Après Birdman, visite virtuose des coulisses d’un théâtre newyorkais et plongée dans l’univers mental d’un acteur en quête de reconnaissance artistique, Alejandro Gonzalez Iñarritu change radicalement d’environnement et d’époque. Avec The Revenant, adaptation d’un roman de Michael Punke (1), il troque le huis-clos urbain contre les grands espaces sauvages du Dakota du Nord, au début du XIXème siècle. Il délaisse les joutes verbales entre artistes et critiques de théâtres pour les affrontement, plus physiques, entre des trappeurs et des indiens… ou des grizzlis. Enfin, il passe d’une oeuvre purement cérébrale, reflet de l’état psychologique d’un artiste tourmenté, à un récit beaucoup plus viscéral, éprouvant physiquement. Mais il maintient le même niveau d’exigence artistique et technique pour livrer une nouvelle démonstration de mise en scène et happer de bout en bout le spectateur dans son récit.

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Le cinéaste frappe fort d’entrée, avec un plan-séquence étourdissant, qui décrit l’attaque d’un camp de trappeurs par des Arikaras. Les spectateurs sont plongés dans l’action, au coeur de ce massacre. Les indiens sont silencieux et rapides et font d’autant plus mal que les chasseurs n’avaient pas anticipé cette embuscade.  Les lances et les hachettes transpercent les chairs, les “visages pales” tombent les uns après les autres. On ressent viscéralement la violence de l’assaut, la sauvagerie des affrontements, l’effroi des uns et la froide détermination des autres… L’entrée en matière est âpre, mais d’une efficacité redoutable.

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Passée cette audacieuse séquence d’introduction, le cinéaste s’intéresse au petit groupe qui a réussi à rejoindre le bateau et fuir les Arikaras. Les infortunés  trappeurs ne sont pas vraiment à l’abri dans cette embarcation exposée aux flèches indiennes. Deux des membres, Hugh Glass (Leonardo Di Caprio) et son fils Hawk, un métis indien, conseille à leurs camarades de poursuivre à pied, par la forêt. Ceci lui attire aussitôt l’inimitié de John Fitzgerald (Tom Hardy), partisan de poursuivre par la voie fluviale. Le chef d’expédition, Andrew Henry (Domhnall Gleeson), décide de faire confiance à Glass et les trappeurs s’enfoncent dans la forêt. Le soir, alors que l’expédition installe son campement, Glass a la malchance de tomber sur une femelle  grizzly et ses deux oursons. L’ourse l’attaque pour protéger ses petits et le combat est encore plus brutal que l’assaut des Arikaras. Glass réussit à tuer le grizzly, mais subit également de graves blessures, notamment une vilaine plaie à la gorge. Il se fait soigner avec les moyens du bord, mais est trop faible pour continuer à avancer. Henry estime que Glass ne pourra probablement pas survivre à ses blessures, et le groupe a besoin de se hâter pour rejoindre Fort Kiowa, situé à 300 km de là, avant que les conditions météorologiques ne deviennent trop rudes. Il décide de continuer à avancer et laisse à Hawk, Fitzgerald et Jim Bridger, un jeune trappeur, veiller sur Glass jusqu’à son décès, et lui offrir une sépulture décente. Mais Fitzgerald, pressé de rentrer au Fort toucher sa prime, décide d’accélérer les choses…
Glass, enterré vivant, est laissé pour mort. Mais il parvient à sortir de son trou et se remet en route, malgré ses blessures, animé par un inextinguible désir de vengeance.

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A partir de là, la caméra ne quitte quasiment plus le personnage, qui lutte pour survivre dans ce milieu hostile. Il doit ramper dans la boue, escalader des rochers, nager dans de l’eau glacée, malgré des blessures encore à vif et menaçant de s’infecter, malgré la faim qui le tiraille, malgré la peur de tomber à nouveau sur des bêtes sauvages ou des indiens tout aussi féroces. Grâce à la mise en scène d’Iñarritu, qui, entre deux plans séquences et mouvements de caméra insensés, parvient à communiquer la durée et la pénibilité de ce trajet, mais aussi à la performance d’acteur très physique de Leonardo Di Caprio, que le cinéaste a placé dans les mêmes conditions extrêmes que son personnage, le spectateur est forcé de s’identifier à Glass et d’éprouver les mêmes sensations. The Revenant est moins un western qu’un survival, éprouvant et viscéral, se rapprochant du Convoi sauvage de Richard Sarafian, vaguement inspiré de la même histoire.

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Mais le film d’Alejandro Gonzalez Iñarritu ne se résume pas qu’à cela. Au fil des minutes se dessine une réflexion sur la nature humaine, sur ce qui fait sa fragilité et sa grandeur. Si l’homme est supposé être un animal doté de raison et civilisé, cela ne se voit plus guère dans cet ouest inexploré, sauvage et hostile, qui pousse les personnages à céder à leurs instincts primaires et à réagir égoïstement, à l’instar du personnage incarné par Tom Hardy. Les personnages ont tous été confrontés à la barbarie. Glass a vu sa femme, indienne, massacrée par les colons blancs, au nom de la “civilisation” et son fils, métis, subit la xénophobie ambiante. Fitzgerald, lui, déteste les indiens depuis qu’il a manqué d’être scalpé par les guerriers d’une tribu. Difficile de vivre en paix dans cet environnement fait de haine et de peur de l’autre…  La foi religieuse est elle-même sérieusement ébranlée, comme l’indique cette séquence onirique où Glass tombe sur les ruines d’une église, perdue au milieu de nulle part.
Pourtant, il y a encore quelques éclairs d’humanité pour raviver notre foi en l’humanité.  Quelques hommes sont capables d’un brin de compassion, comme cet indien Pawnee qui partage son feu de camp et son repas avec Glass, par une nuit glaciale, ou d’un minimum de considération pour l’être humain, comme Jim Bridger, hanté par les remords d’avoir laissé derrière lui son camarade trappeur.

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Glass lui-même est amené à s’interroger sur les notions de bien et de mal, sur le bien-fondé de sa quête vengeresse. Son voyage est aussi bien physique que spirituel. Elevé probablement dans la religion catholique, Glass a ensuite vécu auprès des indiens Pawnees et a adopté une partie de leurs croyances, notamment au lien entre les esprits et la nature. Ce long trajet à pied, où il se confronté à des éléments naturels déchaînés, lui rappelle à la fois son côté dérisoire dans l’univers et son essence divine. Et sa colère et sa soif de vengeance sont peu à peu mises à l’épreuve de ses reliquats de valeurs chrétiennes.
La grandeur de l’âme humaine se traduit aussi par une force vitale, un instinct de survie hors du commun et surtout, une force mentale hors normes. Pour s’en sortir, Glass utilise non seulement sa volonté, mais aussi son intelligence. Il réussit à se tirer de mauvais pas par la ruse ou l’ingéniosité, par sa connaissance du milieu qui l’entoure et sa faculté à s’adapter. Il met en valeur ce qui distingue l’homme de la bête sauvage.

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L’intelligence, c’est aussi ce qui distingue le grand cinéaste du vulgaire tâcheron hollywoodien. Iñarritu, n’en déplaise à ses détracteurs, est un grand cinéaste et il le démontre avec cette réalisation, brillante et inspirée. Chaque plan, parfaitement pensé, vient alimenter l’ensemble pour en faire une grande fresque humaniste, une aventure dans les méandres de l’âme humaine, en même temps qu’un superbe morceau de cinéma. Et que dire de la photographie d’Emmanuel Lubezki, sublime, qui cisèle les images comme autant de tableaux de maîtres, jouant à merveille sur les ombres et la lumière. Même ceux qui n’adhèrent pas à l’intrigue de The Revenant ou au style d’Alejandro Gonzalez Iñarritu concèdent que le travail du chef opérateur mexicain sera probablement l’un des plus aboutis de l’année 2016. C’est d’autant plus remarquable que le film a entièrement été tourné en lumière naturelle ! Ce défi technique a évidemment pesé sur la durée de tournage, puisque la lumière optimale n’était disponible que quelques heures par jour. L’équipe technique comme les acteurs ont ainsi été mobilisés pendant neuf mois, dans des conditions climatiques aussi difficiles pour eux que pour les personnages. L’accouchement a été difficile. Des tensions sont apparues entre le cinéaste et certains des membres de son équipe, occasionnant démissions et licenciements. Cela ne fait que renforcer le mérite de ceux qui ont tenu le choc, à commencer par Leonardo Di Caprio. Si l’acteur américain n’obtient pas l’Oscar pour cette performance là, autant dire qu’il ne le gagnera jamais…

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Folle aventure sur le tournage comme à l’écran, petit bijou de mise en scène, avec ses plans-séquences monstrueux et ses images fascinantes de beauté, morceau de bravoure narratif porté par des performances d’acteurs hallucinantes, The Revenant s’impose d’ores et déjà comme l’un des sommets de l’année cinématographique 2016, à découvrir absolument.

(1) : “Le Revenant” de Michael Punke – ed. Presses de la Cité


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The Revenant
Réalisateur : Alejandro Gonzalez Iñarritu
Avec : Leonardo Di Caprio, Tom Hardy, Domhnall Gleeson, Will Poulter,  Paul Anderson Forrest Goodluck
Origine : Etats-Unis
Genre : morceau de bravoure virtuose
Durée : 2h36
date de sortie France : 24/02/2016
Contrepoint critique : Alter1fo


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