La programmation d’un festival, c’est une question de logique…
Hier, les arbres de vie poussaient sur la Croisette. Aujourd’hui, un castor vient les ronger.
Le Complexe du castor, c’est le titre du nouveau long-métrage de Jodie Foster, dans lequel Mel Gibson incarne un homme sortant d’une profonde dépression en transférant ce qu’il reste d’instinct de survie et d’envie de refaire surface dans une marionnette de castor en peluche qui ne quitte plus sa main…
Ca fait assez bizarre de voir le héros de Mad Max ou Braveheart discuter avec son castor, prendre sa douche avec lui, lui brosser les quenottes ou se balader dans les rues avec… Ah, c’est dur de vieillir…
Le film, lui, est assez amusant, sans être une réussite majeure. De toute façon, sa sélection est surtout prétexte à faire monter les marches à Jodie Foster et Mel Gibson et d’offrir une parenthèse légère aux festivaliers. Jodie Foster est une cinéaste attachante, et la partie comique est bien menée, mais elle abuse un peu d’effets tire-larmes et de pathos dans la seconde moitié du film,  s’appuyant sur des ressorts dramatiques archi-usés, dont la traditionnelle relation conflictuelle père-fils dont la résolution est très prévisible.

Le Complexe du castor - 2

Parfaite transition pour le premier film en compétition du jour, Pater qui joue aussi sur une relation père-fils, ou du moins père spirituel et disciple.
C’est ce qui s’appelle un film atypique. Alain Cavalier joue lui-même le rôle d’un Président de la République désireux de marquer l’histoire avant de quitter son mandat et de prendre sa retraite politique. Il charge un homme d’affaire idéaliste, joué par Vincent Lindon, de prendre le poste de premier ministre et de mener à terme le vote d’une loi sur le plafonnement des salaires dans les entreprises, pour plus d’équité sociale.
Les deux hommes discutent de politique, d’ambitions, de passage de témoin d’un vieux briscard de la politique à un homme mûr pour lui succéder, presque une relation père-fils… Il raconte cette fiction politique avec de courtes séquences montrant l’évolution des relations entre les deux hommes au fil du temps et du sort réservé à ladite loi, au gré des fluctuations de l’opinion. Dans le même temps, Cavalier filme le tournage de son film et les échanges qu’il peut avoir avec Vincent Lindon, et ces scènes se mêlent elles aussi à la fiction. Il en résulte un objet cinématographique des plus curieux, qui brasse de nombreux thèmes, et donne à réfléchir à l’organisation de notre société.
Je n’attendais pas grand chose de Pater. J’avoue même que c’est le film qui m’inspirait le moins en sélection officielle. En cas de raté, mes jeux de mots foireux étaient tout prêts : “Paterible”, “Un Cavalier tombé pater”. Mais je peux les remballer… Même si le dispositif perd de sa force au fil des minutes, que le bavardage finit par lasser un peu, il s’agit assurément d’un film intéressant, intelligent et subtilement politique, au sens noble du terme. 

Pater - 2

Politique, c’est aussi l’adjectif que l’on pourrait accoler au nouveau long-métrage d’Aki Kaurismäki, Le Havre.
Le cinéaste finlandais traite d’un sujet sensible :le sort réservé aux sans-papiers dans les villes portuaires du nord de la France. Il l’entremêle avec un mélodrame où règnent misère, maladie et spectre de la solitude… Mais il le fait avec son ton si particulier, coloré, poétique, humaniste.
Sa caméra suit un homme âgé qui survit en cirant les chaussures dans les gares ou devant les magasins, mais surtout grâce à la générosité des commerçants du quartier et la bienveillance de sa femme, Arletty, d’origine finlandaise. Un jour, celle-ci est hospitalisée, victime d’une maladie incurable. Au même moment, l’homme tombe nez-à-nez avec un jeune africain arrivé clandestinement au Havre et cherchant à rejoindre sa mère en Angleterre. Il décide de l’aider à échapper à la police des frontières et à franchir la Manche. Sa tâche est rendue difficile par un voisin délateur mais simplifiée par un flic au grand coeur…
Le film prône la générosité et la solidarité entre les hommes, entre les voisins, et sa morale pourrait bien être “aide-toi, aide les autres et le Ciel t’aidera”…
Au départ, il faut accepter le phrasé particulier des acteurs, qui récitent leur texte de façon assez appuyée. Mais très vite, le style de Kaurismäki nous emporte. Sous son regard, la ville du Havre se pare de couleurs chatoyantes et d’éclairages dorés. La misère la plus noire apparaît comme lumineuse, boostée par la chaleur humaine des personnages.
Ce nouveau film ne possède pas la force poétique et l’ampleur de ses plus beaux opus, comme Au loin s’en vont les nuages mais c’est assurément un beau film, délicat et tendre, dans l’esprit des films de Pierre Etaix, qui joue ici un petit rôle…

Le Havre - 2

Si Le Havre sert de décor au film de Kaurismäki, Rio de Janeiro constitue celui de O abismo prateado, le nouveau film de Karim Aïnouz. S’inspirant d’une célèbre chanson de Chico Buarque, “Les Yeux dans les yeux”, le film raconte 24 heures dans la vie de Violeta, une jeune brésilienne plaquée brutalement par son compagnon. Elle va errer dans les rues de Rio et faire des rencontres qui vont l’aider à reprendre le dessus et aller de l’avant.
Le film est intéressant parce qu’il tient uniquement sur la mise en scène et le jeu de la comédienne, Alessandra Negrini. Mais la minceur de l’intrigue – juste centrée sur l’errance de la jeune femme – suscite rapidement un certain ennui…

O abismo proteado - 2

Apparemment, l’autre film présenté à la Quinzaine des réalisateurs, Corpo celeste, a également laissé un sentiment mitigé. Certain ont applaudi à la beauté des images et au ton très particulier du film d’Alice Rohrwacher, d’autres ont fustigé une “oeuvre ennuyeuse à mourir” et “trop mystique”.

La Semaine de la Critique ne présentait qu’un seul film aujourd’hui. Sans doute ont-ils abusé de l’open-bar à la fête de leur cinquantenaire. Et sans doute ont-ils connu un réveil difficile… En tout cas, Konstantin Bojanov a répondu présent pour montrer son Avé, sorte de road-movie façon bulgare, porté par une jeune actrice attachante, Anjela Nedyalkova. Pas vu, mais j’en ai entendu beaucoup de bien de la part de festivaliers aux goûts (relativement) fiables.

Ave - 2

Hors compétition, la journée était un peu plus chargée avec la présentation de The Big fix, enquête documentaire sur les causes réelles de la marée noire du golfe du Mexique, suite aux problèmes sur la plateforme du groupe BP. Et Dias de gracia, thriller mexicain présenté en séance de minuit, qui s’intéresse à la violence qui ravage Mexico. 
J’ai fortement hésité à assister à cette dernière séance de la journée qui m’aurait entraîné presque au bout de la nuit (un film de plus de 2H en séance de minuit, ce n’est pas raisonnable – ou plus de mon âge…). En même temps, le sujet était intéressant. Alors. Oui? Non? Comment décider? Qui appeler pour m’aider à faire ce choix?

Hé bien toc toc badaboum, c’est lui, c’est Bebel qui m’a aidé à choisir. Non, je n’ai pas vu le documentaire qui était consacré à Jean-Paul Belmondo, et qui était présenté hors compétition au théâtre Debussy. Mais l’acteur était bien là pour recevoir sa palme d’or honorifique, malgré une condition physique bien entamée.
Si j’étais méchant, je dirais qu’il a eu du mal à gravir les marches – un festival de canne – et que c’est la raison pour laquelle cette séance-hommage s’est éternisée, faisant commencer la séance suivante avec près de trois quarts d’heures de retard et réglant ainsi définitivement la question de la séance de minuit, désormais inaccessible…
Mais je suis gentil, moi, et puis je respecte ce grand acteur qu’a été Belmondo le magnifique, alors j’avoue que c’est parce qu’il a reçu un accueil triomphal et des salves d’applaudissement sans fin que la séance a pris un retard conséquent.

Belmondo

C’est donc après une loooongue attente que j’ai pu découvrir Tatsumi, le film d’Eric Khoo présenté à Un Certain Regard. Il s’agit d’un film d’animation à l’ancienne, sans 3D ni effets visuels assistés par ordinateur, qui rend hommage à un génie du manga, un des pères de la bande-dessinée japonaise contemporaine : Yoshihiro Tatsumi.
Le film alterne de petites histoires sombres et très “adultes” et des passages biographiques qui expliquent comment l’auteur s’est mis au manga et en est devenu l’un de ses artisans majeurs. Le dessin est intéressant, l’animation est, elle, rudimentaire mais possède un certain charme. Les histoires racontées sont terrifiantes, poignantes, passionnantes. C’est assurément un très bon film, qui ne trahit pas du tout l’artiste dont il s’inspire. Au contraire…

Tatsumi - 2

Une belle façon de boucler l’une des journées les plus intenses du festival. Normal, on a fait plus de la moitié du chemin. Peu à peu, les sections parallèles vont fermer leurs portes (snif) et les plannings de projection vont s’alléger. Mais il reste encore quelques oeuvres à découvrir, avec de belles surprises à la clé – du moins, on l’espère…

A demain, donc, pour la suite de ces chroniques cannoises.

Cannes 2011 affiche 2

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