Avant de devenir cinéaste, Destin Cretton a été éducateur dans un centre pour mineurs à problèmes. Il a dû gérer des crises d’adolescence violentes, aider des enfants traumatisés par des violences domestiques à se reconstruire, contribuer à chasser les idées noires de dizaines de jeunes dépressifs. Autant dire qu’il maîtrise sur le bout des doigts le sujet de son nouveau long-métrage, States of Grace, qui se déroule dans un foyer pour jeunes en difficulté, le “Short Term 12” (titre original de l’oeuvre). Et il signe une oeuvre émouvante, empreinte d’une belle intensité dramatique.

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Si le film débute avec l’arrivée de Nate (Rami Malek), un nouvel aide-éducateur qui représente très probablement Destin Cretton lui-même, le récit se centre très vite autour de Grace (Brie Larson), la responsable du centre.
La jeune femme dirige l’établissement avec beaucoup d’application. Elle sait être ferme quand il le faut avec les jeunes patients, parfois très remuants, mais essaie toujours de sympathiser avec eux, d’être à l’écoute de leurs problèmes, de déceler la source de leurs colères pour mieux les aider à trouver une forme d’apaisement. Elle veille aussi à ce que les membres de son équipe collaborent en parfaite harmonie, pour pouvoir gérer efficacement les crises et les urgences qui sont le lot quotidien de ce foyer. C’est une professionnelle appréciée et respectée de tous, qui se consacre avec passion à sa mission. Et, en dehors du centre, elle vit une relation amoureuse plutôt complice avec son collègue, Mason (John Gallagher Jr).
Mais la belle solidité affichée par Grace va soudain se fissurer et ouvrir des abymes de doute et de douleur refoulée, menaçant de la faire sombrer corps et âme.

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Le premier choc est l’annonce de sa grossesse, totalement inattendue. Confrontée au quotidien à des enfants en grande souffrance, elle se demande si mettre au monde un enfant est une bonne idée. Saura-t-elle être une bonne mère? Mason sera-t-il à la hauteur de son rôle de père? Voudra-t-il seulement assumer ce rôle, lui qui, comme elle, a vécu une histoire familiale heurtée?
Le second coup correspond à l’arrivée au centre de Jayden (Kaitlyn Dever), une adolescente en grande souffrance, qui se distingue immédiatement par son comportement rebelle. Grace parvient pourtant à nouer avec elle une relation de confiance. Elle  se sent très proche de cette jeune femme, qui ressemble beaucoup à l’adolescente qu’elle a été elle-même, jadis. Mais plus Jayden se livre, plus Grace se retrouve confrontée à un passé qu’elle essayait vainement d’occulter. Et cela la chamboule bien plus qu’elle ne veut l’admettre…

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Le cinéaste, bien aidé par son épatante comédienne, Brie Larson, nous communique le vertige éprouvé par ce personnage tiraillé entre un passé étouffant et un avenir incertain. Il nous transmet son mal-être et ses angoisses. Difficile, à moins d’avoir un coeur de pierre, de ne pas éprouver de la compassion pour cette jeune femme à la dérive. Tout comme il est difficile de ne pas s’émouvoir des problèmes des jeunes pensionnaires de ce foyer, de Sammy, un gamin qui reste prostrée suite à un drame familial, à Marcus, l’adolescent qui exprime par son rap toute la haine qu’il éprouve envers sa mère abusive. Ou à ceux de Jayden, exprimés à travers une fable bouleversante…

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Evidemment, d’aucuns diront qu’il est facile d’être ému avec un sujet aussi fort, et une galerie de personnages aux histoires aussi marquantes. Et que le cinéaste n’a eu qu’à récolter les fruits de ces situations mélodramatiques. Certes…
Mais encore fallait-il réussir à assembler efficacement ces bribes de récit pour livrer un ensemble cohérent. Encore fallait-il éviter de tomber dans le piège du pathos, de l’émotion facile, un écueil qui menaçait chaque branche narrative. Encore fallait-il trouver les acteurs adéquats pour porter cette histoire, et les diriger de façon à tirer d’eux le meilleur…

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Tout cela, Destin Cretton l’a parfaitement réussi. Sa mise en scène ne brille pas par sa virtuosité technique, mais elle a justement le mérite d’opposer sa simplicité à la lourdeur de certaines situations, et de rendre le film beaucoup plus fin, beaucoup plus sensible. La caméra reste toujours à bonne distance. Suffisamment proche pour émouvoir, suffisamment éloigné pour ne pas sombrer dans le mélo racoleur. Les acteurs font le reste. Tous sont d’une justesse sidérante. On n’est pas prêt d’oublier les visages expressifs de Kaitlyn Dever, de Keith Stanfield, d’Alex Calloway ou de Kevin Hernandez. Pas plus qu’on oubliera la belle performance de Brie Larson, toute en nuances.

Présenté au festival du film américain de Deauville en septembre dernier, States of Grace s’était imposé assez largement comme l’un des chouchous des festivaliers, et on comprend mieux aujourd’hui les raisons de cet engouement. Sans chercher à s‘imposer, sans faire de l’esbroufe, le second long-métrage de Destin Cretton évolue “en état de grâce” et nous laisse pantelants d’émotion.

 

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States of Grace States of Grace
Short term 12

Réalisateur : Destin Cretton
Avec : Brie Larson, John Gallagher Jr, Kaitlyn Dever, Keith Stanfield, Alex Calloway, Kevin Hernandez
Origine : Etats-Unis
Genre : mélo en état de grâce
Durée : 1h36
Date de sortie France : 23/04/2014
Note pour ce film :
Contrepoint critique : Sens Critique

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