Clap de fin sur la Croisette. On connaît désormais les lauréats de cette 68ème édition.
C’est l’heure de la consécration pour Jacques Audiard, qui obtient la très convoitée Palme d’Or, Vincent Lindon, prix d’interprétation masculine après avoir été souvent cité pour des prix prestigieux, souvent nommé aux César, mais jamais récompensé, ou pour Hou Hsiao-hsien qui repart avec un prix de la mise en scène mérité.
C’est aussi l’heure de la  la révélation pour Laszlo Nemes, Grand Prix du Jury pour Le Fils de Saul et Yorgos Lanthimos, Prix du Jury pour The Lobster.
Si l’on ajoute à cela le prix d’interprétation ex-aequo de Rooney Mara (Carol) et Emmanuelle Bercot (Mon Roi), ainsi que le prix du scénario à Chronic de Michel Franco, voilà un palmarès qui n’a rien de honteux. De quoi clouer le bec aux habituels râleurs, qui trouvent chaque année le cru cannois “mineur”, pour ne pas dire “mauvais” ou “minable”. Car d’autres films auraient mérité de figurer au palmarès et ont été oubliés par le jury. On pense au sublime Mountains may depart de Jia Zhang-ke, à l’émouvant Mia Madre de Nanni Moretti, à Youth de Paolo Sorrentino, sacrifiés par les frères Coen et leurs petits camarades. Il faut bien faire des choix…

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La cérémonie en elle-même a alterné de très bons moments, comme ce surprenant ballet sur le cinéma, exécuté par une troupe de danseurs japonais, et les sempiternels babillages des remettants, qui croient bon de nous expliquer à chaque fois l’importance du scénario ou de la mise en scène à l’aide de citations archi-usées ou d’inventaire des précédents lauréats. Il faudrait leur dire que les festivaliers cannois, comme les téléspectateurs qui suivent la remise des prix, ne sont à priori pas des néophytes et qu’ils n’ont pas envie de supporter ces insupportables monologues.

On retiendra surtout l’émotion d’Agnès Varda, récompensée d’une Palme d’honneur pour l’ensemble de sa carrière, cinquante ans après celle reçue par l’homme de sa vie, Jacques Demy, pour Les Parapluies de Cherbourg. C’est à lui qu’elle a pensé au moment où on lui a remis ce prix. Mais c’est bien elle que le festival a célébré, même si, avec humilité, elle semblait s’en étonner. Elle mérite amplement cette récompense. Pilier de la Nouvelle Vague, cinéaste féministe et engagée, elle a participé à tous les combats avec ses propres armes – le cinéma, la poésie et un regard constamment ouvert au monde – et a oeuvré pour la défense d’un cinéma différent, libre et dégagé des contraintes économiques classiques, tout en veillant à la préservation de la filmographie de son mari, trop tôt disparu.
Les festivaliers ont longuement applaudi cette femme admirable, qui a été et reste encore l’une des figures marquantes et attachantes du Cinéma Français.

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On se souviendra aussi la joie d’Emmanuelle Bercot, qui a effectivement vécu quinze jours de bonheur intense. Entre la valorisation de son travail de réalisatrice (La Tête haute, présenté en ouverture du festival), le succès en salles de son film et ce prix qui récompense cette fois son travail d’actrice, on peut dire que l’ascension des célèbres Marches cannoises l’a conduite au firmament.
Vincent Lindon entre lui aussi dans le Panthéon du Cinéma Français. Il était temps… Au vu de son imposante filmographie, il aurait mérité d’être récompensé bien plus tôt.
Il s’est dit profondément attristé de ne pouvoir partager ce bonheur avec ses parents, aujourd’hui décédés. Ses larmes ont bouleversé les festivaliers. Tout comme celles de Stéphane Brizé, dont le beau film a lui aussi été récompensé à travers ce prix.

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Et puis, il y a eu le triomphe de Jacques Audiard. Certaines mauvaises langues estiment que son dernier film ne méritait pas tant d’honneurs, qu’il était bien plus faible que ses oeuvres passées. Dheepan fait pourtant une belle Palme d’Or, et ce n’est que justice qu’Audiard soit enfin sacré sur la Croisette, car on se rappellera qu’une palme “politique” avait été accordée à Michael Hanneke pour son Ruban blanc, soufflant la récompense suprême d’un cheveu – façon de parler vu la coiffure du cinéaste – à Un Prophète.

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il est dommage que cette 68ème édition du Festival de Cannes se soit achevée sur une note négative, avec la projection de La Glace et le Ciel de Luc Jacquet.
En sélectionnant ce documentaire, les sélectionneurs espéraient en mettre plein la vue aux festivaliers, tout en véhiculant un message écologique fort.
Raté, c’est moins un plaidoyer pour la préservation de la planète que la simple biographie de Claude Lorius, climatologue et glaciologue. Le scientifique raconte comment il a fait partie des pionniers partis à la découverte de l’Antarctique. Puis il raconte ses souvenirs de voyages polaires, illustrés d’images d’archives assez laides, granuleuses et rayées. Il faut un long moment avant que l’on en arrive enfin au coeur du film. Lorius a constaté que l’étude des blocs de glace de l’Antarctique pouvait donner de précieuses indications sur les variations climatiques au cours des siècles. Grâce à ses travaux et de savants calculs, il a pu démontrer que jamais, dans l’histoire de la planète, le réchauffement n’a été aussi rapide et brutal qu’aujourd’hui. L’explication est très rapide, et n’insiste pas assez sur les causes concrètes de ce réchauffement climatique et sur les conséquences écologiques possibles.
La dernière partie est encore centrée autour de Claude Lorius et de ses diverses interventions médiatiques. Plutôt que de réfléchir à des solutions concrètes pour limiter le phénomène, le scientifique nous assène des commentaires moralisateurs assez puérils “Je vous l’avais dit! Je l’avais prédit!”.
Luc Jacquet avait séduit avec La Marche de l’Empereur, qui bénéficiait d’images sublimes et était porté par la musique d’Emilie Simon, puis avec la poésie naïve de Le Renard et l’enfant. Il nous avait enchanté avec Il était une forêt, documentaire extrêmement pédagogique sur le cycle de la vie d’une forêt tropicale.
Il nous déçoit avec ce documentaire assez plat, qui semble n’avoir d’autre but que de rendre hommage à Claude Lorius. Un documentaire de 50 mn pour la télévision aurait sûrement suffi…
Le seul intérêt de ce film de clôture est son titre, qui résume bien cette ultime soirée du festival. Le film de Luc Jacquet nous a laissé de glace, alors que la joie des acteurs et cinéastes primés nous a emmené au septième Ciel du septième Art.

A l’année prochaine, on l’espère, pour d’autres chroniques cannoises.

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Rédacteur en chef de Angle[s] de vue, Boustoune est un cinéphile passionné qui fréquente assidument les salles obscures et les festivals depuis plus de vingt ans (rhôô, le vieux...) Il aime tous les genres cinématographiques, mais il a un faible pour le cinéma alternatif, riche et complexe. Autant dire que les oeuvres de David Lynch ou de Peter Greenaway le mettent littéralement en transe, ce qui le fait passer pour un doux dingue vaguement masochiste auprès des gens dit « normaux »… Ah, et il possède aussi un humour assez particulier, ironique et porté sur, aux choix, le calembour foireux ou le bon mot de génie…

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