Hasard des calendriers des sorties en salles, White bird repose, comme Gone Girl, sorti mercredi dernier, sur une disparition mystérieuse et le secret qui y est attaché. Celle d’Eve Connor (Eva Green), une “desperate housewife” vivant dans une petite ville de banlieue tranquille. Un jour, elle se volatilise complètement, laissant sa fille Kat (Shailene Woodley) et son mari Brock (Christopher Meloni) complètement désemparés. Au début, ils pensent à une fugue ou à un coup de folie passager. En effet, Eve est mal dans sa peau depuis plusieurs années et a parfois un comportement plutôt erratique. Elle ne peut que revenir bientôt. Mais les jours passent et elle ne donne pas signe de vie. Elle n’a pas emmené d’affaires, n’a pas utilisé sa carte de crédit. Elle a purement et simplement disparu. La police enquête, étudie évidemment l’hypothèse d’un enlèvement ou d’un meurtre, mais elle ne trouve aucune piste valable et aucune trace de la disparue. Affaire classée, sauf bien sûr pour les proches d’Eve.

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Le temps passe, la vie reprend son cours. Kat part suivre des cours à l’université, loin de la ville, et retrouve peu à peu la sérénité. Mais à peine revient-elle dans le domicile familial, durant les vacances scolaires, que ses nuits sont de nouveau hantées par un cauchemar. Toujours le même : Kat est dehors, sous une tempête de neige. Sa mère l’appelle, mais elle a du mal à la voir. C’est comme chercher un oiseau blanc dans le blizzard – titre original du roman de Laura Kasischke dont est tiré le film (1). Et finalement, juste avant de se réveiller, elle la retrouve sous un tas de neige, morte.
Perturbée par ce cauchemar étrange, qui sonne comme un appel à l’aide venu d’Outre-tombe, la jeune fille décide de reprendre les investigations pour comprendre, enfin, ce qui est arrivé à sa mère.

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Comme pour Gone girl, difficile d’en dire trop sans risquer de dévoiler des moments-clés d’une intrigue qui comporte son lot de fausses pistes, de révélations et de rebondissements. Et on ne veut pas gâcher le plaisir de ceux qui aborderont le film au premier degré, portés sur la narration pure. Mais là encore, l’intérêt du film se situe ailleurs que dans l’intrigue criminelle. Pour le cinéaste, elle n’est que prétexte à une variation autour de ses thèmes préférés : les affres de l’adolescence, l’éveil des sens et la recherche de son identité sexuelle, le côté factice du cocon familial où, sous de lisses apparences, macèrent haine, rancoeur, frustration et jalousie.

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C’est aussi et surtout l’occasion de rendre un hommage plus qu’appuyé à David Lynch.
Alors que l’auteur de Mulholland drive s’apprête enfin à repasser derrière la caméra avec la suite, vingt-cinq ans après, de Twin Peaks, Araki nous fait patienter avec cette oeuvre qui multiplie les clins d’oeil à la série-culte des années 1990, à commencer par la présence au générique de Sheryl Lee.
Araki a subtilement décalé l’action du roman de Laura Kasischke de 1986/1989 à 1988/1991. Officiellement parce que les musiques du début des années 1990 l’inspirait plus (la bande-son est, il est vrai, fort appréciable). Mais officieusement pour que l’époque à laquelle se déroule l’action du film coïncide avec celle des évènements de Twin Peaks.
On retrouve la même atmosphère : un rythme lent, pesant, la description d’une petite ville apparemment sans histoires, dont les façades des bâtiments abritent tant bien que mal secrets honteux, perversions, violences et humiliations. Tout oscille entre réalisme sordide et onirisme inquiétant.  Et les personnages sont soit des adultes regrettant leur adolescence, prisonniers d’une routine déprimante, soit des adolescents attirés par le monde mystérieux des adultes, avides de pimenter leur petite vie sans histoires.
Comme Twin Peaks, White Bird est une histoire de deuil, de crime et de châtiment, de secrets et de mensonges.

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On pense aussi, bien sûr, à Blue Velvet, pour la plongée progressive de l’héroïne, pure et innocente, dans un univers fait de vices et de dépravation. Mais les références à l’univers lynchien ne s’arrêtent pas là. Une scène de dîner en famille chez les Connor, absolument glaçante, rappelle un peu celle de Twin Peaks, Fire walk with me chez les Palmer, mais aussi et surtout celle où Henry, le héros de Eraserhead, dîne avec sa belle-famille. Une coïncidence? Pas vraiment, car les plus attentifs des spectateurs remarqueront, au détour d’une scène, l’affiche d’Eraserhead accrochée au mur. Et l’attitude d’Eve Connor, frustrée de sa vie de desperate housewife, dépitée d’avoir sacrifié sa beauté et sa jeunesse pour un homme qui l’insupporte et une fille qu’elle jalouse, correspond aux appréhensions qu’avait le héros de Eraserhead par rapport à l’engagement amoureux, le mariage et la vie de famille…

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White Bird est un film “lynchien”, donc, ce qui n’est pas pour nous déplaire.
Mais c’est aussi une adaptation fidèle du roman de Laura Kasischke, une auteure particulièrement intéressante. Dans ses romans,  elle aime elle aussi à gratter le vernis trop lisse de l’American Way of life, montrant la folie, la perversion, la brutalité de la société américaine et suit le parcours de personnages fantomatiques, cherchant à donner un sens à leur vie dans ce chaos. Cela donne des films magnifiques. On se souvient de La Vie devant ses yeux et de Suspicious river, deux belles réussites, auxquelles il convient d’ajouter White Bird.

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Mais le film a beau être placé sous la double influence de Kasischke et Lynch, il n’en demeure pas moins un film de Gregg Araki. On retrouve pleinement la patte du réalisateur de Mysterious skin et Kaboom dans chacun des plans, dans le rythme de la narration, dans la façon de filmer ses acteurs, dans les thèmes développés… Certes, il s’est un peu calmé par rapport à ses films précédents, et certains le regretteront sans doute. Mais il n’avait pas besoin de sa palette d’effets de mise en scène ostentatoires et de ses habituelles saillies burlesques pour dynamiser un récit déjà fort bien construit. Il s’est contenté de soigner ses cadrages, de glisser subtilement ses références et clins d’oeil et de diriger ses acteurs pour en tirer le meilleur, à commencer par la très douée Shailene Woodley, dont il convient de saluer les choix artistiques, et Eva Green, qui signe ici sa troisième performance marquante de l’année (2).

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La collision des univers de Gregg Araki, Laura Kasischke et David Lynch, trois artistes tourmentés, aurait pu donner une oeuvre outrancière et indigeste. Mais finalement, le chant de ce White Bird est des plus agréables et on lui souhaite de faire son nid sur les plus hautes branches de l’arbre du box-office..

(1) : “Un oiseau blanc dans le blizzard” de Laura Kasischke – coll. Livre de Poche – éd. Lgf
(2) : Elle a sauvé du néant total le calamiteux 300 : Naissance d’un Empire et constitué l’attraction majeure de Sin City : J’ai tué pour elle. Elle est encore plus convaincante ici, dans ce rôle de femme au foyer aigrie et manipulatrice.

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White Bird in a blizzard

Réalisateur : Gregg Araki
Avec : Shailene Woodley, Christopher Meloni, Eva Green, Shiloh Fernandez, Gabourey Sidibe, Sheryl Lee, Angela Bassett
Origine : Etats-Unis
Genre : Laura Kasischke meets David Lynch
Durée : 1h31
date de sortie France : 15/10/2014
Note :
Contrepoint critique : Cinevibe

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