Kjaerlighet affpro[Compétition]

De quoi ça parle ?

D’amour, comme l’indique le titre, Love. Et aussi un peu de sexe, comme dans Sex, du même réalisateur, présenté à La Berlinale, en début d’année. Et d’une certaine façon, de projets de vie, de rêves (a priori) comme dans Dreams qui devrait boucler une trilogie Sex – Love – Dreams prévue pour sortir en  France en février 2025.

Le récit tourne autour des histoires de deux collègues de travail. Marianne (Andrea Bræin Hovig), femme d’une quarantaine d’années, est oncologue dans un hôpital d’Oslo. Tor (Tayo Cittadella Jacobsen) est infirmier dans le même service. Ils sont souvent amenés à faire équipe. Elle pour annoncer aux patients de façon très professionnelle et clinique le mal dont ils sont atteints et leur pronostic de guérison, lui pour les réconforter et veiller à ce qu’ils aient bien assimilé le message.
Après des journées pas toujours faciles, ils leur arrive de discuter un moment, sur d’autres sujets plus personnels, comme leur vie amoureuse. Comme ils sont tous deux célibataires et qu’il semble y avoir entre eux une sorte d’alchimie, en tout cas une belle connivence, on se dit qu’ils sont faits l’un pour l’autre et vivre une belle romance. Tout faux !

Pourquoi on est en “mode Love” avec Kjaerlighet  ?

Si Kjaerlighet (Love) peut avoir parfois des faux airs de comédie romantique à l’américaine, il faut plutôt chercher la comparaison avec les films sentimentaux doux-amers d’un Woody Allen qu’avec toutes ces bluettes que le cinéma hollywoodien peut produire à la pelle. Et encore… Dag Johan Haugerud semble plutôt jouer avec les idées reçues, les stéréotypes, pour mieux les faire voler en éclats.
La romance entre Marianne et Tor ne peut pas du tout fonctionner puisque si la jolie quadragénaire est hétérosexuelle, son collègue est complètement gay. Par ailleurs, leurs conceptions des relations amoureuses sont diamétralement opposées. Marianne veut construire quelque chose de solide et durable, tandis que Tor accumule les “coups d’un soir” et ne veut surtout pas s’attacher à un partenaire.
Leurs discussions sur le sujet ne vont pas les rapprocher mais les idées vont toutefois faire leur chemin et les pousser à s’interroger sur leur mode de fonctionnement, leurs attentes profondes et sur comment ils se sentent justement prisonniers des conventions, des normes, des cases dans lesquelles la société veut les enfermer.

Marianne cherche à se mettre en couple, mais se demande si elle le fait pour combler un véritable manque dans sa vie ou juste pour “rentrer dans le rang”, être en couple pour éviter qu’on lui accole l’étiquette de “vieille fille” ou de “célibattue”. Alors, elle prend le temps de voir si elle veut vraiment entamer une relation  avec Ole (Thomas Gullestad), un homme récemment divorcé que sa meilleure amie, Heidi (Marte Engebrigtsen), essaie de pousser dans ses bras. Et au moment ou elle finit par se laisser convaincre de la possibilité de construire une relation durable, elle a aussi l’occasion d’expérimenter une aventure sans lendemain avec un séduisant inconnu. De quoi la pousser à revoir ses principes.

A l’inverse, Tor commence à s’attacher à un autre homme, Bjorn (Lars Jacob Holm). Au début, il l’a abordé sur un ferry, attiré par la perspective d’une nuit torride avec cet inconnu. Son application de rencontres homosexuelles lui a indiqué que Bjorn avait la même orientation sexuelle que lui et était ouvert aux rencontres. Mais il est surpris de voir Bjorn repousser ses avances. Quand Tor recroise Bjorn un peu plus tard, à l’hôpital, il retente une approche et se met à envisager, pour la première fois, une relation un peu plus durable. Là aussi, il bouscule ses principes. D’autant que sa relation avec Bjorn est moins axée sur le sexe que sur la complicité.

Nous n’avons pas encore vu Sex, mais le cinéaste semble également forcer ses personnages – différents de ceux de Kjaerlighet – à se questionner sur leurs orientations sexuelle, leur genre, sans volonté de les voir changer à tout prix, mais de leur offrir une vision plus vaste que celle dans laquelle ils ont tendance à s’enfermer.
D’une façon plus globale – et à confirmer avec Dreams, sa trilogie devra peut-être vue comme une ode à l’échange de points de vue, au vivre ensemble, à la concertation et la recherche de solutions satisfaisantes et épanouissantes pour tous.
C’est sans doute ce qui explique tous les passages avec Heidi, l’amie de Marianne. Dans la longue séquence introductive du film, elle tente de convaincre un groupe de décideurs de sa vision pour un évènement mettant en valeur l’hôtel de ville d’Oslo. Dans le parcours de visite, composé de plusieurs elle explique comment chaque oeuvre d’art sélectionnée met en lumière des idées progressistes, libérales et la tolérance dont fait preuve la municipalité. Hélas, ces explications ne semblent pas convaincre ses interlocuteurs, qui se demandent si le budget ne serait pas mieux utilisé ailleurs. A moins qu’ils ne pressentent qu’Heidi ne soit finalement pas si ouverte d’esprit que cela, comme on le vérifiera plus tard dans le film.
In fine, elle finira par oublier son concept fumeux pour finaliser un projet plus concret, utile pour les administrés.

On pourrait éventuellement reprocher au cinéaste le même défaut qu’à Heidi, une approche un peu trop intellectuelle du sujet. Aussi intéressant soit-il, Kjaerlighet (Love) manque un peu de chair, de sensualité, ce qui n’aurait pas été incompatible avec son discours sur les choses de l’amour et du sexe.
Mais film séduit par sa simplicité formelle et sa construction intelligente qui permet à chaque personnage d’évoluer, de dévier sensiblement de sa trajectoire programmée. Il peut s’appuyer sur des acteurs quasi inconnus – du moins en France –  mais épatants, une mise en lumière magnifique de Cecilie Semec et une musique envoûtante signée Peder Kjellsby.
On attend de découvrir l’ensemble de la trilogie pour juger de la cohérence de l’ensemble. Mais on peut déjà saluer l’audace du projet et la qualité intrinsèque de ce film-ci, qui mérite tout à fait sa place en compétition officielle à la Mostra de Venise (à la Berlinale, il n’était présenté que dans la section “Panorama”).

Contrepoints critiques :

”Bénéficiant d’un casting remarquable, jouant des nuances de ressenti de chacun des personnages, le scénario, autour de situations simples et des déplacements quotidiens des personnages, permet des face à face entre conception du couple et de la fidélité amoureuse, la manière de chercher la rencontre, par voies de hasards plus ou moins provoqués.”
(Olivier Bachelard – Abus de ciné)

”Un film teorico che riflette sul contemporaneo, sulla fine della coppia canonica ed il piacere di un incontro fugace. Buoni gli assunti, fredda ed un po’ avvilente l’esposizione.”
(“Un film théorique qui réfléchit sur le contemporain, la fin du couple canonique et le plaisir d’une rencontre fugace. De bonnes hypothèses, un exposé froid et un peu décourageant.”)
(Antonio D’Onofrio – Sentieri selvaggi)

Crédits photos : Images fournies par le service presse de La Biennale Cinéma – copyright Motlys – K1

REVIEW OVERVIEW
Note :
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Rédacteur en chef de Angle[s] de vue, Boustoune est un cinéphile passionné qui fréquente assidument les salles obscures et les festivals depuis plus de vingt ans (rhôô, le vieux...) Il aime tous les genres cinématographiques, mais il a un faible pour le cinéma alternatif, riche et complexe. Autant dire que les oeuvres de David Lynch ou de Peter Greenaway le mettent littéralement en transe, ce qui le fait passer pour un doux dingue vaguement masochiste auprès des gens dit « normaux »… Ah, et il possède aussi un humour assez particulier, ironique et porté sur, aux choix, le calembour foireux ou le bon mot de génie…

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