Maps to the stars David Cronenberg est le cinéaste des névroses. Toute son oeuvre est articulée autour du rapport entre la chair – souvent monstrueuse – et l’esprit – souvent perturbé –, autour de considérations psychanalytiques. Rien d’étonnant à ce qu’il tourne enfin à Hollywood, dans ce temple des corps maltraités, victimes des excès de drogues et d’alcool, des régimes diététiques sévères et de la chirurgie esthétique,  et des psychés abimées, inhérentes aux égos démesurés et au côté schizophrène du métier d’acteur.

Maps to the stars suit le retour d’Agatha (Mia Wasikowska) dans la Cité des Anges. Quelques années auparavant, elle avait tenté de tuer son frère Benjie (Evan Bird) et de se suicider par le feu. La maison familiale de Beverly Hills avait brûlé, mais les deux enfants ont survécu. Benjie, miraculeusement sorti indemne de cet incident, du moins physiquement, est devenu un ado-star, acteur vedette d’un blockbuster décérébré, tandis que Agatha, partiellement défigurée par les brûlures, a été  envoyée en hôpital psychiatrique. La jeune femme revient pour chercher le pardon de ses parents, Sanford Weiss (John Cusack), sorte de thérapeute pour stars et auteur d’une méthode d’épanouissement personnel bidon, et Cristina (Olivia Williams), qui gère la carrière de son fiston-chéri. Evidemment, le couple n’a pas trop envie de voir leur fille cinglée revenir leur pourrir la vie et faire remonter à la surface des secrets de famille sordides.
En attendant de pouvoir les approcher, Agatha se fait embaucher comme assistante personnelle par Havana Segrand (Julianne Moore), une actrice vieillissante dont la carrière est à bout de souffle, mais qui est sur le point d’effectuer un comeback fracassant. Elle fait le forcing pour jouer dans le remake d’un film des années 1960, reprenant le rôle de incarné jadis par sa mère. Une aubaine, mais aussi une source de cauchemars, puisque la maman en question était abusive et incestueuse, et qu’elle a connu une fin tragique, dévorée par les flammes.
La confrontation de ces personnages rongés par les névroses, hantés littéralement par leurs fantômes et leurs démons intimes, constamment au bord de la crise de nerfs, va évidemment ébranler l’apparente tranquillité de ces villas de stars alignées sur les hauteurs de Los Angeles…

L’intrigue est celle d’un film noir classique, évoquant de loin en loin Boulevard du Crépuscule. Mais comme toujours chez David Cronenberg, elle n’est que le fil conducteur guidant le spectateur vers d’autres niveaux de lecture, d’autres pistes de réflexion.
Avant tout, Maps to the stars est une critique féroce et néanmoins lucide sur l’évolution du cinéma hollywoodien.  Il prédit d’une certaine façon la disparition de cette Babylone cinématographique, cet univers dégénéré. Clap de fin imminent…

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Dans ce microcosme, tout le monde est au bord de la folie. Les comportements sont de plus en plus erratiques, et de plus en plus tôt. Le jeune Benjie qui, à 13 ans, est déjà en cure de désintoxication, en est le parfait exemple. Il faut dire que, dans ce milieu en vase clos, acteurs, réalisateurs, producteurs couchent ensemble, et les liaisons incestueuses sont légion. Or on sait que, d’un point de vue génétique, la consanguinité n’est pas une bonne chose.
Il en va de même pour les oeuvres, qui ne se renouvellent pas vraiment. Toujours les mêmes codes esthétiques, toujours les mêmes constructions narratives, usées jusqu’à la corde.  Les scénaristes ne sont plus capables que de pondre des remakes inférieurs aux originaux et des suites sans âme. Les acteurs ne prennent pas de risques, se contentant de faire ce qu’ils savent faire ou de reprendre des rôles sans leur apporter la moindre personnalité.
Les fantômes du glorieux passé du cinéma américain les harcèlent, se moquent d’eux, leur rappellent qu’ils sont condamnés à disparaître et qu’ils ne laisseront pas un souvenir marquant. Tout le contraire de ce qu’ils recherchent…

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Dans ce royaume des apparences, la gloire est ce qui permet à l’image d’un individu de perdurer après la mort, comme les étoiles, qui représentent la trace résiduelle d’un astre mort dans l’espace temps. C’est ce qui permet de “redistribuer les cartes” des étoiles.
Havana, par exemple, a déjà connu le succès, remporté des prix, et elle est encore en activité, un exploit dans un milieu où les filles de dix-huit ans sont jugées “ménopausées” par les teenagers de treize ans… Mais elle veut acquérir l’immortalité – un rôle mémorable, un rôle à Oscar – pour surpasser sa rivale de mère, et pour vaincre symboliquement le temps qui la consume à petit feu, qui ronge sa beauté.
Mais elle n’est pas la seule. Dans cette ville, où même les chauffeurs de limousines sont acteurs/scénaristes/réalisateurs, tout le monde rêve de cinéma, tout le monde fait son cinéma, tout le monde veut son étoile sur Hollywood Bvd, tout le monde veut son heure de gloire…

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La seule à être un peu différente, c’est Agatha. Elle aussi cherche à réaliser un scénario. Mais plus dans la vie réelle que dans la fiction. Elle sait qu’elle va aussi devenir célèbre, mais ce qui l’intéresse dans ce processus, c’est de l’image et du corps, la séparation de l’âme et d’une enveloppe corporelle abimée, portant les stigmates d’un péché originel plombant, l’acquisition de la liberté. C’est pour cela qu’elle martèle le poème de Paul Eluard comme un mantra : “J’écris ton nom, Liberté”, pour se donner le courage d’aller jusqu’au bout du rituel de purification familial.

Maps to the stars est, à n’en pas douter, un très grand film. Une oeuvre que l’on n’a pas fini de décrypter et dont chaque nouveau visionnage devrait permettre de saisir les nuances. On pourrait louer les acteurs, tous exceptionnels – notamment Julianne Moore, qui s’expose, se met à nu, prend des risques, contrairement à son personnage de garce névrosée – vanter les qualités esthétiques du film, de la bande-son, enveloppante, à l’image, très soignée ou la perfection de la mise en scène de Cronenberg, s’attarder sur les références psychanalytiques, bibliques ou symboliques du récit, mais c’est l’ensemble de ces vertus qui en fait une oeuvre majeure de ce 67ème festival de Cannes.
On ne sait pas si ce film brillera intensément au firmament du septième art, mais il laissera en tout cas une trace durable dans la galaxie de nos souvenirs cinématographiques.

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