On a longtemps hésité à aller voir ces deux nouvelles adaptations du célèbre roman de Louis Pergaud, “La Guerre des boutons” (1). Tout simplement parce que suite au tintamarre autour de la bataille à couteaux tirés que se sont livrée les deux productions (Thomas Langman et La Petite Reine d’un côté, Marc du Pontavice et One World de l’autre), querelle de clocher puérile digne des accrochages entre Longeverne et Velrans, on ne pouvait décemment pas rédiger la critique de l’un sans écrire la critique de l’autre, et ce, pour éviter d’être soupçonné d’une quelconque orientation partisane.
Mais finalement, on a fini par se laisser tenter. Et vous savez quoi? Si on avait su, on aurait pas v’nus, car aucun des deux films ne nous a véritablement transcendés…

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Avant de commencer cette critique simultanée des deux films, nous tenons à dire que, de notre point de vue, toute la polémique orchestrée autour de l’opposition des deux films, cette “guerre des guerres”, est absolument stupide et absurde, à moins d’avoir été savamment mise en place, de façon à générer un buzz profitable aux deux adaptations.      
Ce n’est pas la première fois que deux films reposant sur les mêmes personnages ou les mêmes romans sortent en salle de façon très rapprochée. Citons pour exemples récents les deux films biographiques autour de Gabrielle Chanel (Coco avant Chanel  et Coco Chanel & Igor Stravinsky), en 2009, ou les deux versions de la légende de Robin des Bois, en 1991 (Robin des Bois, prince des voleurs de Kevin Reynolds et Robin des Bois de John Irvin)…
Ceci n’a pas posé de problème, car les sujets ont été abordés de façon complètement différente, avec une sensibilité différente, des choix narratifs différents, des styles de mise en scène différents… Bref, des démarches artistiques différentes.

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Cela aurait donc également pu être le cas ici, si les équipes rivales avaient eu “deux sous de jugeote”, comme on disait “à l’époque”. Mais voilà,  les deux productions ont eu la bien mauvaise idée de s’inscrire exactement dans la même catégorie du grand film populaire “à l’ancienne”, de la comédie dramatique familiale classique, de la reconstitution historique soignée et un brin nostalgique, et de la fable morale sur l’éducation, la guerre, le courage…
Mêmes trames narratives, mêmes morceaux de bravoure, mêmes personnages – ou presque – et même style de dialogues. En fait, on a l’impression d’assister à une compétition pour savoir qui se rapprochera le plus de l’adaptation d’Yves Robert, tournée en 1962. La référence, la plus réussie (2)…

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Au début, on se dit : pourquoi pas? Après tout, s’inspirer de cet incontestable succès public plutôt que d’improviser une adaptation personnelle foireuse obéit à un certain bon sens, d’autant que Barratier comme Samuell ont prouvé qu’ils pouvaient être à l’aise dans ce registre de la comédie populaire enfantine (Les Choristes, Jeux d’enfants).   
Le hic, c’est que le contexte n’est plus du tout le même. 
Le film d’Yves Robert est sorti à une époque très particulière, tant pour la société française que pour le cinéma hexagonal. Le cinéaste avait alors choisi de moderniser le roman de Pergaud (écrit en 1912) en le transposant dans la France rurale du début des années 1960. Il entendait ainsi célébrer la douceur d’une vie provinciale sur le point d’être mise à mal par l’exode des populations vers les grandes villes et de nombreux changements de société. Et d’autre part, avec cette comédie populaire, à la narration classique et à la mise en scène soignée, il s’opposait frontalement à la Nouvelle Vague, et aux rédacteurs des Cahiers du Cinéma, qui avaient pris le pouvoir et prônaient alors le bannissement de ce genre de films grand public “qualité France”. 
Sa démarche était totalement sincère et pleine de conviction. Et son film possédait une spontanéité et un charme fous. Ce n’est pas tout à fait le cas, hélas, de ces deux nouvelles versions qui s’appliquent tellement à reconstituer l’ambiance d’antan, avec la pointe de nostalgie qui convient, et s’attachent tellement à copier l’oeuvre d’Yves Robert qu’ils perdent toute originalité, toute fraîcheur, tout naturel…

guerre

Oui, le film de Yann Samuell et celui de Christophe Barratier sont des films trop “fabriqués” pour être honnêtes, et ne sont rien d’autre que de bien médiocres plagiats du film d’Yves Robert.
Comme lui – mais de façon plus appuyée -  ils capitalisent sur la beauté verdoyante des décors naturels où ont été tourné les films.
Comme lui – mais avec moins de finesse – ils jouent la carte d’une campagne bucolique derrière un abord assez rude.
Comme lui – mais de façon bien plus intrusive et envahissante -  ils capitalisent sur la musique (de Philippe Rombi chez Barratier et de Klaus Badelt chez Samuell) et les chansons d’enfants.
Comme lui, ils axent le récit autour du personnage de Lebrac, le chef de bande qui entre dans l’âge adulte. Là, petite variante : chez Barratier, le gamin est grand, blond et balafré, et c’est un cancre en classe, chez Samuell, il est de corpulence moyenne, brun et doué pour les études – mais juste un peu trop rebelle pour s’en rendre compte…
Enfin, comme lui, ils misent sur le capital-sympathie de Petit Gibus, le benjamin de la bande, sa bouille malicieuse, ses yeux ronds et ses répliques à la conjugaison hasardeuse. Pas de “Si j’avais su, j’aurais pas venu”, la réplique-culte étant propre au film d’Yves Robert, dont les droits n’ont été cédés à aucun des deux camps, mais pleins de petites répliques du même acabit. Là encore, un peu trop pour être sincère…

Petit Gibus

Dans ce registre, on donnera l’avantage au film de Yann Samuell. Les répliques sont plus drôles, plus percutantes. On aime bien, par exemple, la réponse de l’écolier quand le maître lui demande la différence entre les hommes et les femmes : “Ben les hommes ont un cerveau et les femmes une cervelle…”.
Néanmoins, le film de Barratier se rattrape par un visuel un peu plus soigné (3 M€ de budget en plus, ça aide) et par le jeu des jeunes acteurs, un peu plus juste. Et on peut lui reconnaître le mérite de changer de contexte historique, en faisant évoluer ses héros dans la France occupée de la période 1939-1945, alors que son “rival” colle au plus près du film d’Yves Robert en restant au début des années 1960…

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Cela dit, ni l’un ni l’autre n’exploitent efficacement les contextes historiques. Christophe Barratier aborde bien la question de la persécution des Juifs pendant la deuxième guerre mondiale et le rôle joué par les Français ayant collaboré avec l’ennemi, mais cela reste assez timidement relégué au second plan. Yann Samuell, lui, aborde la guerre d’Algérie et ses conséquences psychologiques sur les jeunes soldats. Mais là aussi, le contexte est mal exploité, servant “juste” à appuyer un discours moraliste assez basique dont le coeur serait “quelle connerie la guerre…”.
Mais soyons francs, ce n’est pas non plus ce qu’attendait le public ciblé – les enfants, les ados, et leurs parents, nostalgiques du film de 1962… Le but était évidemment de proposer un divertissement de qualité, calibré pour plaire au plus grand nombre, avec une pincée d’humour, un mélange de naïveté et de cruauté enfantine et une bonne dose de tendresse…

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Seulement voilà, dans les deux cas, tout semble terriblement appuyé. On voit les grosses ficelles mises en oeuvre et, à vrai dire, même si le rythme est relativement constant, on finit par s’ennuyer.
Autant avec l’un que l’autre… Pas de jaloux…
On aurait aimé plus d’audace et une vraie adaptation originale, qui sorte des sentiers battus. Pourquoi pas, par exemple, une version contemporaine du roman avec un fond de crise sociale et de différence de classes, entre des Longeverne et des Velrans de banlieue et un Petit Gibus issu de l’immigration. Cela aurait été culotté certes (un comble) mais au moins, on aurait pu saluer la prise de risque… Là, on se contente de remakes certes honorables et regardables, mais qui n’apportent strictement rien de novateur par rapport aux adaptations précédentes

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Finalement, le film qui sort victorieux de cette guerre des guerres, ce n’est ni celui de Yann Samuell, ni celui de Christophe Barratier mais celui d’Yves Robert, qui bénéficiera d’une ressortie le 12 octobre prochain.
Au petit jeu de la comparaison, il n’y a guerre de doute : c’est celui qui possède le plus de charme et le plus d’humour…
Face à lui, les deux autres vont repartir le froc à la main…

(1) : “La Guerre des boutons” de Louis Pergaud – éd. Livre de Poche
(2) : On connaît surtout celle d’Yves Robert, mais il y a déjà eu deux autres adaptations cinématographiques du roman.
Une en 1936, La guerre des gosses de Jacques Darroy, l’autre en  1995, La Guerre des boutons, ça recommence de John Roberts.

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La Guerre des boutons 2011 La Guerre des boutons 
La Guerre des boutons

Réalisateur : Yann Samuell 
Avec : Vincent Bres, Salomé Lemire, Théo Bertrand, Eric Elmosnino, Mathilde Seigner, Alain Chabat
Origine : France
Genre : remake tiède
Durée : 1h35
Date de sortie France : 14/09/2011
Note pour ce film : ●●●○○○

contrepoint critique chez : Excessif

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la nouvelle guerre des boutons La Nouvelle Guerre des boutons 
La Nouvelle Guerre des boutons

Réalisateur : Christophe Barratier
Avec : Jean Texier,Ilona Bachelier,Clément Godefroy,Théophile Baquet,Kad Merad, Guillaume Canet,Laetitia Casta
Origine : France
Genre : remake tiède (bis)
Durée : 1h40
Date de sortie France : 21/09/2011
Note pour ce film : ●●●○○○

contrepoint critique chez : Figaroscope

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La Guerre des boutons 1962 La Guerre des boutons
La Guerre des boutons

Réalisateur : Yves Robert
Avec : Martin Lartigue, François Lartigue, Jacques Dufilho, Jean Richard, Michel Galabru, Pierre Tchernia 
Origine : France
Genre : autant voir l’original
Durée : 1h33
Date de ressortie France : 12/10/2011
Note pour ce film : ●●●●●

contrepoint critique chez : Cinéma 62

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1 COMMENT

  1. Les références au peplum m’ont bien plu chez Barratier. Je n’ai pas vu la version Samuell. J’avoue que ça ne me tentait pas de me faire les deux.

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