Même s’il est au cœur d’une éternelle polémique, avouons que nous avons tous ri – parfois jaune, j’en conviens – devant le côté paternaliste, infantilisant, et ce ton ô combien supérieur adopté par les colons français qui se dégage de Tintin au Congo.
A la lecture des premières pages de La Colonne, peut-être serez-vous également tentés de rire face au ridicule Capitaine Boulet, son patriotisme exacerbé et ses tirades ronflantes, débordantes de racisme et de suffisance, un arrogant et présomptueux bouffon prêt à tout pour conquérir les terres africaines au nom de notre mère Patrie. D’autant que le trait de Dumontheuil – qui, s’il sait se faire épique dans l’action, tire souvent vers la caricature et le burlesque lorsqu’il s’agit des personnages – sied à ravir à l’approche adoptée par Dabitch.
Et pourtant, derrière ces atours comiques de prime abord, les auteurs s’attaquent en réalité à un sujet bien plus tragique : une histoire (quasiment) méconnue que l’Histoire aurait aimé oublier.
En relatant le sombre et véridique épisode de la mission Voulet-Chanoine, le duo nous embarque sur les pas d’une colonne traversant l’Afrique du Sénégal au Tchad, écumant les villages sur son passage afin de recruter – de gré ou de force – un maximum de tirailleurs, mais également de récolter tout ce qu’elle croise de vivres, d’esclaves, et de femmes… ou de semer les cadavres de celles et ceux qui s’y opposent !
Un récit où le cynisme n’a d’égale que la violence, tant les protagonistes n’éprouvent aucun remord à accomplir des actes d’une barbarie sans nom, massacrant femmes et enfants sans l’ombre d’une hésitation, suspendant leurs corps aux branches des arbres ou empalant fièrement leurs têtes au bout des lances en guise de châtiment… ou d’exemple !
Un récit brutal qui dénonce les carnages commis au nom de l’Empire Colonial Français, mais sans tomber dans le piège du manichéisme pointant du doigt les méchants blancs contre les gentils noirs ; mettant en scène tant des généraux français prêts à déserter pour ne plus participer à ces ignominies, que des Africains présentant un peu trop de zèle lorsqu’il leur est ordonné de disséminer leur propre peuple.
Un récit essentiel, pourtant, car à l’heure où l’on regarde, effarés, les événements qui se déroulent à Gaza, il est important de rappeler que ceux-ci se sont passés à nos portes il y a un siècle à peine. Un devoir de mémoire capital pour ne pas oublier les heures sombres de notre Histoire, afin que jamais elle ne se répète.
La colonne (récit en 2 tomes), de Christophe Dabitch & Nicolas Dumontheuil (ed. Futuropolis).