– Interview de Cyril Pedrosa (Les équinoxes, Portugal, Ring Circus…) –

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Le festival Quai des Bulles fut une nouvelle fois une jolie occasion de se retrouver entre passionnés de bande dessinée, d’assister à de belles expositions autour du neuvième art, mais aussi de rencontrer des auteurs dans d’agréables conditions, et discuter tranquillement avec eux sur fond de mer et de ciel bleu…
L’auteur du jour est Cyril Pedrosa, avec qui nous revenons sur l’ensemble de sa carrière ; de ses débuts en tant que dessinateur sur Ring Circus jusqu’aux récents Portugal et Les Equinoxes, sur lesquels il officie en tant qu’auteur complet… complètement génial !

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PaKa : Tu lis de la BD depuis que tu es enfant ?

Cyril Pedrosa : Ah oui, depuis toujours. En fait, aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours voulu faire de la bande dessinée : quand j’étais gamin, c’était vraiment les lectures qui m’enthousiasmaient le plus, c’est aussi bête que ça. Je lisais très peu de romans, mais dès que j’ai su lire, par contre, j’ai dévoré des BD. Il n’y en avait pas des masses chez moi – que des Asterix ou des albums de ce genre-là – mais je les lisais, les relisais, et surtout, je les recopiais : j’ai beaucoup appris à dessiner avec la BD, en recopiant… et je voulais faire ça ! Après évidemment, la vie est un peu plus compliquée : les parents, ça les emballait pas des masses, alors j’ai pris un parcours un peu détourné.

PK : Tu t’es dirigé vers une école d’art ?

CP : Non, j’étais parti pour faire une école genre Math’ Sup’, mais j’ai arrêté très vite et je ne savais pas trop quoi faire, ni comment faire, alors j’ai fait les arts appliqués, puis les Gobelins, en animation, et juste après, au moment où je commençais à travailler dans le dessin animé (chez Disney), j’ai rencontré David Chauvel et on a commencé à travailler ensemble sur Ring Circus.
En fait, les Gobelins font des courts-métrages pour le festival d’Annecy, et moi, j’étais co-réalisateur d’un court-métrage qui avait pour thème le cirque. J’avais envoyé plein de dessins à un pote qui avait quitté les Gobelins pour partir faire de la BD, et il les a montré à David, qui m’a écrit en me disant « écoute, il parait que t’as envie de faire de la BD, il se trouve que moi j’ai un scénario sur le cirque, est-ce que ça te dit de le lire… ? »
En plus, il était vraiment trop chouette en me disant que si ça me branchait pas, c’était pas grave, qu’il connaissait plein d’autres scénaristes avec qui me mettre en contact, tu vois, un truc super-généreux. Surtout qu’à l’époque, c’était beaucoup plus difficile de rencontrer des gens : il n’y avait pas internet, moins de formations autour de la BD… c’était dur d’échanger, chacun était un peu dans son p’tit coin, donc la rencontre avec David a été super-importante.
D’autant que j’avais fait très peu de BD à l’époque : comme je n’avais pas d’histoire, je n’avançais pas, c’est pour ça que la rencontre avec David a été vraiment déterminante… et c’est en faisant les premiers albums de Ring Circus que j’ai vraiment appris le métier.

PEDROSA RING CIRCUS PEDROSA SHAOLIN

PK : C’est justement sur Ring Circus que je t’ai découvert : à l’époque, j’étais un grand fan de Tim Burton, et j’ai tout de suite été séduit par l’univers graphique de ces albums.

CP : Oui, c’est vrai que c’était très très influencé par l’animation. En plus, je ne sais pas pourquoi, à l’époque j’étais vraiment obsédé par l’idée d’avoir un graphisme qui ait « un style ». C’était un peu un truc de gamin, tu vois, d’où ce trait très contrôlé, dans lequel j’étais un peu bloqué finalement.

PK : C’est vrai que ton trait à l’air déjà plus « lâché » sur Shaolin Moussaka.

CP : Justement, j’ai fait Shaolin Moussaka pour ça : j’en pouvais plus de Ring Circus, je ne savais plus comment dessiner, j’étais bloqué là-dedans, j’étais enfermé, et j’ai dit à David qu’il fallait qu’on fasse un truc pour me détendre, pour que je puisse relâcher mon dessin, aborder les choses un peu autrement… et bizarrement, Shaolin Moussaka est ce qui m’a permis de tout remettre en question.

PK : Après plusieurs albums de Ring Circus et Shaolin Moussaka en tant que dessinateur, on te retrouve par la suite en tant qu’auteur complet sur Trois ombres et Les cœurs solitaires : qu’est-ce qui t’a fait franchir le pas ?

CP : J’ai toujours eu envie d’écrire, mais ça me paraissait inaccessible. Pourtant, David m’y a vachement encouragé, et au moment de Shaolin Moussaka, vu que c’était léger, drôle, et pas du tout angoissant à écrire, on a décidé d’en scénariser un ensemble. De là, j’ai commencé à travailler sur le scénario des Cœurs solitaires, je l’ai fait lire à David, et il m’a vachement encouragé à faire ce livre. Ça m’a beaucoup aidé parce que j’étais super inhibé vis-à-vis de ça, je ne voulais écrire qu’avec David… Mais après, je me suis rendu compte qu’avec des livres comme Trois ombres ou Les cœurs solitaires – qui étaient très personnels – ce que j’avais envie d’écrire, finalement, je ne pouvais pas trop le partager : j’avais une idée trop précise de ce que je voulais faire, que les sujets me touchaient de trop près, et qu’en fin de compte, il n’y avait pas tellement de marge de manœuvre ni d’espace pour que je puisse co-écrire avec quelqu’un. Petit à petit, j’ai fini par trouver une vraie liberté en travaillant seul, une liberté que je n’arrivais pas à trouver dans une collaboration.

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PK : Et j’ai l’impression que c’est à ce moment-là, justement, que ton dessin a énormément évolué.

CP : Oui, ça a tout changé, parce que quand je travaillais avec David, j’étais très préoccupé par ce qu’il attendait. En plus, quand il écrit, il a une projection assez précise de la narration, ce qui est très bien et qui contribue à donner de la force à son écriture, mais du coup, j’étais toujours inquiet, je me demandais constamment si mon dessin lui convenait, si c’était vraiment ce qu’il attendait. Avant même de penser si ça irait au lecteur, je pensais « est-ce que ça ira à David » : cette question je l’avais en amont, et ça me bloquait. Finalement, en travaillant seul, je n’avais plus à me préoccuper du regard extérieur : je savais qu’il n’arriverait que quand le livre serait fini, et du coup, je pouvais beaucoup plus trouver les moyens de donner cette liberté à mon dessin… C’étaient les récits eux-mêmes qui m’aidaient à prendre de la liberté graphiquement, à ne pas trop réfléchir à ce que les gens en penseraient.

PK : D’où ce dessin beaucoup plus instinctif dans Trois ombres et Les cœurs solitaires.

CP : Oui, mon dessin a beaucoup évolué à l’époque de ces de ces deux albums. Après, il y a du avoir le premier tome d’Autobio, et puis c’est à ce moment-là que j’ai recommencé à me poser des questions sur le dessin.
Je sentais que je commençais à avoir acquis du savoir-faire, appris du métier – ce qui était bien car ça aide dans la façon de raconter, tu maitrises mieux ton sujet – mais en même temps, j’avais l’impression qu’il y avait quelque chose que je ne cherchais pas assez. Il fallait que j’enrichisse mon vocabulaire, et surtout, j’ai eu la conviction à ce moment là – et je l’ai encore aujourd’hui – qu’il faudrait toujours s’interroger sur son dessin en fonction de ce qu’on a à raconter.

PK : Une conviction que l’on ressent clairement sur Portugal et Les équinoxes.

CP : C’est parce que c’est vraiment un truc qui s’est imposé pour moi comme une espèce de guide esthétique. Je suis souvent malheureux de mon dessin, parce que je suis souvent renfermé dans mon dessin…

PK : Pourtant, ton trait parait hyper-libre, naturel…

CP : Mais pas assez ! J’aimerais que ce soir encore plus libre, plus riche, plus surprenant.
Alors oui, je sens que ça avance, je n’ai pas l’impression de stagner, mais à mon gout, ça ne va toujours pas assez loin… Mais bon, c’est normal : c’est aussi pour ça qu’on travaille, qu’on fait des livres, et que je continue d’en faire.
Comme je te le disais, dans la façon dont j’aborde la bande dessinée, dont je la perçois, le dessin fondamental – l’esthétique du dessin – participe au langage, vraiment. Il ne faut pas juste savoir dessiner, le langage de la bande dessinée passe aussi par la narration, la façon de raconter, et au moment où tu commences à acquérir ça, c’est là qu’il faut commencer à te poser des questions sur ton dessin : « maintenant, j’ai trouvé les solutions qui m’aident à raconter de manière générale, et maintenant il s’agit de raconter « ça »… et est-ce que pour raconter « ça », il faut le faire de cette manière-là ? »

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PK : C’est donc l’histoire elle-même qui influence ton style graphique. Par exemple, pour Portugal, on commence avec des bulles vides et des couleurs ternes tant que ton personnage est perdu et déprimé, puis les textes emplissent à nouveau les bulles et les couleurs deviennent vives et chaudes lorsqu’il retourne au pays et recommence à vivre…

CP : C’est ça ! C’était une tentative de commencer à répondre à cette question-là : la question sur l’esthétique du projet-même. Pourtant, ça ne va pas de soi, c’est très compliqué. C’est une vraie bagarre tout le temps, parce que, de fait, le dessin c’est quelque chose qui est assez instinctif, physique : tu ne réfléchis pas quand tu dessines, tu réfléchis avant ou après, mais pas quand tu dessines… quand tu dessines, t’es bête, c’est ton cerveau reptilien qui travaille ! Donc agir là-dessus, casser tes reflexes, tes habitudes, c’est hyper dur. Alors l’histoire t’aide, mais faut aussi trouver des stratagèmes pour sortir des solutions toute prêtes que tu connais et que tu maitrises.

PK : Un bel exercice qui, finalement, aboutit sur une multitude de styles graphiques différents. Déjà pour Portugal, tu adoptais un style propre à chacune des trois parties, mais là, pour Les equinoxes, tu as vraiment joué cette carte à fond, alternant différentes techniques de dessins, mais aussi des pages de BD muettes, des textes sans illustrations…

CP : Oui, c’est exactement ce que je voulais. Pour cet album, c’est une réflexion que j’ai eue bien en amont : je voulais qu’il ait une architecture très précise, solide, avec une ouverture et une fermeture à chaque saison… une ouverture qui aurait une forme particulière – là, j’ai décidé que je mettrai du récit muet – et toujours une même fermeture en fin de saison – des monologues sans image. Dans l’écriture, je l’avais pensé comme une espèce de partition, parce que comme je savais que je voulais aller plus loin que les livres précédents sur les changements de formes, je me suis dit qu’il fallait que je trouve quand même un moyen d’accompagner le lecteur pour ne pas que ça semble trop déroutant. Donc, je me suis dit qu’il y allait avoir comme un tempo, quelque chose de musical, et qu’après, ça allait revenir à chaque saison…

PK : Comme un refrain ?

CP : Voilà, comme un refrain, un couplet, etc… Du coup, ça peut être un peu surprenant au début, à la deuxième saison, un peu moins, et comme au fil des pages l’histoire se résout, les choses se tissent, le lecteur qui était un peu perdu, commence à y voir plus clair… un peu comme les personnages, finalement.

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PK : Et au fur et à mesure que les choses se tissent, que les liens se créent, on voit naitre une touche d’espoir au milieu de toutes ces âmes un peu perdues. D’ailleurs, tu finis le livre sur l’été, ses couleurs vives… C’était une volonté de ta part de finir sur une note plus optimiste, ou ça s’est imposé naturellement au fil de l’écriture ?

CP : Non, je l’avais pensé dès le début. Il y a beaucoup choses comme ça auxquelles j’ai tout de suite pensées, mais dont je ne suis pas certain qu’elles soient perceptibles à la lecture. Mais ce type de fin, par exemple c’était une volonté quasiment dès le début : j’avais le récit de mes personnages, je commençais à savoir comment ils allaient se croiser, s’imbriquer, etc… et très vite je me suis posé la question de « où je vais », « d’où je pars », et « où ça s’arrête ». Et je voulais vraiment qu’on parte de l’automne, qu’il y ait un moment de creux encore plus important avec l’hiver – avec des couleurs encore plus froides, des trucs pas cools qui arrivent aux personnages – et qu’après, lentement, ça aille vers quelque chose de plus lumineux. Parce que je savais que globalement, la tonalité générale du bouquin serait assez mélancolique, j’y tenais et en même temps ce n’était pas non plus pour dire « la vie c’est de la merde » ! C’est pour ça que je voulais que ça aille vers quelque chose de plus optimiste. Et puis, je voyais tous ces destins un peu comme des faisceaux, et comme il y avait ce moment où tout s’assemblait, j’avais envie que ce moment soit à tout point de vue le moment le plus lumineux… comme une résolution apaisante qui n’efface pas les tourments, mais qui donne du sens à tout ça.

PK : Ce récit, malgré ses 400 pages et ses nombreux personnages, nous parait très fluide, pouvant se lire quasiment d’une traite. Pour arriver à un tel résultat, tu as laissé vivre tes personnages d’eux-mêmes, improvisant parfois la suite, ou c’est un scénario que tu avais beaucoup écrit avant de te lancer ?

CP : C’était un scénario extrêmement écrit. Portugal était déjà très écrit, lui aussi, mais pour cette histoire-là, ça me paraissait essentiel. C’est une histoire compliquée à mettre en œuvre, même s’il n’y a pas d’enjeu dramaturgique complexe, les connections et les interconnections entre tous les personnages ne sont pas si simples que ça : il faut les décrire, il faut savoir haut-delà de l’histoire qui ils sont, les avoir imaginés, qu’ils aient de la consistance. Lorsque t’écris des histoires comme celle-ci, tu es souvent amené à écrire plus large que ce que tu racontes, parce que sinon tes personnages manquent d’épaisseur, tu ne sais pas qui ils sont vraiment, alors que moi, je savais plein de choses sur eux que je n’ai pas mis dans le livre, que je n’ai pas gardées, mais que je savais.
Et puis c’était aussi une façon de ne pas me perdre en route : je savais que j’allais bosser longtemps sur ce bouquin, qu’il y avait plein de personnages, et quand tu bosses deux ou trois ans sur un bouquin, t’es là, t’as le nez sur ta page, tu te rappelles de la page d’avant, la page d’après, mais t’as plus du tout la vision d’ensemble du truc, même si t’avances en suivant le fil du scénario… Alors de temps en temps, je relisais tout, pour me dire que quand je trouve qu’une scène est chiante, elle fait peut-être écho à autre chose, voir même qu’elle est une réponse à une autre scène bien précise de la saison précédente, ou quelque chose comme ça…

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PK : Ce travail d’écriture t’a pris beaucoup de temps ?

CP : Oui, à peu près 6 mois, ce qui est assez long, quand-même. Mais c’était nécessaire, parce que sur ce type de scénario, que dès que tu bouges un truc, c’est l’enfer ! Donc, j’ai juste enlevé deux ou trois scènes qui devenaient superflues au fur et à mesure que j’avançais, des choses que j’avais l’impression d’avoir déjà dites, mais le gros était là dès le début : une fois que mon scénario était écrit, j’avais tout, tous les personnages, je savais à quoi ils servaient, ce qu’ils devaient faire… j’avais même dialogué à l’avance, tout !
Par contre, les monologues et les récitatifs, je les ai retravaillés tout le temps durant les 3 ans de réalisation de l’album : je suis revenu au moins dix fois dessus pour les réécrire, enlever des choses, en remettre… J’ai besoin de ça, et je dirais même « j’aime ça », parce que j’aime l’écriture, donc c’est un plaisir et j’adore ça, écrire ! Plus ça va et plus j’aime ça. Par exemple, le travail d’écriture des monologues – qui étaient là assez tôt dans le projet – mais aussi leur re-travail, revenir dix fois dessus, tout ça : j’ai adoré ça ! Me dire « c’est encore flou », « ça c’est superflu », déplacer une virgule… tu vois, ce travail super précis, j’ai adoré ça !

PK : Un travail long et précis, mais qui s’est avéré payant : au final, tu nous offre un album aussi dense que juste, sincère et touchant… à côté de ça, quelle surprise de te voir débarquer pour faire le clown dans l’Atelier Mastodonte !

CP : Ha ha ! En fait, j’y étais au tout début ! Comme Lewis était mon éditeur sur shampooing, même si on ne se connaissait pas vraiment on avait travaillé ensemble, et j’aime beaucoup travailler avec lui : c’est quelqu’un de très agréable dans le travail, très intelligent…

PK : Une fois passé le côté un peu effrayant du personnage ?!

CP : Mais non : dans le travail, il ne fait pas peur ! Enfin, moi j’avais un peu peur de lui parce que je ne le connaissais pas mais, dans le travail il est très bienveillant… très très très bienveillant, je trouve !

PK : Tu es en train de casser l’image du vieil aigle râleur qu’il aime afficher…

CP : Non, mais il la réhabilitera après : il sera désagréable avec tout le monde, et ça ira. Mais moi, je peux dire que c’est quelqu’un de vraiment bienveillant, il fait attention aux autres, aux auteurs, à ce qu’ils essayent de faire… il est très généreux de ce point de vue-là. Et du coup, il avait commencé à faire un blog privé, avec des échanges de strips, il m’a demandé si ça m’amuserait d’en faire un, et ça a commencé comme ça… mais au début, c’était un peu pour s’amuser entre nous.

PK : Et ce n’est pas difficile de trouver sa place au milieu de ce petit monde où chacun à son rôle bien défini ? Lewis-le-ronchon, Tebo-roi-du-caca, Pedrosa-le-relou-avec-ses-peintures-bio-qui-puent…

CP : …Alfred qui ne sait pas qui il est !
Non, mais c’est ça qui est drôle : t’essayes de trouver un angle, de voir avec quoi tu vas jouer, etc… C’est vachement marrant à faire, j’ai beaucoup aimé, mais j’ai arrêté parce que j’avais d’autres trucs à faire.

PK : Tu ne t’es pas vraiment fait éliminer, alors ?

CP : Non, je ne me suis pas fait éliminer ! C’est totalement faux ! C’est un mensonge éhonté ! Une cabale !
Non, non, mais par contre, le truc, c’est que ça me demandait énormément de boulot : pas dans le dessin – ça, ça allait vite à faire – mais à la base, ce n’est pas mon école, le strip, et c’est du taf de trouver le bon tempo quand tu sais à quel point c’est exigeant. Alors le double-strip c’est un peu moins difficile que le vrai strip en une ligne – ça, c’est l’enfer sur terre – et même si on est sur le principe du cadavre exquis, il faut faire en sorte que ça ne parte en vrille, que ça reste toujours cohérent… et puis le but du jeu, c’est que ça soit marrant, quoi ! Et ça,ce n’est pas facile : un strip, un truc drôle, un strip, un truc drôle ! C’est hyper difficile, et c’est un rythme qui demande du boulot ! Mais encore une fois : j’ai beaucoup aimé ça, et c’était très marrant.

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PK : Et pour la suite, quels sont tes projets ?

CP : Pour l’instant, je suis sur deux projets : un projet chez Dupuis – un autre Air Libre – qui va s’appeler L’âge d’or, que j’ai co-écrit avec ma compagne et qui va être très très différent du dernier. Ça va être une espèce de conte médiévale politique, une sorte de Candide au moyen-âge.

PK : Ah oui, un tout autre style, donc. Une recherche de mise en danger ?

CP : Oh, mise en danger relative : on reste derrière une table à dessins, hein !? Non, mais c’est vrai que ce sera complétement différent, ça évite de s’ennuyer, ce qui est quand-même chouette. C’est vraiment ce que j’avais envie de faire : ça faisait un moment avec Roxane qu’on se disait « non, mais quand-même, là, politiquement c’est la catastrophe, ce qui se passe actuellement c’est nul à chier ! », alors on s’est demandé ce qu’on pourrait dire de cette situation, qu’est-ce qu’on aurait envie de dire ? Mais comme on ne sait pas en parler dans le monde contemporain, parce que c’est complexe, on s’est dit « allez, partons 500 ans en arrière et essayons de parler du monde tel qu’il est, de comment les hommes transforment le monde pour en faire ce qu’il est ! »… parce que le monde n’est pas tel qu’il est, il est tel que les hommes le font. Voilà, c’est ça le sujet.
On a bien avancé l’écriture et j’ai déjà commencé à faire des pages. Comme c’est une épopée un peu feuilletonnante, pour une fois, je m’accorde cette marge de manœuvre de commencer à dessiner avant la fin de l’écriture. J’ai une trame, un tiers tout écrit et 2 autres tiers encore en cours, mais je commence à dessiner en me disant que je pourrais peut-être changer des choses en cours de route… on verra !

Après, j’ai un autre projet, mais qui est un peu plus un projet d’écriture, donc, pour l’instant, je ne sais encore pas trop où ça m’amène, vu que j’en suis au tout début. Par contre, c’est plus proche des Equinoxes. Ce sera l’histoire d’un type qui disparait, dans le sens « il disparait de sa vie » : il ne peut pas continuer sa vie telle qu’elle est, donc il ne laisse plus de traces, plus rien, et il se casse… Mais c’est encore en cours d’écriture, et je ne sais pas encore quelle sera la part de dessin : est-ce que ça va être du texte illustré ? Est-ce que ça va être de la vraie bande dessinée ? Je ne sais pas du tout. Pour l’instant, c’est quelque chose que je fais un peu à côté du reste, que j’avance quand je peux, quand j’ai du temps, sans me mettre la pression et sur lequel je peux encore un peu me chercher un peu plus, faire autre chose…
Mais à côté de ça, j’aimerais bien faire plein d’autres trucs ! Dans l’absolu, là, j’aimerais pouvoir m’arrêter 6 mois pour faire un film d’animation, par exemple.

PK : Justement : si t’avais une baguette magique, que tu avais le pouvoir de faire tout ce que tu veux – une adaptation l’inadaptable, une série de 3000 tomes, une collaboration avec n’importe quel auteur, vivant comme mort – quel serait ton projet de rêve, ton projet fou ?

CP : Un projet de rêve en bande dessinée ? Comme ça, je ne vois pas trop… Non, en fait, si j’avais une baguette magique, je ne voudrais pas spécialement travailler avec des gens morts, mais par contre, juste discuter avec eux. Tu vois, par exemple, j’aimerais pouvoir discuter avec Hugo Pratt. Ça, ça me plairait : pouvoir passer une soirée à boire du vin avec lui, parler de voyages… ça me déplairait pas !
Après, non, je vais te dire le fond de ma pensée : si j’avais une baguette magique, je déconnecterais les enjeux économiques de mon travail, et je m’accorderais encore plus de liberté, je pense. Le problème, c’est que personne ne m’interdit rien, tu vois, simplement, ça fait partie des trucs contre lesquels il faut se bagarrer pour s’accorder plus de liberté…

PK : Finalement, quand on voit tes derniers projets et ceux sur lesquels tu travailles, la liberté que tu t’accordes tant sur leur forme, leur format, leur ampleur, leur style graphique, leur style narratif : on peut dire que la liberté tant souhaitée n’est pas si loin, et ça, c’est plutôt cool… pour toi comme pour nous, lecteurs, qui avons le droit à de bien beaux bouquins !
Alors Cyril, merci pour tout, et à très bientôt pour la suite…

PEDROSA Dédicace

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