Les connaisseurs de Godard (auxquels je n’appartiens pas) savent que sa filmographie regorge de collaborations avec des stars du moment, parfois étonnantes. De la mythique Bardot du Mépris au Johnny ténébreux de Détective, on oublie souvent qu’il a également offert le premier rôle de Masculin, féminin à Chantal Goya.
Dans les années 90, il se radicalise et entreprend un repli en solitaire, centré sur des travaux de montage, dont les fruits les plus célèbres sont les différentes Histoires du cinéma. Que ce soit en plein dans cette période qu’il accepte de réaliser son premier clip est déjà étonnant, que ce soit pour illustrer une sirupeuse chanson de Michel Berger chantée par sa muse France Gall frise le délire.

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On sait que cette curieuse idée (« Mauvaise idée » dirait Orelsan) vient de la chanteuse. Après avoir vu le film Nouvelle Vague, elle décide d’employer Godard et lui envoie les paroles de sa chanson. Si un site de fans semble outré qu’il ait mis 17 jours à lui répondre, qu’il prenne la peine de le faire semble déjà un exploit en soi, et que la réponse soit positive en est un autre. France Gall va donc se déplacer en Suisse et poser un plan flou (son visage chantant), puis JLG va mixer tout ça avec des images qu’il a en stock et ces fameuses sentences, parfois assez justes, parfois sans intérêt, voire grotesques.

Le clip semble bâclé, comme fait d’images semblant plaire au réalisateur mais sans lien réel entre elles, tout comme les phrases assénées. On peut très fortement le soupçonner d’avoir voulu utiliser des chutes de divers projets non aboutis, où écartées au dernier moment. Il y a bien sûr parfois quelques images illustrant les paroles, mais on a l’impression que le but est plus de montrer la faiblesse de la chanson que de la magnifier, comme on le voit dans la sentence « La beauté n’écoute pas », ou dans ces extraits de films montrant des fuites ratées lorsqu’elle chante « Il m’emmène avec lui »… Le je m’en foutisme de la réalisation sonnera d’ailleurs la mort du clip, qui sera remplacé par un autre beaucoup plus conforme après une seule diffusion, faute de règlement des droits des images utilisées.

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La chose marquante qui sort le spectateur/auditeur de l’ennui, c’est un jeu de mot. Un jeu de mot au premier degré absolu, auquel ne nous a pas vraiment habitués le pontifiant cinéaste, qui souligne par ce biais la platitude des paroles. De temps en temps, en fin de vers, il va en effet user d’un gros « Oh ! » en surimpression, afin de marquer la rime quasi-perpétuelle du texte. Tout cela pour pouvoir, quand à quelques rares reprises la rime est cassée, écrire « Plus Oh ! », ce qui est un rappel du titre et une moquerie à peine masquée. L’effet est garanti et il est difficile de ne pas sourire. Je me demandais vraiment ce qui pouvait avoir donné envie à Godard d’accepter le projet. L’argent n’était pas en soi une motivation convaincante : quitte à cachetonner il aurait sans doute fait de la pub, il l’avait déjà fait et c’est nettement plus lucratif. Il paraît impossible qu’il ait apprécié la musique, et il semble donc que ce soit dans ce gag que réside la décision. En lisant ces paroles creuses, le jeu de mot à dû lui venir, et être lancé à la manière d’un pari un peu potache.

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Le résultat est là, à la fois médiocre – ni la chanson ni le clip ne sont géniaux – et passionnant, l’anecdotique prenant toute sa saveur dans le mélange improbable de deux univers radicalement différents, marquant à la fois l’acidité de l’humour d’un réalisateur et l’étonnant second degré d’une chanteuse pop acceptant de se moquer d’elle même.

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plus oh - 4 Plus Oh! (Plus haut !)
Plus Oh! (Plus haut!)

Réalisateur :  Jean-Luc Godard
Avec : France Gall
Origine : Suisse, France
Genre : clip façon JLG (donc pur OFNI)
Durée : 4 mn 14
Année de production : 1996

Date de sortie France : diffusé une journée en 1996 puis interdit pour une histoire de droits d’auteur sur les images

N.B. : La vidéo a longtemps été difficilement trouvable mais est actuellement accessible sur youtube, elle peut cependant en disparaître aussi vite qu’elle est arrivée.
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Maël Rannou est surtout connu pour son implication dans l’univers de la bande-dessinée. Quand il n’exerce pas avec talent ses fonctions d’attaché de presse pour l’éditeur Six pieds sous terre, il aime partager ses coups de cœur bédé par voie de presse (chez « Comix club » ou « Jade »), sur les ondes (« La rumeur des planches »ou sur le net (chez du9). Mais ce jeune homme dynamique s’intéresse aussi à beaucoup d’autres domaines artistiques. Acteur, réalisateur, scénariste, il aime aussi à utiliser sa plume pour parler de septième art. Angle[s] de vue est donc heureux de pouvoir lui donner l’occasion de défendre des films rares ou méconnus, mais non dépourvus de qualités.

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