Ambiance studieuse sur les marches de Cannes, avec la projection de Baccalauréat, le nouveau long-métrage de Cristian Mungiu.
Le cinéaste roumain est l’un des premiers de la classe de la Croisette. Il avait obtenu les encouragements avec Occident, à la Quinzaine des Réalisateurs, avant de passer dans la classe supérieure avec 4 mois, 3 semaines et 2 jours, immédiatement récompensé de la Palme d’Or. Sa dernière copie, Au delà des montagnes, avait obtenu également une bonne note de la part du jury, repartant avec un prix de la mise en scène.
Ce nouveau film suit un médecin bourgeois, bon père de famille, obsédé par la réussite de sa fille aînée. Revenu s’installer en Roumanie après la chute du régime de Ceaucescu, des espoirs plein la tête,  Romeo (Adrian Titieni)) est aujourd’hui totalement désabusé. Il souhaite que sa fille puisse faire sa vie à l’étranger, en poursuivant des études dans les meilleures universités européennes. Pour cela, Eliza (Maria-Victoria Dragus)doit déjà obtenir son bac avec la meilleure mention possible. Comme la jeune fille est excellente élève, cela devrait être une simple formalité. Mais, la veille de l’examen, elle se fait agresser par un inconnu. Déstabilisée, elle ne réussit pas à finir l’épreuve, et au vu du coefficient de la matière, cela l’oblige à viser  la note maximale dans toutes les épreuves restantes. Romeo décide alors de donner un coup de pouce à sa fille en sollicitant l’aide d’un notable. Il promet à l’homme d’être opéré plus vite en échange d’une certaine mansuétude dans l’évaluation des copies de sa fille. Et cette compromission ne sera pas sans conséquences… Romeo voit son couple et sa famille se désagréger. Pire, il est obligé d’aller à l’encontre de ses valeurs et de sa philosophie de vie.
A travers cette histoire, Cristian Mungiu dénonce un mal récurrent de son pays : la corruption. Il en démonte les rouages, montre comment un système reposant sur la corruption, les passe-droits, les échanges de bons procédés étouffe finalement les individus. Le film tien sur un scénario brillamment écrit, sur le jeu des comédiens, tous parfaits, à commencer par Adrian Titieni, et sur la mise en scène ultra-précise de Cristian Mungiu.
Il passe l’examen de la compétition haut la main, mention très bien.

baccalaureat - 2

Xavier Dolan est également un des bons élèves de Cannes. Un enfant prodige qui a sauté plusieurs classes pour devenir un pensionnaire régulier de la compétition cannoise. Mais cette année, sa dissertation sur les liens familiaux complexes, les souvenirs et les remords n’a pas complètement séduit le conseil de classe.
Adapté d’une pièce de Jean-Luc Lagarce, Juste la fin du monde raconte le retour de Louis (Gaspard Ulliel) dans sa famille, après plusieurs années d’absence. S‘il revient dans ce milieu étouffant, constamment au bord de la crise de nefs, c’est qu’il va mourir bientôt. Il se sait condamné et va annoncer cette nouvelle à sa mère (Nathalie Baye), son frère aîné (Vincent Cassel) et sa soeur cadette (Léa Seydoux).
Pas si simple, parce qu’avant d’accepter l’idée de sa mort, tout ce petit monde doit déjà digérer sa disparition, quelques années auparavant, et le cortège de rancoeurs qu’elle a générées…
On le sait depuis longtemps, les repas de famille qui dégénèrent en joutes verbales assassines constituent d’excellentes ossatures dramatiques, au théâtre comme au cinéma. La confrontation de  personnages avec leur mort prochaine ou celle de leurs proches, les jalousies et les incompréhensions au sein d’une même fratrie, le sentiment d’être un étranger au sein de sa propre famille sont des sujets en or massif, capables de générer de formidables torrents d’émotions.
Il est logique que Xavier Dolan ait choisi d’assembler tous ces éléments dans son nouveau long-métrage, d’autant qu’ils s’inscrivent tout à fait dans ses thématiques habituelles. On comprend moins, en revanche, l’idée de transformer tous les membres de cette famille en monstres de foire. Tous sont excessifs, vulgaires, au bord de l’hystérie.
Nathalie Baye, la mère, est la moins gâtée du lot. Affublée de vêtements criards, trop maquillée, elle passe son temps à crier et courir partout. On la croirait échappée de l’asile. La soeur cadette est dans une attitude rebelle-punk, en butte à la société, à sa mère, à ses frères. Le frère aîné est une brute épaisse qui passe son temps à agresser les autres. Son épouse (Marion Cotillard) est plus dans la retenue. Trop : Elle est excessivement gentille et timide et agace en essayant de faire le lien entre les membres de la famille. Quant au personnage principal, il est lui aussi dans l’excès de par son mutisme et son manque d’empathie manifeste à l’égard de ses proches.
A bout de cinq minutes de film, on s’agace déjà de leurs dialogues heurtés, leurs invectives, leurs insultes, leurs accès d’hystérisme. On est tentés de les abandonner à leur triste sort. Comme on peine à s’attacher à eux, on remarque tous les défauts du film : le mauvais mixage entre les musiques, les sons d’ambiance et les dialogues, les tics de mise en scène de Xavier Dolan, les grosses ficelles de la pièce de théâtre d’origine… Et pourtant, dans ce fatras, dans tout ce bruit et cette fureur, l’incroyable se produit : le cinéaste arrive à faire exister les personnages, leur offrir à chacun une belle scène, un vrai moment de grâce. Alors, les personnages deviennent moins agressifs, plus vulnérables, plus touchants. L’émotion passe dans des regards, des petits gestes, à l’aide de gros plans ultra-précis. On comprend ce que le cinéaste québécois a voulu faire : établir un contraste entre l’attitude des individus au sein du groupe et leur comportement dans l’intimité, établir que, derrière les vieilles  rancoeurs, l’animosité, les reproches, il y a de l’affection, de l’amour, de la compréhension mutuelle. Dans ces moments-là, le cinéaste retrouve un peu de la splendeur de son meilleur film, Mommy, ou de la profondeur de ses Amours imaginaires.
On peut cependant se demander s’il était bien nécessaire d’utiliser ce dispositif un peu lourd pour susciter l’émotion et donner du corps aux personnages. On mettra cela sur le compte d’une certaine insouciance ou d’une erreur de jeunesse. Malgré son parcours cinématographique déjà impressionnant, on oublie un peu vite que Xavier Dolan est encore un jeune cinéaste. Il ne peut pas posséder tout de suite l’expérience et la subtilité d’un Ingmar Bergman, d’un Mike Leigh ou d’un Woody Allen.
On lui met donc une mention “Assez bien”, assorti des encouragements, en attendant la délibération du grand jury, qui est bien capable de lui remettre la palme (peu) académique.

Juste la fin du monde - 2

Encouragements, aussi, au finlandais Juho Kuosmanen et son The Happiest day in the life of Olli Mäki. Le cinéaste avait été repéré dans la classe maternelle du festival de Cannes, la  Cinéfondation, où il avait glané un prix en . Il revient aujourd’hui à Un Certain regard avec cette reconstitution plus ou moins réaliste du combat organisé à Helsinki, en 1962, entre le boxeur finlandais Olli Mäki et le champion du Monde Davey Moore. Contrairement aux grands classiques du film de boxe, le cinéaste se désintéresse de l’entraînement du boxeur, et même du combat final, assez expéditif. Ce qui l’intéresse, c’est le contraste entre les attentes que le manager d’Olli Mäki génère autour de ce combat auprès des sponsors, des autorités sportives et de toute une nation, et celles d’Olli Mäki, brave boulanger et boxeur amateur, qui préférerait passer tout son temps auprès de la femme de sa vie. Avec un ton de comédie assumée, le film aurait probablement pu nous séduire, mais il semble constamment osciller entre plusieurs genres, plusieurs tonalités et, à l’arrivée, donne un ensemble trop lisse, trop plat, atone. Cependant, on ne peut que se laisser séduire par l’ambiance visuelle du film, son noir & blanc sublime, dans la lignée de certaines pépites d’Aki Kaurismäki.
On lui dit donc “Peut mieux faire” et on conseille un redoublement en classe “Un Certain Regard” pour que Juho Kuosmanen continue à faire ses armes avant d’intégrer, un jour peut-être, la compétition officielle.

the happiest day of the life of ollie maki - 2

En attendant les délibérations du grand jury, la Semaine de la critique a déjà publié son tableau d’honneur. Mimosas d’Olivier Laxe, a obtenu le Grand Prix. Albüm doit se contenter du Prix Révélation France 4.
La SACD a attribué son prix à Diamond Island de Davy Chou, tandis que la Fondation Gan a récompensé One week and a day d’Asaph Polonsky. Chez les touts-petits, Prenjak obtient le Prix Découverte Leica du court-métrage et L’enfance d’un chef  glane le Prix Canal Plus du court-métrage.

A la Quinzaine des Réalisateurs, on s’approche tout doucement de la fin des examens. Laura Poitras a présenté son dossier sur Julian Assange, Risk, et Houda Benyamina ses Divines promesses cinématographiques. On saura très vite quels films ont le plus séduit les jurys de la Quinzaine des Réalisateurs.

A moins de prendre des heures de colle pour avoir lorgné sur le décolleté de Marion Cotillard ou de nous faire recaler à l’examen par nos fidèles lecteurs, à demain pour la suite de ces chroniques cannoises.

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