Blonde affpro[Compétition Officielle]

De quoi ça parle ?

De la vie et la mort de Marilyn Monroe, vue uniquement sous un angle sordide et racoleur, en mélangeant faits réels, évènements largement romancés et des éléments fictionnels qui semblent issus des pires gazettes à scandale hollywoodiennes.


Pourquoi on trouve le film un peu trop décoloré ?

”Blonde”, le livre de Joyce Carol Oates, est paraît-il un formidable roman qui s’inspire très librement de la vie de Norma Jean Baker pour arriver à une réflexion plus universelle sur la place de la femme dans la société américaine.
L’adaptation d’Andrew Dominik, elle, se concentre exclusivement sur les malheurs qui ont émaillé la vie de l’actrice. A condition qu’ils aient bien eu lieu sous cette forme, puisqu’il ne nous est jamais clairement précisé qu’il s’agit d’une oeuvre de fiction. Il est vrai qu’à une époque où beaucoup de films indiquent illico “tiré d’une histoire vraie” avant la première scène, ne rien préciser doit induire qu’il s’agit d’une fiction… Mais pas sûr que tous les spectateurs ne prennent pas pour argent comptant certaines “révélations” du film.
Evidemment, tout n’est pas totalement inventé. Bien au contraire. La plupart des éléments sont bien tirés de la biographie de Marilyn Monroe. Norma Jean Baker est bien née de père inconnu, probablement l’un des employeurs de sa mère, Gladys, qui travaillait comme monteuse pour un studio hollywoodienne. Celle-ci a bien été internée en hôpital psychiatrique à intervalles réguliers et ne s’est pas vraiment occupée de sa fille. Norma Jean s’est ensuite fait repérer comme mannequin, avant d’obtenir des petits rôles plus ou moins marquants au cinéma, pour la RKO, avant d’être embauchée par Daryl Zanuck qui en fera une star avec Niagara. Elle a bien connu des mariages malheureux avec le joueur de baseball Joe Di Maggio, puis l’écrivain Arthur Miller et a entretenu une brève liaison avec le Président John Fitzgerald Kennedy avant d’être retrouvée morte, supposément par suicide en 1962. Les extraits de films, retournés pour l’occasion par Andrew Dominik et Ana de Armas, sont aussi des scènes célèbres des films de Marilyn Monroe, comme la scène d’ouverture des Hommes préfèrent les blondes d’Howard Hawks.
En revanche, certains éléments sont plus douteux ou n’appartiennent qu’à l’imagination de la romancière ou des scénaristes.
Mais une fois encore, ce n’est pas gênant à partir du moment où la règle du jeu est claire. Ce n’est pas un biopic de Marilyn Monroe. C’est une oeuvre de fiction qui utilise beaucoup d’éléments réels de sa vie.

Ce qui est intéressant, c’est la description de l’envers du décor de l’industrie hollywoodienne^et du statut de star mondiale. Norma Jean arrive à surmonter une enfance plutôt compliquée mais se retrouve rapidement entraînée dans un autre engrenage infernal, piégée par le personnage de Marilyn. Cela lui permet de se distinguer des autres actrices, mais elle est vite réduite à cette image d’une blonde sexy et naïve, objet de fantasme pour des milliers d’hommes sur la planète. Il lui faut désormais se conformer à ce stéréotype. Elle rêve de jouer des rôles sérieux, comme ses camarades de l’Actors Studio, incarner des personnages des pièces de Tchekhov, qu’elle connaît par coeur, mais les patrons de studio lui imposent uniquement des rôles dans des comédies et des mélodrames pour le grand public, où elle n’a pas grand chose à défendre. Mais les studios ne se contentent pas de régir sa carrière. Ils s’occupent aussi de sa vie privée. Une liaison qui fait “scandale”? On lui conseille d’y mettre un terme. Une grossesse imprévue alors qu’elle doit jouer dans un film à gros budget? On l’incite fortement à avorter… On l’y aide même un peu… Di Maggio, puis Miller arrivent à découvrir Norma Jean derrière le voile de Marilyn. Le premier constate qu’elle est lassée d’être sur le devant de la scène, exposée au regard des média, alors il s’imagine pouvoir construire avec elle une famille. Le second découvre qu’elle est beaucoup plus cultivée et intelligente que ce qu’elle laisse paraître. Mais à chaque fois, Marilyn reprend le dessus, comme une malédiction.

Le problème, c’est que le film n’aborde la vie de l’actrice que sous ce prisme sombre et mélancolique. Le montage elliptique passe d’un drame à un autre, enchaînant déceptions, frustrations, coups durs et dépressions.
Mais le pire, ce sont ces scènes de sexe absolument gratuites qui émaillent le récit : une embauche qui se joue allongée sur un bureau, à subir les va-et-vient de Monsieur Z, un triolisme avec deux jeunes acteurs noctambules, fils de célébrités du 7ème Art ou, top du top, une scène de fellation forcée qui fait voir sous un autre angle le “Happy birthday, Mister President”, un beau moment de vulgarité cinématographique, totalement gratuit. Certains diront probablement que ces scènes servent à dénoncer le sexisme de la société américaine des années 1960 et le système qui permettait aux grands pontes hollywoodiens ou aux politiciens les plus puissants d’abuser de jeunes premières naïves ou d’actrices prêtes à tout pour faire carrière. Mais la façon dont elles sont filmées, plein champ, avec une pointe de voyeurisme malsain, est contre-productif. En ne faisant de Marilyn Monroe qu’une victime de sa propre notoriété et de son sex-appeal, il la réduit une fois de plus à un stéréotype, une image caricaturale. Comme si la star n’était qu’un objet de désir et une femme paumée et dépressive. Il aurait plus intéressant, de notre point de vue, de développer un peu plus ce qui est le plus souvent laissé hors champ : pourquoi et comment Norma Jean a créé ce personnage, comment elle s’est peu à peu laissée enfermer dans cette image, comment elle s’est laissée submerger par son statut de star. Le décalage entre l’image d’une Marilyn, glamour et souriante, étincelante devant les objectifs des photographes, et celle de la femme dépressive après plusieurs échecs conjugaux et plusieurs fausses-couches était fascinant. Andrew Dominik fait le choix de ne montrer qu’un des versants du personnage et passe un peu à côté du sujet. Il ne ressort finalement pas grand chose de ce flot d’images bien léchées, sinon une vague impression de nausée.

C’était peut-être le but recherché. Faire du film une sorte de grand huit déprimant et terrifiant, un grand trip cauchemardesque. Mais à ce moment-là, il aurait fallu l’assumer pleinement, le faire baigner dans une atmosphère encore plus onirique, plus irréelle. Le transformer en un vrai jeu de massacre.
Sur ce créneau, le film d’Andrew Dominik est loin, très loin, de la maestria du Mulholland Drive de David Lynch, qui traitait aussi, à sa façon, de comment l’industrie du rêve peut tourner au cauchemar pour de jeunes actrices naïves. Et il n’a pas le charme vénéneux du Boulevard du Crépuscule de Billy Wilder, avec qui Monroe avait tourné son film le plus acclamé, Certains l’aiment chaud.

Dommage pour Ana de Armas, époustouflante dans le rôle de Marilyn Monroe. On sent que l’actrice s’est bien appropriée le personnage, a étudié sa façon d’être, ses postures, pour livrer une performance inattaquable.
Dommage aussi pour le grand retour d’Andrew Dominik qui montre, par moments, qu’il reste un cinéaste doué, capable de proposer de beaux moments de cinéma. Le film est esthétiquement réussi. Il repose sur de jolis effets de montage qui rendent la narration très fluide et permettent de ne pas s’ennuyer un instant malgré la longueur du récit (2h45). Il contient quelques belles séquences. Par exemple celle, saisissante,où, au début du film, où Norma Jean et sa fille roulent à contre-courant du flux d’automobilistes, fonçant vers l’incendie qui, venu des collines de Hollywood, menace de tout dévaster dans leur quartier. – et de jolis effets de montage, rendant la narration très fluide. Mais il est aussi plombé par des idées de mise en scène plus grotesques – la scène où le foetus avorté de Marilyn se met à lui parler, par exemple – qui, ajoutées aux scènes de sexe complaisantes et à l’angle utilisé pour signer cette adaptation, nous laissent une impression globale plutôt désagréable.


Pronostics pour le palmarès ?

Ana de Armas fait partie des candidates sérieuses à la Coupe Volpi.
Pour le reste, nous ne pensons pas qu’il mérite quoi que ce soit. Mais nous ne faisons pas partie du jury…


Contrepoints critiques

“By turns ravishing, moving and intensely irritating, Blonde is, by the end, all a bit much – in every sense.”
(Leslie Felperin – The Guardian)

”Le réalisateur Andrew Dominik signe un chef-d’œuvre, virtuose, violent et bouleversant.”
(Frédéric Foubert – Première)

”Blonde est un immense film d’horreur et d’horreurs. Ou comment la créature Marilyn, créée par un monde d’hommes monstrueux, a dévoré les chairs et l’âme de Norma Jean. Terrassante expérience formelle où Ana de Armas offre une incarnation qui se passe de mots.”
(@MehdiOmais sur Twitter)

Crédits photos : copyright Netflix – Images fournies par La Biennale Cinema 2022

REVIEW OVERVIEW
Note :
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Rédacteur en chef de Angle[s] de vue, Boustoune est un cinéphile passionné qui fréquente assidument les salles obscures et les festivals depuis plus de vingt ans (rhôô, le vieux...) Il aime tous les genres cinématographiques, mais il a un faible pour le cinéma alternatif, riche et complexe. Autant dire que les oeuvres de David Lynch ou de Peter Greenaway le mettent littéralement en transe, ce qui le fait passer pour un doux dingue vaguement masochiste auprès des gens dit « normaux »… Ah, et il possède aussi un humour assez particulier, ironique et porté sur, aux choix, le calembour foireux ou le bon mot de génie…

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