Ca y est. Le jury officiel a rendu son verdict. Comme prévu, le palmarès est plutôt orienté vers le cinéma d’auteur pur et dur. Mais il y a quand même quelques choix surprenants dans la liste des prix accordés par Jane Campion et sa joyeuse bande.
D’accord avec la Palme d’Or à Nuri Bilge Ceylan. Même si son Winter sleep n’est pas le film que nous préférons de sa filmographie, il s’agit quand même d’une oeuvre imposante, portée par une indéniable maîtrise artistique. Et cette palme récompense un parcours sans fautes, d’Uzak jusqu’à Il était une fois en Anatolie.

Winter sleep - 3

D’accord aussi avec le prix du scénario à Leviathan, même si Zvyagintsev aurait  mérité mieux. Et avec les prix d’interprétation à Julianne Moore pour Maps to the stars et à Timothy Spall pour Mr Turner. On trouve quand même que ce dernier verse un peu trop dans le registre bourru dans le film de Mike Leigh, mais son discours de remerciements a amusé et ému l’auditoire du Grand Théâtre Lumière.
Même émotion pour les lauréats de la caméra d’Or, la joyeuse équipe de Party girl, dont l’histoire de famille mouvementée tourne aujourd’hui au rêve éveillé. Là encore, on n’a rien à redire. Le choix n’a rien de honteux.
Et on trouvera amusant que le prix du jury soit partagé par Xavier Dolan, le jeune prodige québécois de 25 ans et Jean-Luc Godard, le vieux maître encore vert. Mais là aussi, les deux hommes auraient eux aussi pu prétendre à mieux.
Nous sommes quand même plus perplexes quant à la présence au palmarès de Bennett Miller, prix de la mise en scène pour Foxcatcher. Mouais… Le jury aurait pu trouver plus convaincant parmi les postulants repartis bredouilles : Assayas, les frères Dardenne, Ken Loach,…
Idem pour le grand prix attribué à Alice Rohrwacher et ses Merveilles. Le jury a fait son choix, on le respecte… Mais primer ce film assez anecdotique et oublier Deux  jours, une nuit ou un beau film comme Timbuktu, ça frise quand même la faute professionnelle…    

Mommy - 3

Nous ne ferons pas de commentaires sur la cérémonie, que nous avons suivi dans des conditions plutôt mouvementées. Nous avons essayé de suivre la retransmission simultanée de la cérémonie dans la salle Debussy, mais des problèmes techniques incessants nous ont privé de l’image pendant la moitié de la cérémonie. Heureusement,  le son fonctionnait, ce qui a permis d’entendre les noms des lauréats, mais le reste des discours était couvert par les grognements des spectateurs frustrés par cette retransmission foirée. La prochaine fois, nous regarderons la cérémonie à la télévision. Cela évitera la cohue et les problèmes techniques…

ptit-quinquin-5

Même si la compétition officielle est finie, les projections continuent, avec les reprises de films des différentes sections.
Nous avons ainsi pu découvrir, à la Quinzaine des Réalisateurs, P’tit Quinquin de Bruno Dumont, une minisérie de quatre épisodes qui joue avec les codes du polar de manière loufoque. Une sorte de Broadchurch version ch’ti, mâtiné de Twin Peaks. On y suit les tribulations de P’tit Quinquin, un gamin de douze ans et sa bande de copains dans un village de la côte boulonnaise ébranlé par une vague de crimes horribles. Un corps de femme décapité et démembré est retrouvé dans une vache, elle-même retrouvée morte dans un bunker en haut des falaises. Comment est-elle arrivée là? Voilà l’un des mystère que va devoir élucider le commandant de la gendarmerie Van der Weyden, Drôle de gus que ce gendarme à la dégaine improbable et au visage agité de tics, semblant toujours perdu dans ses “pensées”. Et comme son adjoint n’a pas l’air beaucoup plus finaud, les crimes sordides continuent de s’enchaîner, laissant entrevoir des relations complexes entre les habitants du village…
C’est plus une parodie qu’un véritable feuilleton policier. On s’amuse surtout de la description que Bruno Dumont fait des gens de sa région : des péquenauds dégénérés, des gendarmes abrutis, des Marie-couche-toi-là et des maris jaloux, des bouseux racistes, des immigrés en situation irrégulière, des prêtres demeurés. Une galerie de personnages édifiante, à laquelle s’ajoutent un organiste qui se prend pour Charly Oleg, une jeune fille qui rêve de faire un télécrochet et une bande de sales gosses jeteurs de pétards…
La trame policière n’est que prétexte à des gags burlesques souvent irrésistibles, à une variation esthétique autour des peintres flamands et, en filigrane, une réflexion sur le Bien et le Mal.
Du bon, du très bon Dumont…

Le conte de la princesse kaguya - 2

Nous avons aussi rattrapé l’ultime film d’Isao Takahata, Le Conte de la Princesse Kaguya que beaucoup disaient remarquable, envoûtant, sublime… Ils avaient raison : le film est un bijou de poésie et de finesse. A l’heure où le cinéma d’animation se met de plus en plus aux images de synthèse et cherche la précision dans le moindre détail, le cinéaste japonais fait tout l’inverse. Il privilégie le dessin traditionnel  et ne cherche pas à animer l’ensemble de l’image.
Devant son film, on a l’impression d’être devant un livre d’estampes japonaise qui prend vie et nous entraîne dans un beau conte fantastique, drôle et de plus en plus émouvant à mesure que progresse le récit. Une fable qui montre que ce ne sont pas le luxe et le pouvoir qui font le bonheur, mais la famille, les amis et l’amour véritable.
Petits et grands seront sûrement envoûtés par ce récit sensible, tiré d’une vieille légende japonaise,  par la finesse du trait de Takahata, par la magnificence des couleurs pastels utilisées, et par la musique enveloppante de Joe Isaichi.

Turist - force majeure

Nous avons aussi pu découvrir Force majeure (Turist), qu’il nous avait été impossible de voir pendant la semaine. 
On y suit le séjour d’un couple et de leurs deux enfants dans une station de ski, au coeur des Alpes. A leur arrivée, un photographe capture le portrait d’une famille-modèle : couple aimant, enfants joyeux, harmonie familiale sans faille. Mais des petits détails laissent à penser que tout n’est pas si parfait. On comprend notamment que la femme reproche à son mari de trop travailler et de délaisser sa famille.  
Le fragile équilibre familial va voler en éclats suite à un incident inattendu. Alors que le couple et ses enfants sont attablés à la terrasse d’un café, face à la montagne, une avalanche se produit. Une immense vague neigeuse vient en leur direction, menaçant de les engloutir. Par instinct de survie, l’homme fuit sans se soucier de sa femme et de ses enfants.
Heureusement, l’incident génère plus de peur que de mal. Mais les conséquences psychologiques, elles sont dévastatrices. L’homme a perdu toute sa crédibilité en tant que marie et père. Il est confronté aux sarcasmes de sa femme, à l’incompréhension de ses amis, à la honte de ne pas avoir été à la hauteur.
Le cinéaste de Play livre une fine étude sur les comportements humains face à l’imprévu, sur le côté dérisoire de l’homme face aux éléments, sur la fragilité du couple et sur le cliché de l’homme fort et chevaleresque, chef de famille protecteur et responsable. Une belle réussite, qui pousse chaque spectateur à s’interroger sur son propre statut, son courage face aux catastrophes.

The rover - 2

David Michôd, lui, va encore plus loin, montrant une espèce humaine retournant à l’état primitif, à force d’égoïsme et de sauvagerie. The Rover, présenté en séance de minuit en début de festival, se déroule dans un futur proche. Le système économique globalisé a fini par s’autodétruire. Les individus vivent en de petites communautés où les plus puissants sont ceux qui vendent de l’essence et des vivres. Le personnage principal (Guy Pearce) semble être un homme normal, civilisé. Mais quand un trio de braqueurs lui vole sa voiture, il décide de les prendre en chasse, prêt à tout pour récupérer son bien, y compris au pire… Ce road-movie sauvage , peuplé de personnages fous, malsains, et de paysages sinistrés, fait froid dans le dos et invite à réfléchir à l’avenir de nos sociétés de plus en plus individualistes et violentes.  C’est aussi un bel objet cinématographique, dont plusieurs scènes n’ont pas fini de nous hanter.
Plus convaincant, selon nous, que son Animal kingdom, le film de David Michôd aurait sûrement mérité autre chose qu’une sélection en séance de minuit. Il aurait largement eu sa place en compétition, et aurait même pu glaner un prix…

Mais on ne va pas refaire le monde… Ni ce festival 2014, qui est à classer, selon l’avis général, parmi les très bons crus. On quitte la Croisette avec des images fortes imprimées sur les rétines et des souvenirs joyeux plein la tête.

Merci d’avoir suivi nos chroniques quotidiennes et, on l’espère, à l’année prochaine !

Cannes-Poster-2014

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Rédacteur en chef de Angle[s] de vue, Boustoune est un cinéphile passionné qui fréquente assidument les salles obscures et les festivals depuis plus de vingt ans (rhôô, le vieux...) Il aime tous les genres cinématographiques, mais il a un faible pour le cinéma alternatif, riche et complexe. Autant dire que les oeuvres de David Lynch ou de Peter Greenaway le mettent littéralement en transe, ce qui le fait passer pour un doux dingue vaguement masochiste auprès des gens dit « normaux »… Ah, et il possède aussi un humour assez particulier, ironique et porté sur, aux choix, le calembour foireux ou le bon mot de génie…

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