On arrive à la moitié de cette 72ème Mostra. Les projections s’enchaînent, la fatigue s’installe peu à peu, mais hors de question de relâcher son attention.

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Il fallait en effet être en forme pour tenir les 153 minutes de Rabin, The Last Day d’Amos Gitaï. Ce film-fleuve décortique sous toutes les coutures l’assassinat de Yitzhak Rabin par un sioniste radical, à la fin d’un grand meeting en faveur de la paix entre Israéliens et Palestiniens, le 4 Novembre 1995. Il utilise comme fil conducteur le procès chargé de déterminer toutes les responsabilités dans ce crime politique.
Les débats portent sur les failles de la sécurité, le manque d’organisation du meeting, la présence d’un reporter aux premières loges pour filmer l’attentat, autant d’éléments qui ont alimenté la thèse d’un complot politique. Ils reviennent aussi sur le contexte politique particulier de cette époque, marqué par un déferlement de haine et d’appels au meurtre contre Yitzhak Rabin et Shimon Peres, grands artisans des accords d’Oslo.
C’est cela qui intéresse le plus Amos Gitaï : le climat de haine savamment entretenu par les extrémistes religieux et leurs dogmes imbéciles,  par les sionistes radicaux, par les hommes politiques, avides de grappiller quelques voix en jouant sur le discours ultra-sécuritaire. Un climat délétère qui pourrit les relations entre israéliens et palestiniens depuis des décennies, qui ruine toute tentative pour apporter la paix dans cette région du Monde.
Certains témoignages sont édifiants, comme les vitupérations d’un rabbin intégriste justifiant le meurtre du Premier Ministre israélien ou la démonstration par une psychologue que Rabin était schizophrène. Tous ces individus contribuent à instaurer un climat instable en Israël. Mais c’est surtout Benjamin Netanyahu et le Likoud qui sont ciblés ici. Ils ont contribué à exacerber la haine des radicaux contre Yitzhak Rabin non par conviction, mais à de seules fins électorales, sans penser aux conséquences de leurs discours.
Le sujet est passionnant, mais la construction du film est nettement moins séduisante puisqu’elle repose quasi-exclusivement sur ces scènes de procès, juste entrecoupées d’images d’archives, de deux interviews de Shimon Peres et de Leah Rabin et d’une longue parenthèse où Gitaï se fait plaisir avec sa caméra, offrant un plan-séquence bien inutile.
On préfère néanmoins ce nouveau long-métrage, formellement plus classique, à son expérimental Tsili, présenté l’an passé sur le Lido. Les festivaliers semblent être de notre avis, puisque le film a été très bien accueilli par les critiques et le public.

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The Endless River, l’autre film en compétition du jour,  n’a pas eu cette chance. Il a été copieusement sifflé et hué lors de ses projections officielles et semble avoir été rejeté massivement par les festivaliers. On se demande bien pourquoi, car le film d’Oliver Hermanus est loin d’être une purge…
Sans doute les spectateurs ont-ils été frustrés car ils s’attendaient à tout autre chose. Le film s’ouvre sur un générique à l’ancienne, évoquant les grands westerns hollywoodiens. On se dit qu’on va alors assister à une sorte de variante moderne, situé dans les grands espaces d’Afrique du Sud. Mais rapidement, le film s’inscrit plutôt dans une logique de film noir et de thriller. Sauf que le cinéaste laisse hors champ tout ce qui pourrait être spectaculaire, adopte un rythme très lent, multiplie les séquences de dialogues entrecoupées de longs silence. C’est évidemment frustrant pour qui est habitué à des thrillers sanglants, menés sur un train d’enfer, mais ce n’est toujours pas ce qui intéresse le cinéaste.
The Endless River, c’est avant tout la rencontre de deux solitudes, un français expatrié en Afrique du Sud et dont la famille a été sauvagement assassinée (Nicolas Duvauchelle) et une serveuse, marié à un voyou multipliant les séjours en prison (Crystal Donna-Roberts). Ils sont unis par le même drame et le même désarroi. Ils envisagent donc un futur en commun, loin de cette ville où ils ont tout perdu. Mais leurs échanges sont empreint d’une grande douleur, d’une souffrance impossible à effacer. Le vrai suspense du film est de savoir s’ils vont réussir à surmonter cette douleur et continuer à avancer.
C’est sous cet angle qu’il faut appréhender le film, l’histoire d’une romance impossible, d’une relation complexe et tourmentée, racontée avec un minimum d’effets dramatiques et d’enjeux scénaristiques mais privilégiant la mise en place d’une ambiance particulière, aussi grise que l’humeur des personnages.
On peut reprocher au cinéaste ces partis-pris esthétiques, sa direction d’acteurs encore immature, mais il a au moins le mérite de proposer quelque chose d’atypique, prenant le contrepied des films de genre classiques et retrouvant, par certains côtés, la densité psychologique de certains grands films hollywoodiens des années 1950.

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Le public a sifflé The Endless River mais, allez comprendre, a encensé Non essere cattivo de Claudio Caligari…
Sans doute s’agissait-il d’une forme d’hommage à ce cinéaste, décédé en mai dernier, qui avait séduit l’Italie avec son premier film, Toxic Love. Sinon, cet engouement est difficilement compréhensible. Le film n’est pas mauvais, loin de là, mais il n’est pas d’une originalité folle. Il raconte l’errance de deux amis d’enfance dans la ville d’Ostie, deux petits voyous à la croisée des chemins, hésitant entre l’argent facile issu du trafic de drogue et une vie rangée, avec un travail légal, une maison et une famille. On devine dès le début la façon dont le film va se terminer et, hormis une ou deux scènes surprenantes, toutes les péripéties que vont devoir traverser les deux personnages. La mise en scène, bien que très appliquée, manque cruellement d’une patte artistique singulière, d’un style qui pourrait dynamiser ce récit convenu. Seuls les deux acteurs principaux, Luca Marinelli et Alessandro Borghi, apportent un peu de fraîcheur à l’ensemble et parviennent à hisser le film au-dessus de la moyenne.

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Mêmes qualités, même défauts, pour La Memoria del agua du chilien Matias Bize, présenté dans la section Giornate degli autori. Le scénario, prévisible, tourne autour d’un couple qui se sépare suite à la perte d’un enfant. Sur le papier, ce n’est pas la joie et à l’écran, ce n’est guère mieux. Hormis le jeu assez sobre des acteurs, Benjamin Vicuna et Elena Anaya, il n’y a pas grand chose à sauver de ce mélodrame ultra-conventionnel, qui utilise tous les clichés du genre et s’appuie sur une musique horripilante, surlignant inutilement les séquences dramatiques.

Nous aurions mieux fait d’aller voir Wednesday, May 9 de l’iranien Vahid Jalilvand (Orizzonti), dont les échos sont plutôt positifs, ou Madame Courage, le nouveau Merzouak Allouache (Orizzonti). ou encore Viva la sposa de Ascanio Celestini, qu’on nous a présenté comme une comédie “à la Podalydès”.
Mais c’est le jeu des grands festivals de cinéma. Les films étant tous inédits, c’est une découverte totale à chaque projection. Parfois, on peut avoir de bonnes surprises et parfois, on tombe sur des films sans intérêt… Tant que la balance penche du côté des bons films, tout va bien!

A demain pour la suite de ces chroniques vénitiennes.

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