Le générique de début et l’esthétique générale de The Killer inside me – clairs-obscurs maîtrisés et couleurs saturées, un peu veloutées, comme aux plus belles heures du technicolor – évoque les chefs d’oeuvre du film noir des années 1940-1950. Chic ! On s’attend donc à plonger avec délice dans une de ces histoires classiques où un antihéros est pris dans un engrenage de violence et de mort qui le dépasse…

The Killer inside me - 2

Oui, quand Lou Ford (Casey Affleck),  jeune shérif adjoint d’une petite ville du Texas assez tranquille, reçoit pour mission d’aller prier une prostituée, Joyce Lakeland (Jessica Alba) d’aller louer ses charmes ailleurs, on se dit que la demoiselle, tentatrice sexy aux allures de femme fatale, va bien réussir à l’en dissuader, voire même le manipuler pour qu’il commette un crime quelconque…

Sauf que cela ne va pas vraiment se passer comme ça dans cette adaptation du roman de Jim Thompson (1)(2)…

Déjà, si Lou entame bien une liaison sulfureuse avec la prostituée, elle prend un tour plutôt inhabituel pour les textes de l’époque…
La rencontre avec Joyce réveille en effet chez ce jeune flic, en apparence innocent et vertueux, des instincts sadiques insoupçonnés. Et la jeune femme semble consentir à accueillir cette violence, cédant à de troublantes pulsions masochistes.et elle des pulsions masochistes…
Chauds, les marrons ! Chauds!
Evidemment, le couple diabolique trame bien un acte crapuleux pour pouvoir quitter ce bled paumé et démarrer une nouvelle vie ailleurs. Une tentative de chantage sur le fils d’un riche industriel local, également amoureux de Joyce.
Mais, au moment de mettre le plan à exécution, Lou pète les plombs. Il assassine le bonhomme, et célèbre cela en tabassant à mort sa complice.  Du sado-masochisme assez extrême, quand même…
Joy a fait plus que réveiller en lui des instincts violents, elle l’a aidé à révéler sa vraie nature. Derrière son apparence benoîte et son physique de gendre idéal, Lou est un salaud intégral, un type manipulateur, violent, impitoyable, pourri jusqu’à la moëlle, un tueur dans l’âme…

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A partir de ce moment-là, le doute planera toujours sur les motivations de Lou et son comportement criminel. A-t-il prémédité l’assassinat du fils de l’industriel pour assouvir une vengeance personnelle, liée à vieille affaire ou bien a-t-il agit sur un coup de tête, improvisant ce double meurtre ? Et quand il tuera plusieurs personnes par la suite, le fera-t-il pour se protéger, éviter que son secret ne soit révélé, ou par plaisir sadique ?
Ce qui est sûr, c’est qu’il parvient à tuer de sang-froid, sans aucune pitié pour ses victimes, avec un calme et un méthodisme dignes des plus terrifiants tueurs en série, et qu’il parvient à peu près à conserver cet aspect de “gentil” flic, un peu lent, un rien neuneu, à qui on donnerait le Bon Dieu sans confession.
Un tour de passe-passe d’autant plus saisissant que le personnage arrive aussi à gagner notre sympathie, à faire de nous les témoins complices de ses basses oeuvres. Il nous fascine et nous charme comme il arrive à manipuler les femmes qui l’entourent, au point de les rendre parfaitement dociles, prêtes à accepter sa sauvagerie…

Peut-être, à l’instar de Joyce ou d’Amy (Kate Hudson), la petite amie “officielle” de Lou, possédons-nous aussi une part d’ombre, un côté masochiste, une fascination pour la violence? A moins que nous ne compatissions au destin tragique de ce personnage sociopathe, qui s’ingénie à bousiller sa vie autant que celle des autres ?
Car Lou aurait très bien pu être heureux, auprès d’Amy,  sa fiancée sage, totalement amoureuse de lui, prête à construire sa vie avec lui et lui apporter un certain équilibre, une stabilité, ou bien auprès de Joyce, seule capable de comprendre et d’accepter pleinement sa nature sadique, prête, elle aussi, à tout donner pour vivre avec lui… Mais, à chaque fois que la possibilité de connaître vie “normale” et félicité se rapproche, Lou fait tout pour les éviter… Il se réfugie alors derrière ses instincts violents et criminels…
Le bonhomme est tout simplement inapte au bonheur.

Le film, contrairement au roman, ne donne pas vraiment d’explications à ce comportement pathologique. Jim Thompson avait explicitement laissé entendre que c’est parce qu’il a été violé par son père quand il était enfant que Lou ne tourne pas rond, qu’il s’est forgé ce rapport violent à la sexualité et à l’amour…
Michael Winterbottom a supprimé toute cette partie explicative qui aurait peut-être été trop lourde à l’écran. De toute façon, il n’avait pas besoin de ça pour nous permettre de nous attacher au personnage, malgré sa nature profondément viciée…

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Il faut dire qu’il peut s’appuyer sur la performance remarquable de Casey Affleck.
On le savait déjà très à l’aise en héros de film noir poisseux – chez son frangin Ben, dans Gone baby, gone, il prouve ici qu’il peut être tout aussi convaincant de l’autre côté de la barrière, dans le registre du criminel psychopathe sadique. Gueule d’ange et regards fous, sourires charmeurs et rictus machiavéliques, il inscrit ce rôle au panthéon des tueurs les plus marquants.

Et, par ricochet, la justesse de son jeu semble aussi avoir gagné ses partenaires :
Jessica Alba, loin des rôles de bimbos que Hollywood s’entête à lui faire jouer, est ici troublante d’érotisme toxique, diablesse tentatrice qui réveille les plus vils penchants du héros mais aussi et aussi et surtout première victime de ce geyser de violence qu’elle a libéré.
Si la scène de l’assassinat de Joyce est aussi glaçante, elle le doit en grande partie à la performance de l’actrice, qui parvient à faire ressentir le choc de la surprise autant que la violence des coups encaissés, tout en gardant dans le regard cette petite flamme troublante qui laisse supposer qu’elle se résigne à son destin tragique, qu’elle est presque une victime consentante ou pire, qu’elle prend du plaisir aux coups reçus ! C’est ce qu’on appelle une performance physique !

Même Kate Hudson, souvent si fade (ou si mal exploitée) prend ici une certaine épaisseur, incarnant une fausse oie blanche, un personnage plus complexe qu’il n’y paraît…
Le reste du casting est à l’avenant : Bill Pullman, Elias Koteas, Ned Beatty, Simon Baker ou Tom Bower assurent le métier avec talent.

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Grâce à eux, Michael Winterbottom peut se concentrer sur sa mise en scène, brute, nerveuse, percutante, dans la grande tradition des polars de l’âge d’or hollywoodien, dans les années 1940/1950. Le cinéaste britannique possède la particularité rare d’être capable de s’adapter à tous les genres – il tente d’ailleurs de toucher à tout, changeant à chaque film radicalement de registre, du western au drame intimiste, du documentaire au film érotique… – et il épouse ici sans aucun problème les conventions du film noir, avec un plaisir évident.

Seul bémol, inhérent à cet éclectisme et cette mise en scène “passe-partout”, Winterbottom livre des exercices de style intéressants, mais peine à imposer sa propre griffe ou ses propres thématiques.
C’est encore un peu le cas ici, même si le brio de la réalisation empêche de trop gamberger et que le personnage principal, qui affronte ses propres limites morales, fait écho à d’autres personnages des films du cinéaste. Il manque juste un petit quelque chose qui permettrait à l’oeuvre de passer du statut de “bon film” à celui de “grand film”….

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Cela dit, ne boudons pas notre “plaisir”, si on peut vraiment parler de plaisir pour un film aussi âpre… The Killer inside me, très bon film noir, porté par un casting excellent et une mise en scène efficace, vaut bien mieux que la polémique qui a entouré ses projections aux festivals de Sundance et de Berlin, où il a rebuté par sa violence et a été taxé de film “misogyne”.
Egalement présenté au Festival du film policier de Beaune, il y a gagné le prix de la critique.
Alors si la violence ne vous fait pas tourner de l’oeil, si vous aimez le genre “noir” en général et l’univers sombre des romans de Jim Thompson en particulier, vous apprécierez probablement cette adaptation très fidèle au texte original…

(1): “Le démon dans ma peau” de Jim Thompson – coll. Folio Policier -éd. Gallimard
(2) : une adaptation avait déjà été tirée de ce roman : Ordure de flic de Burt Kennedy, avec Stacy Keach. The Killer inside me n’en est pas le remake, Winterbottom n’ayant pas vu ce film avant de réaliser le sien…

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The Killer inside me The Killer inside me
The Killer inside me

Réalisateur : Michael Winterbottom
Avec : Casey Affleck, Jessica Alba, Kate Hudson, Bill Pullman, Elias Koteas, Ned Beatty, Simon Baker
Origine : Etats-Unis, Royaume-Uni
Genre : noir corsé
Durée : 2h00
Date de sortie France : 11/08/201

Note pour ce film :

contrepoints critique chez :  Laterna Magica
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