Décidément, les actes de piraterie moderne inspirent les cinéastes.
Récemment, nous avons pu voir l’excellent Hijacking de Tobias Lindholm, qui créait un suspense haletant autour des négociations  entre un chef d’entreprise danois et des pirates somaliens exigeant une rançon pour libérer l’équipage du cargo dont ils ont pris le contrôle.
Jacques Perrin, lui, prépare un documentaire sur le sujet. En attendant, c’est au tour de Paul Greengrass de se pencher sur le sujet, avec sa méthode habituelle, qui propose au spectateur une immersion totale au coeur de l’action.

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Il raconte l’histoire vraie de l’attaque du cargo américain Maersk Alabama par quatre pirates somaliens, le 8 avril 2009.
Les deux premières parties du scénario racontent l’abordage à proprement parler, et les tentatives de l’équipage pour repousser l’assaut, à l’aide de manoeuvres habiles et de tactiques malignes. Les deux suivantes racontent la fuite des ravisseurs, après l’échec de leur tentative de hijacking. Poursuivis par un navire de l’armée américaine et les troupes d’élites prêtes à intervenir à tout moment, ils tentent de rejoindre la terre ferme à bord d’un canot de sauvetage, en gardant en otage le capitaine du cargo, Richard Phillips (Tom Hanks), dans l’espoir d’en tirer une importante rançon.  

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Chaque segment procure sa dose de sensations fortes, opposant la détermination des pirates, prêts à tout pour aller au bout de leur mission, au courage de l’équipage, et notamment celui de son capitaine, qui analyse constamment la situation et leurs chances de s’en sortir vivants.
Mais plus le récit avance, plus la situation devient incontrôlable, et plus la tension monte. L’étau se resserre autour des ravisseurs, qui deviennent de plus en plus nerveux. Il suffirait d’un rien pour que l’un d’entre eux, usé par la fatigue, le stress, la faim et la soif, ne craque et supprime l’otage. Dans ces conditions extrêmes, Phillips doit pourtant rester calme et lucide. Tout en essayant la voie diplomatique pour ramener à la raison ses ravisseurs, il doit aussi préparer le terrain à l’intervention de l’armée américaine, forcément périlleuse.  
Le suspense va donc crescendo et constitue du pain-béni pour Paul Greengrass, qui excelle à mettre en scène ce genre de situations tendues. On se souvient de Bloody sunday, qui nous entrainait au coeur du massacre perpétré par l’armée britannique contre les indépendantistes irlandais à Derry, le 30 janvier 1972, ou encore de son Vol 93, qui relatait avec maestria la tentative de détournement d’un avion par des terroristes, le fameux 11 septembre 2001. Ou encore de la tension continue qui parcourait Green zone. Capitaine Phillips est du même calibre. Le cinéaste nous plonge littéralement dans l’action, à l’aide d’une caméra très mobile et d’un montage extrêmement précis, qui trouve tout le temps le bon tempo, si bien que le rythme du récit ne faiblit jamais, bien au contraire.

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Le film repose aussi beaucoup sur ses acteurs, à commencer par Tom Hanks et Barkhad Abdi. Le suspense se construit autour de la relation complexe qui se noue entre Phillips et Muse, le leader des pirates. Une drôle de joute psychologique oppose ces deux hommes qui se craignent, se haïssent et se respectent. Ils sont sur deux logiques radicalement opposées, mais affichent la même détermination à aller au bout de leurs missions respectives. Il doivent montrer à l’autre qui est le patron, qui décide de la tournure des évènements. Deux capitaines de navires engagés dans une lutte sans merci.
A ce petit jeu, Phillips part avec un net avantage sur le somalien. Il est capitaine de navire depuis des années et exerce une autorité naturelle sur son équipage. Muse, lui, n’est qu’un modeste pêcheur reconverti en chef de commando par pure nécessité. Ceux qui l’accompagnent ne sont pas sur la même longueur d’onde. Ils ne respectent pas toujours ses ordres et contestent ses décisions. Ce sont des amateurs, comme lui, bien trop nerveux pour subir un tel stress. Phillips l’a bien compris. Il essaie d’amadouer les uns et de provoquer les autres, afin d’accentuer les désaccords au sein du groupe de preneurs d’otages. Mais en suscitant de la défiance à l’encontre de Muse, Phillips prend le risque de voir les gros bras prendre les choses en main, et ceux-ci n’hésiteraient pas à l’exécuter à la première contrariété. Chaque coup de cette partie d’échecs virtuelle rajoute un peu de suspense à l’ensemble.

Capitaine Phillips - 2

Comme la plupart des films de Greengrass, Capitaine Phillips est donc un modèle de construction narrative, qui réussit la gageure de tenir le spectateur en haleine de bout en bout, sur plus de deux heures de métrage, en s’appuyant autant sur la mise en scène que sur la direction d’acteurs.
Mais, comme souvent chez le cinéaste, l’action n’inhibe pas la réflexion. L’intérêt du film vient aussi de son refus des clichés et du manichéisme. Ce n’est pas juste un affrontement entre les bons américains et les méchants pirates somaliens. Greengrass n’excuse nullement la violence de ces derniers,  mais il cherche à comprendre leur démarche, le sens de leurs actions. A travers  les échanges entre Phillips et ses ravisseurs, on réalise qu’ils sont plus des victimes que des bourreaux. 
Les quatre membres du commando n’ont pas toujours été des bandits. Ils étaient tous marins-pêcheurs, avant que les chalutiers étrangers ne viennent piller massivement l’Océan Indien et polluer les côtes. Sans sources de revenus, sans ressources alimentaires dans un pays touché par la famine, la misère, la guerre civile, ces individus n’ont pas d’autre option que de participer à ces missions de piraterie. Ils n’ont plus rien et donc plus rien à perdre. Et la plupart ne sont que des gamins un peu paumés, livrés à eux-mêmes.
C’est justement ce qui rend le film constamment imprévisible. S’ils tuent leur otage, les ravisseurs savent qu’ils seront abattus par les Navy seals. S’ils reviennent en Somalie sans l’argent de la rançon, ils seront exécutés par les chefs de guerre locaux qui règnent sur la région. Et s’ils se rendent aux américains, ils savent qu’ils seront traités comme des terroristes d’Al-Quaïda, jetés en prison pour de longues années ou exécutés.
Le film incite le spectateur à réfléchir à ce phénomène relativement nouveau qu’est la piraterie moderne, ainsi qu’à la responsabilité de l’Occident vis-à-vis des nombreuses crises qui secouent ces zones du globe sinistrées.

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On aime quand le cinéma allie avec autant de finesse une narration captivante et un propos intelligent, qui ouvre les regards et suscite la réflexion.
Capitaine Phillips est assurément un excellent film, un des jalons importants de l’oeuvre déjà respectable de Paul Greengrass.
On espère que le public partira nombreux à l’abordage des salles obscures pour le découvrir…

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Capitaine Phillips Capitaine Phillips
Captain Phillips

Réalisateur : Paul Greengrass
Avec : Tom Hanks, Barkhad Abdi, Chris Mulkey, Catherine Keener, Barkhad Addirahman, Faysal Ahmed
Origine : Etats-Unis
Genre : au coeur de l’action
Durée : 2h14
Date de sortie France : 20/11/2013
Note pour ce film : :●●●●●●
Contrepoint critique : Sens critique

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