Comment régler efficacement le fléau de la violence qui gangrène de nombreuses villes américaines? Tout simplement en organisant une purge, une nuit par an. Douze heures pendant lesquelles tout un chacun est libre de se défouler en laissant libre cours à ses pulsions violentes, se débarrassant de ses rancoeurs, ses frustrations, ou réglant ses comptes avec ceux qui lui pourrissent la vie.
Une collègue énervante?  Vous pouvez lui faire manger ses dents à coups de batte de baseball, en toute légalité. Un patron trop exigeant? Vous pouvez lui faire sauter le caisson au 357 Magnum sans être inquiété, et lui piquer sa place… Un voisin sans-gêne qui vous inflige le bruit de sa perceuse tous les dimanches? Vrillez lui les tempes à coups de Black & Decker. Les secours ne se déplaceront pas avant le petit matin, dans le meilleur des cas…
Et puis, évidemment, avec toutes ces personnes liquidées en une nuit, le nombre de chômeurs diminue fortement. Il fallait y penser…

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Bon, évidemment, c’est à double tranchant – si on ose s’exprimer ainsi…
Il est plus facile d’adhérer à cette mesure quand on est dans la peau de l’agresseur que dans celle de l’agressé.
Tenez, prenez James Sandin (Ethan Hawke). Il est plutôt pour la purge. Pensez donc, lui vend des systèmes de sécurité pour protéger les villas, alors ses profits augmentent en flèche à chaque fois qu’approche la nuit fatidique. Et il se sent bien protégé, puisque sa famille habite dans une résidence fermée et sécurisée  sur les hauteurs de la ville, avec un voisinage composé de bourgeois très propres sur eux.
Mais quand sa belle villa se retrouve soudainement attaquée, il se demande si cette idée de purge n’est pas un peu dangereuse, tout compte fait…

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Les problèmes commencent quand son fiston, encore suffisamment innocent pour saisir l’absurdité de cette nuit de violence, se laisse gagner par la compassion et laisse entrer dans la maison un homme sur le point d’être lynché.
Ses poursuivants, une bande de jeunes crétins BCBG portant des masques inquiétants, sonnent à la porte et réclament poliment que leur soit restituée leur proie. Faute de quoi ils attaqueront la villa et purgeront leur frustration sur James, sa femme Mary (Lena Headey) et leurs deux enfants.
Cas de conscience : faut-il protéger un homme en danger de mort quitte à se mettre soi-même en danger ou bien le sacrifier et préserver la tranquillité?
James Sandin ne réfléchit pas longtemps. Le fuyard est SDF. Autant dire un type au plus bas de l’échelle sociale, un moins que rien. Il décide donc de livrer l’intrus, malgré les protestations de son fils, sa fille et son épouse, qui se demandent si une telle action est bien morale.
Le hic, c’est que l’individu n’a pas vraiment l’intention d’être jeté en pâture aux jeunes sauvageons. Il a réussi à se cacher quelque part dans la maison et se tient prêt à défendre chèrement sa peau.
Pendant qu’à l’intérieur, la chasse à l’homme commence, les voyous s’impatientent et cherchent un moyen de forcer la sécurité de la villa…

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American Nightmare, le second film de James DeMonaco, utilise des ressorts classiques du sous-genre “Home Invasion”, en faisant référence à des oeuvres comme Panic Room, Les Chiens de paille, Assaut sur le central 13 (dont DeMonaco a écrit le remake en 2005) ou encore une flopée de western reposant sur ce principe du lieu encerclé qu’il va falloir défendre pour survivre.

Le récit est plutôt bien mené, faisant lentement monter le malaise et la tension, et ménageant ses effets pour mieux se concentrer sur les réactions des personnages, dont l’humanité est sérieusement mise à l’épreuve au cours de cette nuit barbare. Ce qui est dommage, c’est que le cinéaste n’exploite pas pleinement le potentiel anxiogène initial de son intrigue.
Au début du film, il joue la carte de l’ambigüité, poussant le spectateur à se demander si le danger, pour la famille Sandin, ne va pas venir de l’intérieur de la maison. La fille aînée ne supporte plus son père, qui l’infantilise et l’empêche de voir son petit-ami, le fils cadet, lui, a un comportement assez énigmatique, un peu replié sur lui-même. De quoi imaginer que ces deux-là pourraient avoir envie de régler leurs comptes avec ces parents qui leur pourrissent la vie… Ou que la femme au foyer modèle qui les élève a peut-être des envies d’émancipation… Après tout, la purge sert à évacuer les rancoeurs, les frustrations, la haine accumulée au cours de l’année… Mais il délaisse rapidement l’idée pour se concentrer sur le schéma plus “politiquement correct” – c’est relatif –  de la famille soudée, prête à affronter les agresseurs.

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Mais cela est sans importance, car on comprend très vite que l’intrigue est surtout prétexte à dénoncer l’hypocrisie de l’Amérique puritaine face à la violence. Les citoyens sont scandalisés quand ils apprennent par le journal télévisé qu’une tuerie a lieu, mais ils s’empressent de stocker des armes à feu chez eux, prêts à canarder le premier intrus venu fouler le sol de leur jardin. Et comme la culture de la peur et la paranoïa sont véhiculées par les média et quelques politiciens peu scrupuleux, cela conduit inévitablement à d’autres tragédies…
James Sandin est persuadé qu’il est un homme bon. Il veille à ce que ses enfants aient une éducation parfaite, gagne de quoi assurer aux siens une vie saine et sûre. Mais, confronté soudainement à une situation imprévue, il réalise qu’il ne vaut pas mieux qu’un autre. Il est lâche, violent, barbare, incapable d’éprouver un minimum de compassion. Un homme en train de perdre son humanité.
Le cinéaste lui impose, ainsi qu’au spectateur, des épreuves à la fois physiques et morales qui lui permettent, in fine, d’ouvrir les yeux et de réaliser l’aberration que constitue la “purge”, malgré la fascination que peut exercer ce déferlement de violence.

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Le film constitue aussi une critique sociale  évidente. Car cette purge annuelle profite surtout à ceux qui ont les moyens de se mettre à l’abri dans des forteresses imprenables, ou qui peuvent acheter des armes lourdes. Les plus pauvres et les plus faibles, eux, ne servent que de chair à canon et se font massacrer sans vergogne par les riches.
Mais n’est-ce pas déjà le cas? Pas physiquement, bien sûr, la “purge” n’étant heureusement qu’une idée de scénariste. Mais les plus faibles se font bien massacrer par les plus puissants, moralement et économiquement. Ils se retrouvent sans ressources, sans logis, sans famille pendant que certains cols blancs s’enrichissent chaque jour un peu plus, au-delà du raisonnable.
Ils étaient déjà au coeur de son premier long-métrage, Little New York, ces perdants magnifiques, prêts à tout pour pouvoir prétendre à une vie meilleure. On sent que le cinéaste est de leur côté et qu’il oeuvre, à sa manière, pour leur rendre cette humanité et cette dignité que les plus forts leur refusent. On sent aussi le mépris qu’il a pour cette bourgeoisie hypocrite, où les gens se jalousent et se haïssent, derrière les sourires de façade. Il lui règle ses comptes de manière assez radicale, à travers l’un des moments les plus jubilatoires du film.

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Oui, jubilatoire. Car ce film, comme la plupart des films d’horreur, a une fonction exutoire, nous permettant de nous libérer de nos pulsions violentes et de nos peurs profondes. Comme “purge”, on n’a pas trouvé mieux. Et c’est quand même plus moral et plus sain qu’une tuerie annuelle, non?

 

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American nightmare American nightmare
The Purge

Réalisateur : James DeMonaco
Avec : Ethan Hawke, Lena Headey, Max Burkholder, Adelaide Kane, Edwin Hodge, Rhys Wakefield
Origine : Etats-Unis
Genre : Home invasion et fable morale
Durée : 1h26
Date de sortie France : 07/08/2013

Note :
Contrepoint critique : TF1 News

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Rédacteur en chef de Angle[s] de vue, Boustoune est un cinéphile passionné qui fréquente assidument les salles obscures et les festivals depuis plus de vingt ans (rhôô, le vieux...) Il aime tous les genres cinématographiques, mais il a un faible pour le cinéma alternatif, riche et complexe. Autant dire que les oeuvres de David Lynch ou de Peter Greenaway le mettent littéralement en transe, ce qui le fait passer pour un doux dingue vaguement masochiste auprès des gens dit « normaux »… Ah, et il possède aussi un humour assez particulier, ironique et porté sur, aux choix, le calembour foireux ou le bon mot de génie…

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