On a un peu honte de ne parler que maintenant de Blanche Nuit, le film de Fabrice Sébille…
C’est vrai, quoi, nous pestons souvent, dans ces colonnes, contre ces comédies françaises formatées sur le même moule, aux gags prémâchés et aux ressorts narratifs rouillés, et on a failli passer à côté de cette comédie-là, atypique, loufoque, fabriquée et distribuée hors des sentiers battus, hors du système cinématographique hexagonal.

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L’oeuvre est difficile à décrire et plus encore à cataloguer, car elle mélange les genres, les influences, dans un bordel savamment organisé.
Blanche nuit, est à la fois une comédie romantique, un manifeste artistique et une parodie de polar qui invoque l’esprit de plusieurs familles comiques. On pense ainsi aux Monty Python, pour le côté absurde jusqu’au-boutiste, aux Fantomas d’André Hunebelle, à Pierre Dac et son “Signé Furax”, aux aventures de Bougret et Charolles dans “La Rubrique-à-brac” de Gotlib et au film que Patrice Leconte en a tiré, Les Vécés étaient fermés de l’intérieur.
On pense également au premier film de Didier Bourdon, Bernard Campan et Pascal Légitimus, Le téléphone sonne toujours deux fois, à l’époque où ils n’étaient pas connus et pas tout à fait Inconnus, et à l’univers décalé de Jérôme Deschamps et Macha Makeïeff, à qui Fabrice Sébille emprunte d’ailleurs deux “Deschiens”, Philippe Duquesne et Atmen Kelif…
Beaucoup de choses, donc, mais qui se mixent en un ensemble cohérent et donnent finalement un film au style singulier, gentiment loufoque et décalé, porté par une troupe de comédiens complices et plus barrés les uns que les autres.

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Le scénario tourne autour d’Arthur (Fabrice Abraham), un jeune homme devenu flic pour pouvoir retrouver la trace de son père (François Berléand), qui, derrière l’anonymat d’un masque rouge et le pseudonyme de “La Malice”, fait tourner en bourrique la police en commettant régulièrement d’audacieux vols d’oeuvres d’art dans les musées parisiens. 
Mais avant de pouvoir coincer son paternel, toujours insaisissable, Arthur est cantonné à des enquêtes moins exaltantes. Son supérieur, l’exubérant Commissaire Moulinette (Pascal Demolon), lui confie une mission d’infiltration au sein du collectif “Poing Noir”, un groupe d’artistes activistes bien décidés à  faire triompher leur idéal social par l’humour et la provocation. Par exemple en commettant un accident un attentat au laxatif dans le popcorn d’un multiplexe (le rêve!).
Arthur se fait donc passer pour un comédien et cherche à entrer en contact avec le collectif. Il va finalement y parvenir par l’intermédiaire d’une belle chanteuse de Jazz, Blanche Rippolin (Delphine Rollin). Mais fréquenter une femme fatale, c’est s’exposer, fatalement, à tomber amoureux, et à remettre en question beaucoup de choses… 

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Cette trame est surtout prétexte à une succession de sketchs délirants, notamment à l’intérieur du commissariat, puisque, pendant qu’Arthur tente de mener à bien sa mission, son collègue Gégé (Philippe Duquesne) reste au poste pour régler les affaires courantes, croisant des personnages plus dingues les uns que les autres et joués par des guest-stars prestigieuse : Bruno Solomone en “éleveur de femmes”, Julie Ferrier en prof d’anglais accusée d’avoir violenté un de ses élèves, Frédéric Bouraly, de la série “Scènes de ménage”, en habitué de la cellule de dégrisement, lors d’un échange très “Deschiens”, Atmen Kelif en derviche tourneur qui ne tourne pas rond…

Mais le script est aussi porteur d’un message “politique”, ou du moins philosophique, sur le rôle de l’artiste dans la société et sur le fossé grandissant entre les productions “mainstream” à gros budget, largement relayées par les média, et les petites productions, qui luttent pour toucher leur public, en marge du système.
Lorsque le jeune flic est chargé d’infiltrer le milieu artistique, on lui donne cette définition du mot “artiste” : “Les artistes se divisent en deux espèces : l’artiste domestique et l’artiste sauvage. C’est le pire! Le premier est là pour amuser la galerie et reste sous contrôle des autorités, tandis que l’autre est là pour emmerder le monde.”. Hé bien Fabrice Sébille et son équipe, le collectif “Un Nouveau Regard”, sont assurément des artistes sauvages. Pas parce qu’ils cherchent à emmerder le monde, non, mais parce qu’ils cherchent à proposer au public autre chose que cet humour formaté et insipide qu’on leur refourgue dans 80% des comédies qui sortent chaque année sur nos écrans.

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Certains détesteront probablement ce genre de comique décalé et absurde, de moins en moins habituel au cinéma, alors que d’autres se bidonneront devant les gesticulations de Pascal Demolon, le délire verbal de Jean-Marie Lecoq, les grimaces d’Arnaud Maillard, la fantaisie des Chiche Capon ou les trouvailles joyeusement crétines comme l’enlèvement de la star du rock Johnny Olida.
Mais, que l’on adhère ou non à cet humour particulier, on ne peut que saluer la formidable énergie qui traverse le film. Une force qui provient autant du bouillonnement créatif déployé à l’écran que de la foi des comédiens en ce projet de long-métrage. On sent un véritable esprit de troupe, une solidarité, une amitié, même, entre les acteurs, entre les techniciens, entre la production et le réalisateur.

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C’est un peu le principe du collectif “Un Nouveau Regard”, association de plus de 200 artistes – acteurs, techniciens de cinéma, réalisateurs, musiciens, saltimbanques au sens large… – qui collaborent les uns avec les autres à de nombreux projets artistiques communs, des expérimentations techniques et à des opérations de diffusion de leur art auprès du public. La force du groupe permet à tout ce petit monde de travailler régulièrement et de progresser ensemble.
Un bel exemple d’entraide dans un monde de plus en plus individualiste, qui donne d’autant plus envie de défendre Blanche nuit

Bon, maintenant, soyons francs, le film de Fabrice Sébille peut difficilement être qualifié de chef d’oeuvre. Il souffre de trop de lacunes et de maladresses. On sent par exemple que le scénario est au départ une idée de court-métrage qui a été étirée pour donner un long. Ses différentes parties forment un ensemble trop distendu pour convaincre totalement, et son dénouement est bien trop rapide. 
Techniquement, les champs-contrechamps sont parfois un peu trop abrupts, et le côté “années 60” des décors aurait mérité d’être un peu plus appuyé, afin de renforcer l’aspect parodique de l’oeuvre, à la manière des OSS 117 de Michel Hazanavicius.
Le réalisateur, très humble, est conscient de ne pas avoir réalisé un grand film, mais ce n’était pas son ambition. Il voulait juste donner vie à ce projet, né de l’envie de réaliser une petite comédie entre copains, pour leur plaisir et celui des spectateurs. Une oeuvre sans prétention, donc.

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Pour autant, Blanche nuit a bénéficié de beaucoup de soin dans sa conception. Pour un premier long-métrage et un aussi petit budget, le film est intéressant, d’un point de vue esthétique, avec ses noirs profonds, ses contrastes forts, ses effets de lumière et son jeu sur la profondeur de champ. On sent bien, derrière cette maîtrise technique toute l’expérience du cinéaste, qui  a longtemps officié comme cadreur avant de passer à la réalisation.
Il faut d’ailleurs rendre à César ce qui lui appartient. On a dit que Rubber était le premier film à avoir utilisé un appareil-photo Canon EOS 7D en guise de caméra. C’est inexact. Le film de Quentin Dupieux est le premier film sorti au cinéma à utiliser ce procédé. Mais officiellement, c’est sur le tournage de Blanche nuit  que cet appareil a été utilisé pour la première fois. Il a juste fallu un peu plus de temps à Fabrice Sébille pour finaliser son projet…
Trois ans exactement. Le tournage qui, pour des raisons d’autorisations et de disponibilité des des acteurs, ne pouvait avoir lieu que la nuit, a été fatigant. Les locaux de tournage ont été prêté par des copains. La post-production a pu être accélérée par l’entrée en piste d’un producteur plein d’enthousiasme pour le projet, Nicolas Lesoult et Les Films de la Butte… Tout ceci explique les quelques imperfections du film et renforce encore cette image de film réalisé à l’énergie, clandestinement, façon commando.

blanche nuit DP

On retrouve aussi cette énergie dans le dossier de presse, très original (cf ci-dessus), et le système de distribution du film. Autoproduit, le film est aussi quasiment auto-distribué, Les films de la Butte assurant aussi ce rôle-là. A cause du nombre important de sorties cinéma ces dernières semaines et de la frilosité des exploitants, il a dû se passer des principaux circuits de salles (UGC, Gaumont, Pathé, MK2) et se contenter de deux copies en circulation à Paris intra-muros (au cinéma La Bastille et Saint-Lazare Pasquier), et un nombre de séances restreint. Ceci ne l’a nullement empêché de continuer son petit bonhomme de chemin et de trouver son public, grâce au bouche-à-oreille et une promo orchestrée par un crieur public et une belle présence sur le web. Et contrairement à d’autres oeuvres sorties la même semaine, Blanche nuit est encore à l’affiche, normalement pour trois semaines supplémentaires à Paris, et ensuite dans plusieurs villes de Province (Lyon, Marseille…).
 
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Pour continuer à promouvoir ce film auxquels ils ont donné beaucoup de leur énergie, les acteurs du films se mobilisent encore, en organisant de temps à autres des rencontres avec le public.
La dernière en date a eu lieu la semaine passée : une soirée ciné-cabaret au cinéma “La Bastille” avec, outre la projection du film et un débat avec l’équipe, un mini-concert de Guillaume Farley, l’un des compositeurs de la musique de Blanche nuit, et quelques extraits en live du one-man show d’Arnaud Maillard, le planton du commissariat dans le film. 3 heures de spectacle pour le prix d’une place de cinéma, dans la joie et la bonne humeur, voilà une opération rentable…
D’après le producteur et le réalisateur, ce dispositif fort sympathique est appelé à être renouvelé au cours des prochaines semaines. On vous recommande donc de surveiller le programme des salles qui projettent le film… Et même si vous n’avez pas l’opportunité d’assister à une de ces soirées “ciné-cabaret”, on vous recommande quand même la découverte de ce petit film, manifeste artistico-rigolard qui prouve qu’une autre voie de financement et de distribution des films est possible dans un monde dominé par des mastodontes de la culture.  

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Blanche Nuit Blanche Nuit
Blanche Nuit

Réalisateur : Fabrice Sébille 
Avec : Delphine Rollin, Fabrice Abraham, Philippe Duquesne, Pascal Demolon, Arnaud Maillard
Origine : France
Genre : nuit gravement à vos zygomatiques
Durée : 1h27
Date de sortie France : 10/04/2013
Note pour ce film : ●●●●○○
Contrepoint critique : Télérama

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