The immigrant - aff proDécidément, James Gray est le plus slave des cinéastes américains…
Son premier film avait pour décor Brighton Beach, un quartier new-yorkais dont beaucoup d’habitants sont d’origine russe, et surnommé Little Odessa. Comme son troisième long-métrage, La Nuit nous appartient, polar articulé autour de la rivalité entre deux frères.
Selon l’aveu même du cinéaste,  The Yards, puisait son inspiration dans différentes cultures, asiatique (le Rashomon de Kurosawa), italo-américaine (Le Parrain, de Coppola) et… russe, en empruntant son atmosphère et sa puissance dramatique à l’école du roman russe.
Two lovers était directement inspiré de Dostoïevski et du roman “Les Nuits blanches”.
Dans the Immigrant, son nouveau film, il aborde encore des thèmes très “dostoïevskiens”, autour des notions de crime et de châtiment, de morale et de survie, et raconte le parcours de personnages quittant l’Europe de l’Est pour s’installer aux Etats-Unis, après la première Guerre Mondiale.

L’intrigue se déroule à New-York, au début des années 1920. Ewa (Marion Cotillard) et Magda (Angela Sarafyan), deux jeunes polonaises, arrivent à Ellis Island, point de passage obligé pour entrer sur le sol américain. Elles espèrent pouvoir y démarrer une nouvelle vie, loin de l’instabilité qui règne dans leur pays, à cause des tensions communautaires et des conflits avec le voisin soviétique. Elles doivent retrouver leur tante et son mari, déjà installés depuis quelques mois dans le Lower East Side de New York.
Mais Magda souffre de tuberculose et est immédiatement placée en quarantaine, en attendant son ordre d’expulsion, et Ewa, qui suite à un incident pendant la traversée, a été cataloguée comme une fille de petite vertu, se voit également refuser l’accès au sol américain.
Désemparée, elle accepte l’aide de Bruno (Joaquin Phoenix), qui réussit à empêcher son expulsion et lui offre l’hospitalité. Mais l’homme est en fait un souteneur sans scrupules, qui la pousse à se prostituer pour gagner sa vie et rassembler le pot-de-vin nécessaire pour faire sortir sa soeur d’Ellis Island.
Un autre gentleman, attiré par la beauté d’Ewa, se propose de l’aider. Il s’agit d’Orlando (Jeremy Renner), le cousin de Bruno. Son intervention ravive d’anciennes querelles opposant les deux hommes…

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Ce récit, permet à James Gray de rendre hommage, d’une certaine façon, à ses grands-parents, qui ont quitté la Russie à la même époque, pendant la guerre civile, et qui ont dû eux aussi passer par Ellis Island avant de pouvoir pénétrer sur le sol américain. Il permet aussi et surtout au cinéaste de greffer ses obsessions habituelles – le triangle amoureux, les liens familiaux, les questionnements moraux, la vie en marge de la société, … – sur une trame de mélodrame classique, mais  traitée avec délicatesse et sobriété,  loin des effets tire-larmes habituellement utilisés par le cinéma hollywoodien.
Two lovers, déjà, privilégiait cette approche intimiste, tout en retenue. The Immigrant va encore plus loin, Gray s’appliquant à lisser au maximum les contours de son intrigue, refusant tout pathos et cadenassant l’émotion jusqu’au dénouement, de façon à rendre encore plus belle, plus déchirante sa scène finale, point d’orgue du film.
Certains s’en agaceront probablement, mais le parti pris de mise en scène est audacieux et le résultat, brillant.

En procédant ainsi, le cinéaste permet surtout aux acteurs de travailler différemment, de jouer plus sur de petits détails, par la gestuelle ou les regards. Et la méthode semble porter ses fruits : ils sont tous très bons. Cela dit, ce n’est pas vraiment une surprise…
Joaquin Phoenix n’a jamais été aussi bon que sous la direction de James Gray et il trouve en Bruno Weiss un personnage formidable, mi-ange mi-démon, oscillant toujours entre le salaud fini, sans scrupules ni morale, et le bon samaritain en quête de rédemption. De son côté, Marion Cotillard répond de la plus belle des manières à ses détracteurs, et à tous ceux qui critiquaient son jeu d’actrice – à juste titre, il est vrai – dans le Dark Knight rises de Christopher Nolan – argh!. On sent qu’ici, elle a énormément travaillé son personnage, tant au niveau du phrasé – un anglais teinté d’un force accent polonais et une pointe d’accent allemand, son personnage étant originaire de Silésie, une région à la frontière entre la Pologne et l’Allemagne – que des postures, de la démarche du personnage. Et bien sûr, elle tire profit de son point fort, cette capacité à faire passer l’émotion par le regard, très simplement. C’est cela que voulait James Gray, qui a l’intelligence de la filmer au plus près, afin de capter toutes les nuances de son jeu d’actrice, avec une précision extrême.
Pour le troisième larron, Orlando, le cinéaste a misé sur Jeremy Renner. Il s’appuie sur le charme particulier de l’acteur, qui possède à la fois beaucoup d’élégance et une certaine rudesse, une intensité physique. et le résultat, à l’écran, est plutôt convaincant. L’acteur tient son rang, même s’il doit composer avec un personnage un peu plus faible que ses deux camarades.

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Cette différence de traitement entre les deux protagonistes masculins est le principal reproche que l’on peut adresser à The Immigrant. Bruno et Orlando devraient être deux exacts opposés. le chevalier noir et le chevalier blanc, s’affrontant pour conquérir le coeur d’Ewa. Mais le personnage d’Orlando n’intervient que tardivement, et ne possède pas la densité psychologique, l’ambigüité de Bruno, autrement plus passionnant à décrypter. Dommage, car si James Gray était parvenu à donner la même épaisseur à ces deux personnages, il aurait rendu leur affrontement final plus intense, plus fort, plus émouvant encore.
C’est peut-être pour cela que le film a déçu lors de sa première projection publique, dans le cadre de la compétition officielle du 66ème Festival de Cannes. Ce déséquilibre entre les personnages finit par rendre le film un peu bancal, et nuit à la montée de l’émotion, vers la fin du film.
Et comme le film est justement avare en bouffées d’émotions, ceux qui s’attendaient à un mélodrame plus affirmé, plus flamboyant, avec des antagonismes plus marqués seront sans doute un peu frustrés.

Mais cela n’enlève rien aux qualités de l’oeuvre, notamment son environnement visuel remarquable, confié à l’expertise de Darius Khondji, sa lancinante musique, signée Chris Spelman, et bien sûr la mise en scène de Gray et les performances de ses acteurs. The Immigrant est un film qui se bonifiera sûrement avec le temps, comme les autres réalisations du cinéaste. N’oublions pas que des longs-métrages tels que The Yards, La nuit nous appartient et Two lovers ont tous bénéficié d’un accueil froid, pour ne pas dire glacial, avant d’être réhabilitées et d’être considérées comme des jalons importants de la carrière de ce cinéaste, injustement sous-estimé.
On en reparlera donc à sa sortie, dans quelques mois, histoire de voir si l’opinion des critiques a évolué…

Notre note :  ●●●●


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Rédacteur en chef de Angle[s] de vue, Boustoune est un cinéphile passionné qui fréquente assidument les salles obscures et les festivals depuis plus de vingt ans (rhôô, le vieux...) Il aime tous les genres cinématographiques, mais il a un faible pour le cinéma alternatif, riche et complexe. Autant dire que les oeuvres de David Lynch ou de Peter Greenaway le mettent littéralement en transe, ce qui le fait passer pour un doux dingue vaguement masochiste auprès des gens dit « normaux »… Ah, et il possède aussi un humour assez particulier, ironique et porté sur, aux choix, le calembour foireux ou le bon mot de génie…

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