnent à merveille les états d’âme des personnages.

Le Chat du rabbin - 7

Si Joann Sfar ne révolutionnera pas le cinéma d’animation avec ce Chat du Rabbin, il a néanmoins réussi son pari : donner vie à ses personnages de papier sans trop les dénaturer et rendre accessible son message pacifique et humaniste au plus grand nombre, et notamment aux enfants
Un bémol, toutefois : les plus jeunes risquent d’une part de se sentir un peu perdus dans cet environnement philosophico-religieux, et d’autre part d’être heurtés par un passage un peu plus violent du film, où l’extrémisme se manifeste de façon brutale et sanglante. Il n’y a pas de contre-indication officielle, chaque parent fera en son âme et conscience. Mais, il faudra sans doute gérer quelques cauchemars après cela!

Bon, il faut que je vous laisse.
Apparemment, mon message “Ni Dieu, ni maître” griffé sur le papier peint du salon n’a pas été reçu de façon positive et je vais passer un sale quart d’heure si je ne me planque pas illico. Ah, je vous jure, l’intolérance et les attitudes liberticides ne sont pas près de cesser…

Pleins de ronrons,
Scaramouche

Scaramouche du rabbin

(1) : Comme je ne suis pas chien, je les laisserai compléter ma critique, s’ils le désirent, par leurs propres commentaires.
(2) : “Le Chat du Rabbin” (5 albums) – de Joann Sfar – coll. Poisson Pilote – éd. Dargaud

_______________________________________________________________________________________________________________________________________

Le Chat du rabbinLe Chat du Rabbin
Le Chat du Rabbin

Réalisateurs : Joann Sfar, Antoine Delesvaux
Avec les voix de : François Morel, Hafsia Herzi, Maurice Bénichou, Fellag, Mathieu Amalric, Jean-Pierre Kalfon, François Damiens
Origine : France
Genre : Fable de La Fontaine moderne
Durée : 1h40
Date de sortie France : 01/06/2011
Note pour ce film :

contrepoint critique chez : Le Monde

_______________________________________________________________________________________________________________________________________

1 COMMENT

LEAVE A REPLY