La précédente adaptation cinématographique du roman de Francis Scott Fitzgerald, “Gatsby le magnifique” (1), réalisée il y a près de quarante ans (2) par Jack Clayton, ne nous a pas laissé un souvenir impérissable, loin de là. On se rappelle quand même que Robert Redford était parfait dans le rôle-titre, mais que l’ensemble souffrait d’une mise en scène trop corsetée, trop “académique”.
Aussi, on était vraiment très curieux de découvrir cette version 2013, dirigée par Baz Luhrmann.

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Le cinéaste australien a déjà prouvé par le passé qu’il pouvait “dépoussiérer” les classiques littéraires avec son Roméo+Juliette, version très personnelle de la pièce de Shakespeare. Il n’a pas peur de transgresser les règles, en utilisant, par exemple, des tubes pop/rock contemporains pour tourner un musical dont l’intrigue se déroule dans le Paris de la Belle-Epoque, avec le succès que l’on connaît (Moulin Rouge!). Et il passe, depuis ses débuts et son Ballroom dancing, pour un virtuose de la mise en scène.
Mais il a aussi péché par excès de zèle. Australia, son précédent long-métrage, nous avait laissé une impression plus que mitigée, plombée par des jeux d’acteurs outranciers, un montage surexcité et une mise en scène trop emphatique.
Alors, ce Gatsby 2013? Magnifique ou  affligeant? 

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Les premières images sont plutôt encourageantes. Après les traditionnels logos des producteurs, customisés en noir & blanc à la manière des films des années 1920, Luhrmann passe à la couleur mais aussi et surtout à la 3D. Et force est de constater qu’il l’utilise ici de manière très intelligente, pour accentuer la profondeur de champ et donner encore plus d’amplitude au mouvement de sa caméra, un travelling/zoom avant qui embrasse tout le décor avant de se focaliser sur une maison en particulier, sur un groupe de personnages. Une façon de retranscrire le cheminement mémoriel effectué par le narrateur, Nick Carraway (Tobey Maguire), qui raconte l’histoire tragique de son ami, Jay Gatsby (Leonardo Di Caprio), mais aussi d’indiquer que la mise en scène va essayer d’aller au plus près des personnages, au coeur des liens qui les unissent et des passions qui les déchirent.

D’ailleurs, on se rend vite compte que Luhrmann prend soin de ne surtout pas s’éloigner de la trame du roman original et sa mécanique narrative joliment construite. L’intrigue se déroule au début des années 1920.  Nick Carraway abandonne le rêve de devenir écrivain et accepte un poste de trader dans une compagnie financière de New York. L’économie américaine étant alors florissante, le jeune homme gagne désormais assez pour s’installer dans un petit cottage de Long Island, non loin de la demeure de sa cousine, Daisy Buchanan (Carey Mulligan) et de son époux, Tom (Joel Edgerton). Il se lie d’amitié avec son voisin direct, Gatsby, un mystérieux millionnaire qui organise chaque semaine des fêtes grandiloquentes auxquelles s’invite tout le gratin mondain de New-York.
Fasciné, Nick découvre l’univers de la haute bourgeoisie newyorkaise, ses fastes, ses plaisirs, son atmosphère idyllique. Mais au fil des semaines, il réalise également que les apparences sont trompeuses. L’épaisse couche de vernis rutilant qui recouvre la vie rangée du couple Buchanan se craquèle sous le poids des infidélités de Monsieur et des états d’âmes de son épouse délaissée. Et les paillettes qui entourent Gatsby ne parviennent plus totalement à dissimuler les zones d’ombres du personnage, tourmenté par une passion amoureuse dévorante et un passé trouble.

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Baz Luhrmann entend aussi être fidèle à l’esprit du roman de Francis Scott Fitzgerald, qui avait réussi à retranscrire le climat particulier de cette époque, de ces “années folles” pleines d’insouciance, où hommes et femmes s’encanaillaient en buvant et en se trémoussant sur des jazz endiablés. Mieux : il ambitionne de mettre cette ambiance en résonance avec notre monde contemporain.
A l’époque, le jazz était une musique à la mode, mais méprisée par l’intelligentsia culturelle WASP. De nos jours, le hip-hop est un peu dans la même position. C’est pourquoi il a confié la bande originale du film à Beyoncé et Jay Z., qui se sont amusés à mixer des sonorités jazzy, du be-bop, de la techno, de la pop et même du classique avec du rap et du R’n B.
Le résultat peut surprendre, même si Baz Luhrmann a souvent utilisé des bandes-sons anachroniques pour ses oeuvres.
Là où ça se corse, c’est dans la représentation des soirées données par Gatsby. Des centaines de figurants qui dansent, se contorsionnent comme des déments et font un peu n’importe quoi devant la caméra, dans un déluge de plans d’une demi-secondes chacun, de mouvements de caméras tape-à-l’oeil et de musique. Un grand fatras de bouts de scènes qui cherche à nous donner le vertige, mais qui ne parvient qu’à nous donner la nausée.
Au bout d’un moment, Carraway se demande à haute voix “Mais à quoi rime tout cela?”. “Telle est  la question”lui répond, philosophe, un vieux bibliothécaire…

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Nous aussi, on finit par se le demander, épuisés par le spectacle, par ce show pyrotechnique dernier cri, assommés par la musique, secoués par des mouvements de caméra purement gratuits – et totalement vains. Ou plutôt non, on sait bien où veut nous emmener Luhrmann. Il cherche à nous communiquer une impression de trop plein, de démesure, d’outrance, pour mieux trancher, plus tard, avec la vacuité de ses personnages, et notamment celui de Gatsby, moins flamboyant que ce qu’il prétend être. Et aussi à passer d’un rythme trépidant à un rythme plus lent, plus posé, quand le récit se fait plus intimiste.
Le problème, c’est que ce moment n’intervient que très tard dans le film – dans le dernier quart d’heure – et qu’avant cela, toute l’oeuvre se retrouve sérieusement plombée par les excès de bruit et de fureur.
Cela se répercute même sur les acteurs, qui se sentent obligés de surjouer leurs scènes. Joel Edgerton, notamment, a un peu de mal à apporter des nuances à son personnage, du moins au début du film. Même Léonardo Di Caprio, par ailleurs plutôt convaincant dans le costume de Gatsby, se laisse aller, par moments, à un certain cabotinage.
Les femmes, Carey Mulligan en tête, s’en sortent mieux, mais il est vrai que leur temps de présence à l’écran est moindre. On touche d’ailleurs là à un autre problème majeur : le manque de consistance de certains personnages-clés de l’oeuvre, sacrifiés au profit de Gatsby et Nick.
Le personnage de Daisy aurait gagné à être un peu plus mis en avant. Celui de Myrtle Wilson (Isla Fisher), la maîtresse de Tom, manque totalement de consistance…
Dans ces conditions, difficile d’explorer pleinement les liens qui unissent les différents protagonistes, alors que c’est pourtant la clé de voûte du récit. Le récit s’enlise et on finit par décrocher, imperceptiblement. Pour parachever le tout, l’émotion peine à s’installer, ce qui est évidemment dommage pour un film à vocation mélodramatique…

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On aurait aimé que le film ressemble plus à son dernier quart d’heure (3) quand la caméra se pose enfin et que le cinéaste prend le temps de s’intéresser à ses personnages. Hélas, ce que l’on retiendra de ce Gatsby le Magnifique, ce sont surtout les deux heures tapageuses qui précèdent le dénouement. Attention, on ne dit pas que cette adaptation est une purge ou un infâme navet. Elle possède des atouts formels indéniables et de bonnes idées de mise en scène, parfois, mais les défauts que l’on percevait déjà dans les quatre premiers films du cinéaste sont ici franchement visibles et prennent le pas sur ses qualités.

Magnifique, ce Gatsby?
Hélas non… Juste décevant et frustrant…

(1) : “Gatsby le Magnifique” de Francis Scott Fitzgerald – éd. Le Livre de Poche
(2) : En 1974, pour être plus précis
(3) : Petite précision : sans les effets de ralenti, totalement superflus

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Gatsby le Magnifique Gatsby le Magnifique 
The Great Gatsby 

Réalisateur : Baz Luhrmann 
Avec : Leonardo Di Caprio, Tobey Maguire, Carey Mulligan, Joel Edgerton, Isla Fisher, Jason Clarke
Origine : Etats-Unis, Australie
Genre : Gatsby l’épileptique 
Durée : 2h22
Date de sortie France : 15/05/2013
Note pour ce film : ●●○○○○
Contrepoint critique : Les Inrockuptibles

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