– Le Haut Septentrion + La Fin du Donjon, de Alfred, Mazan, Sfar & Trondheim –

Donjon 1

A la fin du siècle dernier (1998, quoi !), deux jeunes auteurs émergeants décidèrent de travailler main dans la main, le temps d’un album, afin de s’en payer une bonne tranche en détournant les codes de l’héroïc fantasy.

L’album en question, s’appelait Cœur de Canard, prenait place dans un donjon que tout aventurier rêvait de piller, et mettait en scène un canard couard et son pote, un dragon balaise en charge de faire de lui un redoutable guerrier.
Le bouquin se révélant à un tel point débordant d’idées aussi géniales que désopilantes, que bien vite un second tome déboula, rapidement suivi par un troisième… la série Donjon  était née !

Tronsfar (sorte de bête à deux têtes et quatre mains composée du meilleur de Lewis Trondheim et de Joann Sfar), alors lancé à 300 kilomètres / heures sur l’autoroute du génie comique, ne s’arrêta pas là, et créa en parallèle de sa série principale – maintenant baptisée Donjon Zénith  – une nouvelle série contant au lecteur le déclin du Donjon, nommée Donjon Crépuscule  dont le premier tome fut le numéro 101.

Incroyable, non ?
Et ce qui fut encore plus incroyable, c’est que les deux larrons invitèrent un troisième homme – l’immense Christophe Blain – à dessiner un tome « -99 », débutant ainsi une troisième série nommée Donjon Potron-Minet, revenant sur la création dudit Donjon !

Donjon Zenith Donjon Crepuscule Donjon PotronMinet

De là, tout s’accélère, avec la création de deux séries complémentaires : d’une part Donjon Parade, des historiettes drôles et légères confiées au génial Larcenet, et d’autre part Donjon Monster, des tomes à part, à la numérotation aléatoire, s’intéressant au destin d’un personnage secondaire sur l’une des trois époques clés du Donjon.

Ainsi, en une dizaine d’années à peine, Sfar et Trondheim créèrent une série tentaculaire – drôle, intelligente, et toujours cohérente – s’étalant sur plus de 30 tomes, et réunissant la crème des dessinateurs, de Blutch à Carlos Nine en passant par Killofer, Andreas ou Blanquet !

Un monument, vous dis-je… mais un monument à l’abandon, malheureusement.
Occupés par des milliers de projets parallèles, et désireux de ne revenir hanter le Donjon que lorsque la flamme originelle brûlera de nouveau aussi intensément qu’aux premières heures, les scénaristes on pressé la touche « pause »… depuis cinq longues années déjà.

Donjon Monster3Donjon Monster1Donjon Monster2

Alors que la dépression guettait les millions de fans désespérant voir un jour leurs héros préférés revenir à la vie, Tronsfar entendit leur infinie lamentation et se fendit de deux nouveaux scénarios, deux ultimes albums venant mettre un point final à l’Histoire du Donjon.

Deux ultimes albums attendus comme le messie, annoncés depuis de longs mois, envisagés un temps comme pouvant être dessinés par les créateurs eux-mêmes, finalement refilés à deux autres dessinateurs, des dates de sorties repoussées maint et maint fois…
…de quoi mettre dangereusement nos nerfs à vif, et attiser nos craintes quant à la réelle envie de Tronsfar de s’y replonger : et si ces deux ultimes albums ne se révélaient être qu’une commande sans saveur dans le simple but de satisfaire le fan-service ?!

Pourtant, après une attente aussi insoutenable qu’interminable, ces fameux albums tant espérés sont enfin là… et nos craintes envolées !

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Dès les premières pages du Haut Septentrion  – Tome 110, donc – nous retrouvons avec une joie immense nombreux de ces éléments qui constituaient le charme de cette série : les lapins xénophobes, l’impressionnant Tong Deum, ce petit con insolent de Marvin Rouge, ce sage et bon Roi Poussière, ce vieux blasé d’Herbert, cette grosse coquine de Zakutu, les Objets du Destin au grand complet, des morceaux de planètes qui s’envolent en tous sens, et cette inquiétante Entité Noire bien décidée à régner éternellement sur ce chaos !

Pour lier ces éléments, les auteurs y insufflent cet habile mixe qui les caractérise si bien et mélange à merveille cet humour qui serait presque con s’il n’était pas si parfaitement maîtrisé, cette pointe de cynisme rendant à la fois cinglante et irrésistible la moindre des répliques, des révélations nous en apprenant toujours plus sur cet univers hallucinant qu’ils ont créé, et un souffle épique qui balaye tout sur son passage et nous offre des scènes impressionnantes.

Un tome très dense, donc, qui ne laisse que peu (pas ?) de temps morts, et joue à fond sur notre connaissance des tomes précédents et sur le principe de l’ellipse pour caser un maximum d’informations nouvelles…
…trop ?

Dans l’absolu, peut-être, mais ceci serait sans compter sur le talent des lascars aux manettes, ayant pris toutes les précautions pour que les deux derniers tomes sortent simultanément.

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Ainsi, La Fin du Donjon  lève le voile sur les dernières zones d’ombre, nous donnant enfin toutes les clés permettant d’accéder jusqu’à ce final en feu d’artifice, tant sur le plan de l’histoire que de l’émotionnel… car, sans vous dévoiler tous les tenants et aboutissants de cet opus tout particulier, laissez-moi vous dire que c’est avec un sentiment étrange que vous tournerez la dernière page de ce dernier tome, empreints du bonheur de connaître enfin le dénouement de cette incroyable aventure, immédiatement suivie de l’énorme vague de nostalgie qui vous submerge alors que vous repensez déjà aux magnifiques moments que vous aurez vécus au Donjon.

Une fin en grande pompe, donc, à laquelle Alfred, Mazan, et Walter offrent un écrin de toute beauté, réalisant des prouesses du bout de leur pinceaux pour nous livrer deux albums sublimes, aux dessins et aux couleurs extrêmement soignés, d’où surgissent parfois quelques cases, pleines pages, et même doubles pages totalement époustouflantes !

Alors voilà, Donjon c’est fini… si vous étiez des habitués des lieux c’est avec les larmes aux yeux mais le cœur comblé de joie que vous lui ferez ici vos adieux, et si vous ne connaissez pas encore, bande de petits veinards, vous n’avez maintenant plus aucune excuse pour passer à côté de ce monument bédégraphique que peu peuvent prétendre égaler !

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* Le Haut Septentrion  (Donjon, Tome 110), de Alfred, Sfar & Trondheim (ed. Delcourt).
* La Fin du Donjon  (Donjon, Tome 111), de Mazan, Sfar & Trondheim (ed. Delcourt).

[Edit] : Afin de compléter cet article et de faire perdurer le plaisir apporté par ces deux magnifiques albums, je vous encourage vivement à lire les réactions des « Experts du Donjon » sur ce forum lui étant consacré : ICI !

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