BorgmanTrois hommes, dont un prêtre hargneux, prennent les armes pour déloger une troupe de frappadingues qui vivent sous la forêt. Pas dans la forêt, mais bien sous la forêt, dans des espèces de terriers qu’ils se sont aménagés. Le chef de cette drôle de communauté, Camiel Borgman, échappe de peu à cette vindicte milicienne et part immédiatement à la recherche d’un autre lieu de résidence, d’un autre terrain de jeu.
Il jette son dévolu sur une petite zone résidentielle, et plus précisément la demeure d’une famille bourgeoise.
Au culot, il sonne à la porte et demande poliment à entrer pour pouvoir prendre un bain. Le chef de famille, Richard, refuse évidemment de laisser un SDF inconnu entrer chez lui et, face à l’insistance de l’intrus, le passe à tabac sous le regard désapprobateur de son épouse, Marina.  Borgman s’éclipse, mais l’incident n’est pas de nature à le faire fuir. Au contraire, il l’inciterait plutôt à s’incruster pour pourrir la vie de cette famille peu charitable. Quand on est capable de vivre sous terre comme un animal, on peut aussi squatter discrètement un abri de jardin ou un pavillon d’été pour les amis…
Rapidement, le type s’installe, et il utilise ses curieux pouvoirs pour semer la zizanie au sein de ce foyer paisible…

Difficile de définir ce film étrange. Il flirte avec les codes de ce qu’on appelle les “home invasion”, ces thrillers horrifiques où des personnages pénètrent de force dans une habitation pour nuire à ses occupants, mais aussi avec les conventions des films fantastiques, Borgman et sa bande ressemblant, au choix,  à une secte sataniste, à des incarnation démoniaques ou des sorciers furibards. C’est aussi une comédie grinçante, pleine d’humour noir. Disons que cela pourrait être une sorte de mix entre Funny games et Rosemary’s baby, version burlesque.

Mais Borgman  est avant tout une fable sociale au ton anarchiste assumé.
Il oppose des personnages marginaux, des “damnés de la terre” – au sens propre, puisqu’on les voit justement sortir du sol – et des bourgeois apparemment bien sous tout rapport, enfermés dans leur petit confort et dans leur monde trop propre pour être honnête.
Les “faibles” vont tout tenter pour s’introduire dans ce jardin d’Eden qui leur était jusqu’alors interdit, le débarrasser de ses mauvaises herbes et replanter de bonnes graines. Cette comparaison n’est pas fortuite : Borgman réussit à se faire employer comme… jardinier dans la résidence.

Borgman - 2

Tout est fait pour que le spectateur prenne fait et cause pour les squatteurs, plus sympathiques en tout cas, que leurs victimes. 
Richard, le chef de famille, est particulièrement ignoble. Il se montre tour à tour violent, lâche, menteur et même raciste – belle séquence où le gang de Borgman envoie un convoi de travailleurs Arabes ou Noirs à l’entretien, pour faciliter l’embauche de leur patron.
Le côté anarchiste des squatteurs est attachant, de prime abord, mais on réalise vite qu’ils ne sont pas non plus des enfants de choeur. Ils n’hésitent pas à tuer des innocents pour arriver à leurs fins, à kidnapper les plus jeunes (les moins contaminés?) à qui ils font subir de curieuses opérations au niveau du dos. Et Borgman manipule les rêves de Marina pour la pousser à haïr son mari…

En fait, il s’agit surtout d’une réflexion sur le Mal, et sur les différentes formes qu’il peut prendre – l’apparence d’un clochard charismatique ou de bourgeois propres sur eux, par exemple.  
En cela, il se rapproche un peu – en plus fun, quand même – de l’Antichrist de Lars Von Trier. On y voit s’opposer la Nature, symbolisée par Borgman et ses complices, qui prennent aussi l’apparence d’animaux, et la civilisation, représentée par la famille bourgeoise.

Constamment surprenant, déroutant, Borgman porte indéniablement la patte d’Alex Van Warmerdam. On y retrouve le style si singulier de l’auteur des Habitants ou de La Robe, ce mélange de satire sociale et d’humour noir, sa poésie étrange. Pas sûr que ce film, qui laisse de nombreuses questions en suspens, ait les faveurs du jury cannois, mais c’est assurément l’un des objets filmiques les plus troublants de cette 66ème édition.

Notre note : ●●●●

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Rédacteur en chef de Angle[s] de vue, Boustoune est un cinéphile passionné qui fréquente assidument les salles obscures et les festivals depuis plus de vingt ans (rhôô, le vieux...) Il aime tous les genres cinématographiques, mais il a un faible pour le cinéma alternatif, riche et complexe. Autant dire que les oeuvres de David Lynch ou de Peter Greenaway le mettent littéralement en transe, ce qui le fait passer pour un doux dingue vaguement masochiste auprès des gens dit « normaux »… Ah, et il possède aussi un humour assez particulier, ironique et porté sur, aux choix, le calembour foireux ou le bon mot de génie…

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