L’évocation de l’Abbé Pierre dès la Genèse de l’œuvre ne laisse que peu de doutes quant à l’interprétation de son titre. Grossir le Ciel, c’est quitter la Terre, cette terre que travaillent de leurs mains les agriculteurs d’un village reculé qui se fera le théâtre d’une intrigue inquiétante et polymorphe.
Nous entrons ainsi à pas feutrés dans l’univers rural, isolé et enneigé de Gus. Dans sa vie simple et solitaire, tournant autour de son bétail, de la chasse aux grives et de son chien Mars. Le quotidien de Gus se limite au partage occasionnel d’un verre de gnole avec le fermier d’une exploitation voisine dans un climat lourd et taiseux, et à quelques visites au village.
Puis un coup de feu, une trace de sang dans la neige, et les doutes deviennent prégnants. Réels. Oppressants. Des liens se tissent et se dévoilent, de révélations en malentendus lourds de conséquences, de vieilles rancœurs en suspicions biaisées. Fatalement et à l’instar des vieilles familles, tous les villages ont leurs sombres secrets.
La texture poudrée d’un dessin tout en tons de gris rend presque palpable l’épaisse couche de neige drapant le récit d’un silence pesant. Mais si les flocons étouffent le bruit, la culpabilité asphyxie la vérité. Les non-dits jalousement enfouis par les anciens pourraient bien rejaillir par des biais inattendus… et la quiétude en fondre comme neige au soleil. Lorsque le passé rattrape le présent, sa profanation n’est jamais sans conséquence. Derrière la paranoïa sous-jacente se démasquent des intrications, des connexions, et toujours plus de questions. Un passé violent nous abandonne-t-il jamais ? Toute vérité est-elle bonne à apprendre ? Des réminiscences traumatiques nous sont dévoilées graphiquement, cette fois dans un trait franc de noir et de blanc sans nuance, cru, à l’image des souvenirs écorchés.
Tout comme le protagoniste, le lecteur croit trouver des réponses au fil du récit, souvent avant même de s’en poser les questions. Mais chaque aveu n’est que le fragment d’un tout, qui tient en haleine jusqu’au dénouement dans un calme presque dérangeant.
Grossir le ciel, de Franck Bouysse & Borris (Ed. Delcourt – Mirages)