L’action se passe quelque part en Afghanistan, dans une ville en guerre.
Dehors, des rafales de fusils mitrailleurs se font entendre à intervalles réguliers, des tanks manoeuvrent et menacent de démolir les habitations, des miliciens armés patrouillent.
A l’intérieur des maisons, les civils tentent tant bien que mal de survivre à cette violence et ces conditions difficiles.
Une femme veille sur son mari, dans le coma après avoir reçu une balle dans la nuque. Elle joue son rôle d’épouse dévouée, restant aux côtés du blessé, nettoyant sa plaie, changeant sa perfusion, administrant son collyre… Elle s’occupe aussi de leurs enfants, deux fillettes qu’elle essaie de préserver des horreurs de la guerre. Et le reste du temps, elle prie, implorant Allah de guérir son mari. Car être une femme seule, dans ce chaos, n’est pas une chose aisée.

Syngué sabour - 5

Son mari étant grabataire, la femme n’a plus aucun revenu, plus aucune ressource financière. Elle n’a même plus de quoi payer les poches de perfusion du blessé, alors elle les prépare elle-même, avec un mélange de sucre et de sel.
Sa belle-famille ne l’aidera pas. La mère et les frères de son époux se sont enfuis à la première occasion, l’abandonnant lâchement à son triste sort.
Seule sa tante, une femme émancipée qui fait commerce de ses charmes, peut encore la dépanner financièrement. La femme va la voir régulièrement, afin de trouver un peu de réconfort et de soutien dans les moments difficiles, et aussi pour s’éloigner pour un temps de l’atmosphère pesante du foyer familial.

Quand la menace se précise dans leur quartier, elle n’hésite pas une seconde à lui confier ses deux petites filles. Elle doit rester pour veiller encore et toujours sur son homme, malgré tout ce qu’il lui a fait subir et que l’on découvre au fil du récit.
En effet, la femme en profite pour vider son sac et lui révéler tous ses secrets, toutes ses frustrations, toute la douleur qui accompagne sa condition de femme afghane. L’homme devient sa “Syngué sabour”, sa “pierre de patience”, comme cette pierre magique de la culture persane qui absorbe les secrets des êtres humains jusqu’à en éclater…

Syngué sabour - 4

Les amateurs de Littérature auront reconnu là l’intrigue de “Syngué Sabour” (1), qui reçut le prestigieux Prix Goncourt en 2008. Son auteur, Atiq Rahimi, n’a laissé à personne d’autre que lui le soin de le porter à l’écran, comme il l’avait fait pour son premier roman avec Terre et cendres. Aidé de Jean-Claude Carrière, il a structuré son récit et sa mise en scène autour des mots, du flot de paroles que déverse cette femme, habituée à rester silencieuse et soumise, sur le corps inerte de son mari. Les mots font mouvement, sont mouvement. Ils portent ce très beau personnage féminin vers sa libération, son émancipation.
En parlant, elle s’affranchit de l’emprise de cet homme à qui elle a été mariée très tôt, de force. Un héros de guerre, aussi sûr de lui sur les champs de bataille qu’empoté et maladroit pour les relations humaines, un macho incapable d’aimer, comme beaucoup d’autres représentants de la gent masculine de cette région du globe. Au fil des minutes, elle prend de l’assurance, se met à lui confier ses secrets les plus sombres, les plus intimes. Elle se libère du poids de la culpabilité, du poids du mensonge, et exprime ses propres désirs, jusque-là réprimés…

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La grande force de ce récit, c’est de réussir à raconter cette histoire d’émancipation, positive et lumineuse, ce mouvement libératoire, dans un huis clos qui se fait de plus en plus étouffant, oppressant à mesure que se précise la menace extérieure – et intérieure.
Qui sont ces hommes armés qui rodent autour de la maison? Que lui veulent-ils? Le mari va-t-il sortir de son coma? Et si oui, comment réagira-t-il face aux secrets confessés par son épouse? La tension monte, lentement mais sûrement, en même temps qu’augmente l’assurance de la femme…
Cette construction permet à l’auteur d’attirer l’attention sur un pays, son pays, l’Afghanistan, meurtri par les guerres qui s’y sont succédées au cours des trente dernières années, sur une culture, la culture persane, et, bien sûr, sur la condition des femmes dans des sociétés très patriarcales et liberticides.
Il en a tiré une oeuvre à la fois courte et très dense, simple et complexe, qui, par son humanisme et sa poésie, trouvent une portée universelle.

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Avec un tel scénario, n’importe quel cinéaste aurait pu livrer un film intéressant. Mais Atiq Rahimi était évidemment la personne idéale pour mettre en images la poésie du texte original, et trouver le ton juste pour nous raconter cette belle histoire.
De même, un personnage féminin aussi fort aurait permis à n’importe quelle actrice de briller. Mais Golshifteh Farahani est particulièrement remarquable dans la peau de cette femme qui se découvre plus forte qu’elle ne le pensait. Elle parvient à restituer toutes les nuances de son personnage, tiraillée entre son devoir d’épouse et son besoin vital de liberté, entre son mari et ses filles. Ce personnage, elle voulait le jouer à tout prix. Il lui ressemble un peu, de par sa volonté d’échapper à un système opprimant et d’affirmer son indépendance (2). Elle a travaillé le rôle avec minutie, en prenant garde à ses intonations de voix, son aspect physique, sa gestuelle, pour pouvoir bien montrer l’évolution de cette femme entre le début et la fin du récit. 
Sa performance est de très haut niveau. Elle tient le film à elle seule, pendant plus d’une heure et demie. On se laisse porter par ses mots, par sa douceur, par sa beauté, par l’émotion qu’elle fait passer à l’écran, sublimée par le travail de mise en scène d’Atiq Rahimi et du chef opérateur Thierry Arbogast.

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Finalement, la pierre de patience, c’est aussi et surtout le spectateur. Il écoute la complainte de ce magnifique personnage féminin, jusqu’à éclater. De colère. De révolte. Et aussi en sanglots, bouleversé par cette histoire à la fois hors du commun et tellement ordinaire, hélas, car emblématique du calvaire vécu au quotidien par des milliers de femmes, en Afghanistan, dans le Golfe Persique et dans bien d’autre pays du Monde.
Pas de doute, cette adaptation cinématographique est aussi belle, aussi puissante, aussi poignante que le roman dont elle est tirée.
Après le Goncourt, un César du meilleur film? En tout cas, on souhaite le meilleur à Atiq Rahimi et à Syngué sabour, pierre de patience , que l’on vous conseille très fortement d’aller découvrir cette semaine au cinéma.  

(1) : “Syngué sabour” d’Atiq Rahimi – coll. Folio – éd. Gallimard
(2) : Golshifteh Farahani a fui l’Iran car sa popularité grandissante, dans son pays et hors des frontières, a été assez mal vue par le pouvoir en place.


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Syngué sabour Syngué sabour, pierre de patience
Syngué sabour, pierre de patience

Réalisateur : Atiq Rahimi 
Avec : Golshifteh Farahani, Hamidreza Javdan, Hassina Burga, Massi Mrowat
Origine : Afghanistan, France, Allemagne  
Genre : Pierre précieuse 
Durée : 1h40
Date de sortie France : 20/02/2013
Note pour ce film : ●●●●●●
Contrepoint critique : Transfuge

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