Bertrand Bonello aime tourner dans des ambiances un peu “chaudes”…
Après les plateaux de tournage de films érotiques (Le Pornographe) après le Bois de Boulogne et ses prostitué(e)s transsexuelles (Tiresia), après un curieux manoir dédié à la quête du plaisir (De la guerre), voilà qu’il s’intéresse à la vie d’une maison close parisienne à l’aube du XXème siècle, juste avant l’interdiction de ces lieux, au choix, de plaisir ou de débauche…

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On suit donc le quotidien de Clotilde, Léa, Samira, Julie, Madeleine et les autres, pensionnaires de cette maison close. On assiste aux bavardages des filles pendant qu’elles attendent tranquillement les clients dans le grand salon, puis au jeu de séduction avec ces bourgeois venus s’encanailler, le temps d’une nuit.
On suit aussi les filles dans les chambres du haut, où elles assouvissent les fantasmes des hommes. Et on partage un peu de leurs désirs, de leurs peurs, de leurs rêves, notamment celui, un peu fou, de séduire un riche client qui acceptera de les tirer de cette prison et leur offrir un cadre de vie plus agréable.

Une prison? Oui, une prison… Dorée, certes, avec ses locaux confortables et ouatés, mais un lieu clos dont elle ne peuvent s’échapper, à moins d’un extraordinaire coup de chance ou d’un destin funeste…
Tout le film se déroule d’ailleurs à huis-clos, dans l’environnement sombre que constitue l’hôtel particulier géré par la mère-maquerelle. Les filles sont soumises quotidiennement à la même routine : elles vivent la nuit et dorment le jour et n’ont aucune bonne raison pour quitter la maison close. La plupart sont résignées à rester ici jusqu’à la fin de leurs jours, malgré les humiliations que leur font subir des clients indélicats et les nombreux risques encourus – maladies vénériennes, rencontre avec des clients déséquilibrés…
De toute façon, elles n’ont pas le choix, elles exercent ce métier car elles n’ont pas eu la chance d’étudier ou de se marier, et qu’elles se retrouvaient sans ressources. Et le système est ainsi fait que chaque jour passé sous la protection de leur logeuse occasionne des dettes qu’elles ne sont jamais capable de rembourser…

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Le film serait, alors, une critique de ces établissements, que certains aimeraient remettre en service?
Non, pas vraiment, car le sujet est évidemment un peu plus complexe que cela…
Bien sur, les pensionnaires de la maison close sont privées de leur liberté, obligées d’accepter les contraintes de leur travail, mais comme chacun d’entre nous, dans des métiers plus “recommandables”…
Et bien sûr, leur sort n’est pas enviable. Mais au moins, elles bénéficient d’un toit et de la protection de la mère-maquerelle. Un médecin vient les examiner régulièrement et elles peuvent compter sur la solidarité de la communauté, même en cas de coup dur.
On peut plaindre la jeune Pauline, qui, arrivée dans la maison close en cours de film, fraîche et vertueuse, ne tarde pas à perdre son innocence. Mais sans l’accueil de la mère-maquerelle, elle se serait probablement retrouvée à la rue, sans le sou…
Ainsi que le précise l’épilogue contemporain du film, la situation des prostituées d’aujourd’hui est bien moins reluisante. Elles sont contraintes de racoler dans la rue, de gérer par elles-mêmes les assauts des clients les plus louches, et soumises à des souteneurs souvent brutaux et peu respectueux.

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Le problème ne vient pas des maisons closes, mais de la prostitution elle-même, qui n’est plus du tout encadrée et réglementée… On ne peut pas vraiment empêcher des hommes et des femmes de se prostituer. Après tout, il s’agit du plus vieux métier du monde. Tant qu’existeront des inégalités sociales, il se trouvera toujours des personnes n’ayant plus d’autre ressource vitale que leur corps, et d’autres, mieux nantis, qui chercheront à en profiter.
Au passage, on notera que les filles de joie, chez Bertrand Bonello, ne sont pas des filles dépravées, vulgaires, aux moeurs légères, contrairement à l’image péjorative qui colle souvent aux prostituées, mais des jeunes femmes ordinaires obligées d’exercer ce métier pour survivre.
Alors, à défaut d’empêcher le commerce des charmes, autant offrir un cadre de vie plus sécurisant à celles et ceux qui l’exercent… Telle semble être la position du cinéaste, qui induit aussi une certaine réflexion sur notre société, sur les différences de classes et notre rapport aux désirs et aux interdits.
Car oui, Bertrand Bonello aime les récits qui, en filigrane, portent un regard sur le monde qui nous entoure…

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Bertrand Bonello aime aussi le cinéma.
Ses films constituent souvent une métaphore de la création d’une oeuvre cinématographique, traitent indirectement de son rapport aux acteurs, aux techniciens, aux spectateurs… C’est encore le cas ici.
On peut très bien voir en la mère-maquerelle une représentation du réalisateur.
Elle règne en maître sur son petit univers, son “décor”, dirige ses “comédiennes” (les prostituées), demande de l’aide pour financer sa petite entreprise auprès des notables comme un cinéaste sollicite l’aide d’un producteur ou du CNC. Et oeuvre évidemment pour la satisfaction des clients (des spectateurs) qu’elle aimerait voir subjugués…
D’ailleurs, chose curieuse, ceux-là sont incarnés par des confrères de Bertrand Bonello – Jacques Nolot, Xavier Beauvois, Pierre Léon, Vincent Dieutre – et la gérante de l’établissement est aussi tenue par une réalisatrice, Noémie Lvovsky…

On peut très bien analyser le contenu du film comme une allégorie de l’état du cinéma français contemporain, où n’importe qui peut s’improviser cinéaste dans la rue, armé d’une caméra numérique, et où perce la nostalgie d’un cinéma à l’ancienne, fabriqué en studio (un lieu clos) avec des acteurs professionnels, des décors soignés, etc…  Et une vraie vision artistique…

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C’est peut-être pour cela que Bonello soigne à ce point sa mise en scène : mouvements de caméra élégants et fluides, cadrages millimétrés composés comme des tableaux de maîtres des XIXème et XXème siècles (Renoir, Monet, Courbet…), une pincées d’audaces formelles et quelques séquences fortes, aptes à imprimer durablement la rétine…
Par exemple, cette ouverture décrivant la tragédie de Madeleine, prostituée défigurée par un client psychopathe comme le protagoniste de “L’Homme qui rit” de Victor Hugo, ou cette vision de la même femme, pleurant des larmes de sperme…
Oui, Bertrand Bonello aime le cinéma soigné, stylisé, audacieux….

Et nous on aime Bertrand Bonello quand il nous offre de telles images.
Le hic, c’est que si L’Apollonide, souvenirs de la maison close est conçu selon un savoir-faire cinématographique traditionnel, il souffre de ce fait d’un certain académisme au niveau de la mise en scène, que n’effacent pas les séquences susdites. Par ailleurs, sur une durée aussi imposante (2h02), le film, dépourvu d’intrigue à proprement parler, subit quelques baisses de rythme et peut même susciter un ennui poli chez le spectateur…
Enfin, pour un film qui se déroule dans un bordel, il manque un peu de sensualité…
Oh, bien sûr, là n’est pas le propos, et le réalisateur prend justement soin d’éviter le piège de l’érotisme gratuit. Mais un peu de sel ou de piment, à dose homéopathique, aurait pu relever un peu certaines scènes plus fades que les autres…

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Cela dit, le charme et les charmes opèrent quand même, fort heureusement. Car les actrices sont toutes magnifiques, de Hafsia Herzi à Jasmine Trinca, d’Adèle Haenel à Céline Sallette, sans oublier Alice Barnole – une vraie révélation.
Le cinéaste sait les filmer, les mettre en valeur, les sublimer.
Oui, Bertrand Bonello aime ses comédiennes…

Nous aussi, on les aime, car ce sont elles qui, par leur énergie, leur beauté, leur jeu nuancé, portent le récit et donnent chair à ce qui aurait pu n’être qu’un exercice de style un peu froid.
Et, en grande partie grâce à elles, on aime bien L’Apollonide, Souvenirs de la maison close, malgré ses quelques petits défauts.
Et vous, aimerez-vous le nouveau film de Bertrand Bonello?

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L'Apollonide L’Apollonide – Souvenirs de la maison close 
L’Apollonide – souvenirs de la maison close

Réalisateur : Bertrand Bonello
Avec : Hafsia Herzi, Jasmine Trinca, Adèle Haenel, Céline Sallette, Alice Barnole, Noémie Lvovsky
Origine : France
Genre : beau bordel
Durée : 2h02
Date de sortie France : 21/09/2011
Note pour ce film : ●●●●○○

contrepoint critique chez : Ecran Large

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